L'inhumation du chef de l'État dans la cathédrale de Wawel, à Cracovie, suscite la polémique.
De notre envoyée spéciale à Varsovie
À Varsovie, le temps de l'émotion vient de céder la place à celui de la polémique. L'annonce du lieu des funérailles du président Lech Kaczynski soulève une tempête de protestations. Ne lui fait-on pas trop d'honneurs en l'enterrant dans la cathédrale du château de Wawel, à Cracovie, où reposent une quinzaine de rois polonais et une pléiade de gloires républicaines comme le maréchal Kosciuszko, le poète Adam Mickiewicz, le maréchal Jozef Pilsudski ou encore le général Sikorski, chef du gouvernement polonais en exil à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale? Et l'on remarque, au passage, un nouveau télescopage de l'histoire: Sikorski a trouvé la mort dans un accident d'avion. Le crash, qui se produisit en juillet 1943, aurait été dû à un sabotage commandité par Staline, qui détestait Sikorski. Rien à voir, bien sûr, avec ce qui est arrivé à Lech Kaczynski.
Le président défunt et son épouse reposeront donc aux côtés du maréchal Pilsudski. Lech Kaczynski révérait le père de l'indépendance polonaise, un démocrate mais à tendance autoritaire. Lui et son frère jumeau, Jaroslaw, en avaient fait l'icône de leur parti Droit et Justice (PIS).
C'est le cardinal Stanislaw Dziwisz, archevêque de Cracovie, qui a annoncé mardi la nouvelle. Mgr Dziwisz était le secrétaire particulier de Jean-Paul II. À ce titre, il jouit en Pologne d'un prestige considérable. Dans la soirée, quelques centaines de Cracoviens ne s'en sont pas moins rassemblés devant l'archevêché pour dénoncer cette décision. Lech Kaczynski «est-il digne de nos rois?» demandaient les manifestants. Un nouveau rassemblement était prévu mercredi soir à Cracovie.
Calcul politique
La presse a pris le relais de ce mouvement d'indignation. Le grand quotidien Gazeta Wyborcza en a fait sa une et trois pages intérieures. Son éditorialiste critique une décision «trop rapide, prise sous le coup de l'émotion et par compassion à l'égard des proches du défunt». Comme pour rappeler que le président Kaczynski était de son vivant un personnage on ne peut plus controversé, le quotidien souligne laconiquement que Lech Kaczynski «n'était ni roi ni Pilsudski». Sa place n'est donc pas à Wawel, mais au cimetière Powazki, dans la capitale, où sont enterrés les résistants tombés pendant l'insurrection de Varsovie en 1944, parmi lesquels le père des frères Kaczynski.
L'Église catholique polonaise n'est pas épargnée par la polémique. L'évêque Pieronek, une voix plutôt anticonformiste au sein de l'Église mais qui n'en constitue pas moins une autorité morale, regrette lui aussi «une décision prise à la légère». Le château de Wawel «représente certaines traditions». Il revenait «au peuple polonais de se prononcer» a lâché perfidement l'évêque à l'adresse implicite de Mgr Dziwisz.
L'historien Tomasz Nalecz préfère ironiser. Il assure que Lech Kaczynski, «féru d'histoire, ne se serait pas senti bien aux côtés de rois». Tomasz conseille aux autorités polonaises de «faire preuve d'humilité». D'autant que «l'histoire a déjà jugé Pilsudski, mais pas encore Lech Kaczynski».
Simple mégalomanie? Bon nombre d'observateurs y voient plutôt un calcul politique. Ils soupçonnent l'entourage du président défunt d'avoir fait pression sur Mgr Dziwisz pour accueillir sa dépouille à Wawel. «L'entourage» est un euphémisme pour désigner Jaroslaw Kaczynski, le jumeau du président, réputé fin stratège. Jaroslaw, subodorent les experts, compte bien tirer les dividendes politiques d'obsèques qui feraient de son double un mythe national. Volontairement ou pas, il vient en tout cas de donner le coup d'envoi de la campagne électorale, suggère le journaliste Daniel Passent, qui ne doute plus que Jaroslaw Kaczynski sera candidat à la présidentielle de juin.
Le Figaro - 15 avril 2010