Des billets d’avion. Des billets de train. Des réservations d’hôtel et des notes de restaurant. Voilà ce que recherchent les enquêteurs chargés du dossier lillois. Ils veulent comprendre pourquoi Jean-Christophe Lagarde, commissaire divisionnaire placé en garde à vue hier, est allé rendre visite à deux reprises à Dominique Strauss-Kahn alors patron du Fonds monétaire internationall (FMI) à Washington. Et pourquoi Jean-Claude Ménault, directeur départemental de la Sécurité publique du Nord, y est allé une fois en même temps que Lagarde. «Les deux voyages se sont déroulés en février 2011 puis du 11 au 13 mai 2011», indique une source proche du dossier.
Aéroport. David Roquet ne le nie pas. Ce patron d’une filiale d’Eiffage, mis en examen pour proxénétisme aggravé, a fourni quelques explications lors de sa garde à vue la semaine dernière : «Oui, je suis allé à Washington en février 2011 avec Fabrice [un chef d’entreprise de la région, ndlr], Jean-Christophe [Lagarde]et Jean-Claude Ménault.» Pourquoi, demandent en substance les enquêteurs ? «Nous avons été invités par DSK.» David Roquet se dit également «fasciné par DSK».
Mais les policiers insistent. Ils veulent savoir qui a payé les billets d’avion. «C’est moi, avec l’aval de mon patron. Cela m’a coûté entre 3 000 et 4 000 euros», répond le chef d’entreprise. Sans préciser si le patron en question est sa maison mère, le groupe Eiffage.
David Roquet a également été interrogé sur le deuxième voyage à Washington, en mai. Un séjour qui intrigue d’autant plus les enquêteurs qu’il s’est déroulé à la veille de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn le samedi 14 mai à l’aéroport JFK. Le chef d’entreprise a expliqué que le petit groupe était allé «visiter le FMI».
«Avec qui Dominique Strauss-Kahn se trouvait le 13 mai 2011 quand vous l’avez quitté ? demandent les policiers.
- Avec une jeune fille américaine qu’il connaissait, mais qui parlait français pour avoir étudié à Bruxelles. Je ne me rappelle plus de son prénom.»
Ces deux voyages ont par ailleurs été confirmés par les nombreuses écoutes effectuées par les enquêteurs. René Kojfer, directeur des relations publiques du Carlton de Lille, qui était au courant de ces escapades, en avait également parlé à ses interlocuteurs. Et les policiers savaient déjà que la petite entreprise de Roquet finançait des soirées spéciales.
Autre élément troublant attestant des liens qu’auraient entretenus David Roquet et Dominique Strauss-Kahn : derrière les notes de frais du chef d’entreprise, les policiers ont trouvé à de nombreuses reprises la mention «DSK».
Sollicité, hier, par Libération, le groupe Eiffage, numéro 3 français du BTP et maison mère de l’entreprise de David Roquet, n’a pas souhaité réagir.
A Lille, la rumeur parle à la place de ceux qui se taisent. «Eiffage a remporté le marché de construction du grand stade de Lille, explique un fin connaisseur du dossier. Ça crée des fantasmes…»
Interrogé encore sur les véritables raisons pour lesquelles les deux hauts policiers lillois sont allés au Etats-Unis voir Dominique Strauss-Kahn, David Roquet ne répond pas. «C’est en tout cas gênant pour les policiers, s’ils se sont fait payer des billets d’avion par une entreprise de la région», constate une source proche du dossier.
Mais d’autres voyages intéressent. A Paris cette fois. A trois reprises, confie David Roquet aux enquêteurs, il s’est rendu dans la capitale avec des filles de «Dodo la Saumure», ce proxénète écroué en Belgique au début du mois. A au moins une reprise, Roquet a retrouvé l’ancien patron du FMI dans une suite duplex avec piscine d’un grand hôtel. Mounia, une prostituée Lilloise venue à Paris avec le chef d’entreprise, a tout confirmé sur procès-verbal. Béatrice, la compagne de Dodo la Saumure, était également de la partie. De nombreuses écoutes le prouvent.
Contreparties. Mais ce qui intéresse la justice, c’est qui a organisé ces soirées. Et là c’est René Kojfer qui a fourni des détails. «Ceux qui ont servi d’intermédiaire entre Dominique Strauss-Kahn et Béatrice, c’est David Roquet et Jean-Christophe Lagarde, le patron de la Sûreté départementale», affirme-t-il sur PV. Là encore, les raisons et les éventuelles contreparties restent à élucider.
Les policiers cherchent enfin à savoir si des filles de Dodo la Saumure ou d’autres prostituées lilloises n’auraient pas fait le voyage à Washington comme elles l’ont fait à Paris. «Ça me paraît totalement surréaliste, réagit un ancien grand flic lillois aujourd’hui à la retraite. Mais on a quand même l’impression, en regardant le dossier de loin, que tous ceux qui se rendaient à Paris voir DSK agissaient comme s’ils se sentaient protégés. En toute impunité.»
Contacté part Libération, Jean-Claude Ménault n’a pas donné suite à notre appel. Me Olivier Bluche, l’avocat de Jean-Christophe Lagarde, n’a pas souhaité s’exprimer. Mais il affirmait, il y a quelques jours que Jean-Christophe Lagarde contestait «avoir commis une quelconque infraction pénale». Enfin, les avocats de DSK n’ont pas voulu faire de commentaires.
21/10/11