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L'affaire ADZ "tombe bien" pour Idriss Déby...

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L'opération avortée de L'Arche de Zoé a réveillé de bien étranges spectres au Tchad. A peine l'affaire découverte, le président tchadien, Idriss Déby, a multiplié des déclarations très dures, allant jusqu'à affirmer, que les membres de l'association entendaient "vendre" les enfants "aux ONG pédophiles", ou bien "les tuer et enlever leurs organes"...

 


Le contexte judiciaire

 

Procédures. La justice française a ouvert une procédure pour "aide directe ou indirecte à l'entrée d'étrangers en France" avec la circonstance aggravante d'éloigner des mineurs étrangers "de leur milieu familial ou de leur environnement traditionnel" et "exercice illégal de l'activité d'intermédiaire en vue d'adoption". La justice tchadienne a inculpé les membres de L'Arche de Zoé d'"enlèvement de mineurs", "escroquerie" et "complicité".

 

Extradition. Dans le cadre d'une convention d'entraide judiciaire, signée entre la France et le Tchad le 6 mars 1976, peuvent être extradés, avant jugement, les individus poursuivis de crimes ou délits punis d'une peine d'au moins un an d'emprisonnement. Ce qui est le cas des infractions reprochées en France comme au Tchad. Peuvent être extradés, après jugement, des individus condamnés à des peines d'au moins deux mois d'emprisonnement.

 

Refus. La convention prévoit des motifs de refuser l'extradition, parmi lesquels le fait que "les infractions ont été commises en tout ou partie sur le territoire de l'Etat requis", en l'occurrence le Tchad.


Mercredi 31 octobre, une manifestation "spontanée" de femmes s'est réunie devant les bureaux du gouverneur de la ville d'Abéché, où ont été arrêtés les Européens impliqués dans l'opération. Les manifestantes affirmaient protester contre "l'esclavagisme", laissant imaginer, tout en jetant des pierres aux journalistes étrangers présents, que leur colère s'appliquait aussi bien aux responsables de l'organisation humanitaire qu'à une cible plus large, englobant sans le dire les Français et leur action officielle.

Le président tchadien ne peut ni être dupe de tels amalgames, ni se priver de l'occasion ainsi offerte de se poser en victime.

 Cette attitude évite que ne se posent de manière trop pressante des questions sur les conditions dans lesquelles l'ONG L'Arche de Zoé, qui opérait sous le nom d'emprunt Children Rescue, a pu en toute tranquillité regrouper des enfants à Adré, à l'extrême est du pays. Les convoyant ensuite par rotations de petits porteurs jusqu'à Abéché, où ils devaient être embarqués dans l'illégalité la plus complète.

Un atterrissage est un événement à Adré, ville frontière constituée essentiellement de camps militaires. Verrou de l'entrée au Tchad à une période d'activité rebelle, il est impossible d'y poser le pied, sans parler d'un avion, sans attirer l'attention des autorités tchadiennes, civiles comme militaires. Comment un pilote étranger y a-t-il embarqué des enfants à plusieurs reprises ?

En jouant sur un registre tirant vers le sentiment anti-français, le président Déby tente aussi de restaurer sa réputation auprès de ses propres concitoyens, après dix-sept ans de pouvoir. L'état désastreux du Tchad a cependant peu de chances de disparaître comme par enchantement à l'ombre de l'équipée de L'Arche de Zoé...

 

"CETTE HISTOIRE TOMBE BIEN"

 

Selon Ibn Oumar Mahamat Saleh, qui dirige la principale coalition de l'opposition non armée tchadienne, la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC), "même si les Tchadiens ont été choqués, les déclarations (du président Déby) ne trompent personne". "C'est une mise en scène. S'il y avait un Etat fonctionnant normalement au Tchad, tout le monde sait bien que rien de tout cela ne serait arrivé", ajoute-t-il.

Mais le ton adopté par le président tchadien est loin d'être destiné seulement au Tchad. Le projet de L'Arche de Zoé est lié à la situation au Darfour. Or, dans le conflit à l'ouest du Soudan, le Tchad n'est pas un pays neutre. Des liens entre une partie des chefs rebelles darfouriens et des responsables militaires tchadiens existent depuis l'éclatement de la guerre civile en 2003. Une partie de ces rebelles a des bases arrière au Tchad, profitant de certains camps de déplacés pour "recruter des combattants", selon une source à l'ONU. En échange, ces rebelles rendent d'inestimables services. Ils défendent le sol tchadien aux côtés d'une armée nationale dont une partie seulement, selon les experts, est à la fois convenablement équipée, régulièrement payée, et fidèle au président.

"Cette histoire est triste, mais elle tombe bien (pour Idriss Déby), puisqu'elle permet de faire oublier l'essentiel : l'implication du Tchad au Darfour, aussi bien que la crise profonde que traverse le pays", analyse le colonel Adoum Yacoub, ex-chef d'état-major adjoint et actuel chef d'un groupe rebelle, le Front populaire pour la renaissance nationale (FPRN).

En face, le Soudan a offert asile, camps d'entraînement et livraisons d'armes à des rebelles tchadiens, à charge pour eux de lancer une offensive pour renverser Idriss Déby. Hypothèse historiquement réaliste, puisque c'est précisément ce qu'avait fait l'actuel président en 1990, parti du Darfour avec un appui libyen, soudanais et français pour renverser son prédécesseur, Hissène Habré.

 

LIVRAISONS D'ARMES

 

Lors des offensives de la saison sèche de 2006, M. Déby a été sauvé en raison de sa propre volonté de se défendre, mais aussi grâce à l'appui de la France pour le transport et le renseignement, de la Libye pour les armes, et des combattants du Darfour pour le coup de feu. Un an plus tard, au moment où se terminent les pluies, des offensives risquent de se produire. Des groupes armés tchadiens ont, en effet, reçu des livraisons d'armes, selon des sources concordantes.

Mais, cette fois, la circulation de groupes armés du Darfour au Tchad risque de poser un problème de mandat à la future force européenne, l'Eufor, qui doit se déployer prochainement dans l'est du pays. L'armée française, qui transporte les forces tchadiennes, évacue ses blessés et communique à ses chefs les renseignements au sujet des positions rebelles, pourra-t-elle regarder passivement, une fois intégrée dans l'Eufor, les rebelles tchadiens tenter des percées au Tchad ?

Un rapport de force pour en décider risque de s'établir avec le Tchad. Les "messages" convoyés ces jours derniers par les déclarations d'Idriss Déby montrent qu'il est déterminé à user peut-être de l'arme de la rue. Les hommes de l'Eufor sont donc avertis : la partie ne sera pas facile avec le pouvoir tchadien.

Cela d'autant que, comme toujours au Tchad depuis plusieurs décennies, intervient, aux côtés de la France et du Soudan, un troisième acteur : la Libye. Mouammar Kadhafi, qui estime que toute forme d'intervention internationale dans la région contrarie ses propres ambitions dans ce qu'il estime être la sphère d'influence de Tripoli, depuis le Sahara jusqu'à la Centrafrique, était très opposé au déploiement de l'Eufor. C'est donc aussi pour rendre service à l'allié libyen, généreux pourvoyeur d'armes et de véhicules 4×4 indispensables à la guerre dans cette région, que le président Déby s'est opposé ainsi à l'idée d'une force internationale.

La signature d'un accord de paix entre Idriss Déby et les responsables des quatre principaux mouvements rebelles tchadiens soutenus par le Soudan, le 25 octobre, aurait pu apporter un espoir de paix. Le président tchadien espérait qu'en signant cette paix avec les rebelles protégés par Khartoum, le Soudan mettrait fin à leurs activités. Cela n'a pas été le cas, ouvrant la voie à de nouveaux affrontements entre le Tchad et le Soudan, par supplétifs interposés.

(LE MONDE du 02.11)

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