Sur une natte, à l'ombre du préau du centre social d'Abéché, ils attendent là, souvent depuis une semaine. Djellaba blanche et foulard encadrant le visage, ces hommes au regard perçant commencent à s'impatienter, mais ne lâchent pas leur but, celui qui leur a fait débourser 5 500 CFA pour rejoindre le chef-lieu de région : retrouver leurs enfants. Des enfants dont ils ont appris par la radio, il y a dix jours, qu'ils avaient failli atterrir en France à bord du boeing affrêté par Children Rescue, le nom utilisé par l'Arche de Zoé sur place.
Animés d'un fort ressentiment, ces cultivateurs de la région d'Adré sont persuadés d'avoir été abusés. Les propos qu'ils livrent sont accablants pour les bénévoles de l'ONG. Si leurs témoignages se vérifient, les humanitaires français auront sans doute du mal à convaincre les juges de leur bonne foi.
Abderahim, Souleimane ou Arbab, tous déroulent la même histoire. Originaires des villages de Gilané ou Chikata, ils se souviennent bien de ces Blancs qu'ils ont vu débarquer en septembre et dont ils reconnaissent immédiatement le visage sur les coupures de presse. « Les Français sont venus, explique Abderahim, ils ont parlé à l'imam pour dire qu'une nouvelle école venait d'être construite à Adré et que nos enfants pourraient y suivre une formation. Ils ont évoqué des cours d'éducation islamique, de français et d'anglais. L'imam m'a convaincu et j'ai accepté de laisser partir mes enfants pour leur donner une bonne éducation. » Dans la chaleur poussiéreuse d'Abéché, Adberahim espère maintenant pouvoir revoir Noura, 3 ans,* Ibal, 5 ans, et Yaya, 6 ans.
A ses côtés, Arbab détaille le mode opératoire des Children Rescue. « Ils sont venus trois fois au village en espaçant leur visite d'une quinzaine de jours et en parlant à chaque fois de cette nouvelle école, confie ce père de famille dont les trois enfants n'avaient reçu jusque-là aucune instruction, faute d'établissement. L'imam relayait leurs paroles, notamment sur les cours de religion, mais ils ne nous ont pas dit qu'ils devaient finalement les emmener à Abéché. Et encore moins en France. » En colère d'avoir ainsi été trompés, tous affirment qu'aucune transaction financière n'a été conclue.
Pour certains pères, le déplacement et l'attente n'ont pas été vains. Hier et avant-hier, les autorités tchadiennes ont provoqué les premières rencontres à l'orphelinat. Selon les témoins, ce furent des moments très émouvants. « Tout le monde a fondu en larmes. Les parents comme les enfants. On ne pouvait plus les séparer », raconte Abou Honoré, le directeur du centre social d'Abéché. A ses yeux, au-delà de l'émotion, l'expérience fut riche d'enseignement. « C'était très concluant », insiste-t-il, tout en faisant les premiers comptes : les trois quarts des enfants (soit environ 75 à 78 sur 103) auraient été reconnus par 24 parents.
L'enquête menée conjointement par le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR), la Croix-Rouge international (CICR) et l'Unicef est donc en passe de se confirmer : les « orphelins du Darfour » seraient en fait des petits Tchadiens « confiés » par leurs parents. « Aucun enfant n'a encore été remis à quiconque, tempère Annette Rehrl du HCR. Nous devons établir un protocole très stricte de vérification. » Il n'empêche, de nombreux indicateurs tendent à prouver que les villageois qui ont fait le déplacement ne sont pas des usurpateurs. Mais, dans cette histoire, personne ne veut plus se presser et surtout se tromper. Le processus prendra encore des semaines.
* Une petite fille de 3 ans peut-elle être confiée, si loin de chez elle, à des Français inconnus pour des "cours de formation islamique, des cours de français et d'anglais" ? C'est insensé... Les deux autres enfants ont 5 ans, 6 ans. Ils semblent bien jeunes. Mais si l'iman du village a sur convaincre les parents...