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Les deux époux avaient envisagé tous les scénarios : "On se disait : si un jour la paix revient au Soudan et que des proches le réclament, il rentrera. Ce sera un crève-coeur, mais on se fera une raison." Mais si la guerre se prolongeait, ils pourraient engager les démarches pour lui obtenir la nationalité française, et pourquoi pas, pour l'adopter : "Au pire, si les services sociaux ne nous jugeaient pas aptes à le garder, il serait quand même mieux en France, dans une autre famille, que dans un pays en guerre."
Pour les Rieutord, l'aventure commence en mai. Après avoir entendu parler de L'Arche de Zoé à la radio, les enfants vont sur le site Internet de l'association pour en savoir plus. Ils découvrent un projet généreux et excitant : trouver des orphelins abandonnés au Darfour, promis à une mort certaine, et les transporter en France, à l'abri. La famille prend sa décision en deux jours. Claire téléphone à Eric Breteau, le chef de L'Arche de Zoé, qui l'invite à une réunion.
Au fil des contacts, les Rieutord sont séduits par Eric Breteau : "C'est un homme grand et costaud, explique Pauline, la fille aînée ; il a de la prestance, il parle bien. Il sait aussi écouter les autres. Ce n'est pas du tout un illuminé." Jean est sensible à la force émanant du couple formé par Eric Breteau et son amie Emilie Lelouch : "Eric et Emilie côte à côte, lui si fort, elle si jolie, et tous les deux si audacieux, cela avait une dimension romanesque, très attirante." Puis L'Arche de Zoé remet à la famille une "charte" : l'association s'y engage à ne violer aucune loi et à ne jamais mettre les enfants en péril. Jean se met à étudier le "Guide pratique de la demande d'asile".
En septembre, Eric Breteau rentre d'un voyage au Darfour. Il organise une réunion à Valence (Drôme) et annonce aux familles que l'opération entre dans sa phase concrète. Les Rieutord sont ravis : "Nous étions près de 600 dans la salle. Nous étions assis à côté d'universitaires, d'un fonctionnaire travaillant au Sénat, des gens sérieux. Il y avait une dynamique de groupe, tout semblait possible."
Eric Breteau avertit les familles que cette opération "atypique" sera probablement critiquée par les autres ONG et par une partie de l'opinion et que, désormais, la discrétion est de rigueur. Mais il fait aussi des déclarations ambiguës laissant entrevoir une possible face cachée de l'opération : "Sur le ton de la rigolade, il a dit qu'une personne ayant ses entrées à l'Elysée se trouvait dans la salle."
Certains parents se mettent à échafauder une théorie rassurante : le gouvernement français soutiendrait le projet en sous-main, mais ne pourrait pas faire de déclarations officielles, pour des raisons diplomatiques. Avec le recul, Jean s'étonne de sa propre naïveté : "On imaginait que Sarkozy voulait d'une part mener une politique dure en matière d'immigration, mais que d'autre part, il avait envie de montrer son grand coeur à l'occasion d'une opération exceptionnelle." Cette croyance est renforcée par la passivité des pouvoirs publics. En bonne fonctionnaire, Claire est persuadée que, si l'Etat était opposé à l'opération, il contacterait les familles pour les mettre en garde : "Or, il n'y a rien eu. J'ai écrit à mon inspecteur d'académie pour demander un congé exceptionnel, en expliquant clairement l'opération. J'ai reçu une réponse favorable."
Jean va plus loin : "Si j'avais vu apparaître un képi, reçu un courrier d'avertissement, j'aurais arrêté immédiatement." Il souligne aussi les ambiguïtés des hommes politiques : "Quand Kouchner a proclamé qu'il fallait établir des corridors humanitaires au Darfour, j'y ai vu un encouragement."
L'Arche de Zoé incite les familles à créer leur propre association, chargée de rassembler l'argent nécessaire. Les Rieutord versent d'abord 1 400 euros, puis on leur demande une rallonge de 800 euros. Jean paie sans broncher : "Notre entourage nous a aidés. Tous nos proches nous approuvaient. Enfin... presque."
Il y a pourtant une voix discordante. Etienne Pouchelet, 30 ans, l'ami de Pauline (la fille aînéedu couple) , se méfie de cette aventure : "A priori, j'aurais dû être pour, car je suis moi-même un enfant adopté, né au Liban et recueilli tout petit par une famille française. Et pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher de trouver cette affaire rocambolesque, incompréhensible. Ce Breteau me semblait bizarre, le côté commando de l'équipe me dérangeait. Leur site Internet était excessif, très agressif contre les autres ONG, accusées d'être nulles ou complices. C'était malsain."
Jean reconnaît à présent qu'il se posait parfois des questions. Un jour, il a demandé à Eric Breteau comment il comptait faire décoller un avion rempli d'enfants s'il n'avait pas les autorisations : "Il m'a répondu que si ça n'avait encore jamais été fait, c'est parce que personne n'avait encore eu la volonté de le faire. Voilà."
Inquiet, Etienne décide de mener son enquête : "Sur le site du ministère des affaires étrangères, L'Arche de Zoé n'était ni agréée ni même citée." Il tente de dissuader les Rieutord : "Je me suis disputé avec Pauline à cause de ça. Un jour, elle en a pleuré. Elle croyait à fond à ce projet, elle était blessée par mes critiques. Après ça, on évitait le sujet, de peur que ça dégénère."
Quand, le 24 octobre, les Rieutord reçoivent un appel leur annonçant qu'ils ont été sélectionnés comme famille d'accueil et que l'avion arrive le lendemain, le bonheur de sauver la vie d'un enfant balaie tous les doutes. Jean prévient son entreprise qu'il prend une semaine de congés. Pour Claire, ça tombe bien, ce sont les vacances scolaires. Même Etienne est solidaire. Il accompagne les Rieutord à l'aéroport et, comme eux, passe la nuit sur place à attendre. En vain.
Les jours suivants, face à l'avalanche de révélations catastrophiques sur la réalité de l'opération, les Rieutord sont d'abord incrédules. Aujourd'hui, ils se disent effondrés et n'arrivent plus à se faire une opinion : "Nous avons été bernés", soupire Jean, mais Claire le corrige : "Non, nous nous sommes bernés nous-mêmes."
Malgré tout, dimanche, les époux Rieutord sont allés place de la Bastille, à Paris, pour la marche de solidarité organisée par les familles des Français de L'Arche de Zoé détenus au Tchad.
Commentaires
Les raisons de la lâcheté en texte... Lien sur pseudo... Le reste alors.
Ce témoignage est une triste illustration du résultat du bourrage de crâne médiatique, gouvernemental, etc. que nous subissons à longueur de journée. Que de mensonges soigneusement calculés assortis de menaces plus ou moins voilées si on n’obéit pas. Il faut du courage, quelques connaissances historiques et du bon sens pour y résister. Ces pauvres gens qui n’ont pas beaucoup de jugeotes, mais qui sont aussi des « bobos », s’étonnent ensuite de ce qui leur arrive. Ils feraient mieux de se prendre par la main et d’étudier par eux-mêmes les problèmes qui les intéressent au lieu de tout avaler bêtement. Il y a des critères qui ne trompent pas, comme la simple chronologie en matière historique ! On ne risque pas de prendre les effets pour la cause et inversement si on respecte la chronologie ! Concernant l’Afrique, ont-ils ouvert un livre écrit par un véritable africaniste ? Se sont-ils renseignés sur ce qu’était l’Afrique au XVIème, qui est le point de départ de la situation actuelle, puis sur ce qu’elle devint au XIXème et ce qu’elle est maintenant ? Ce n’est pas difficile, cela se trouve partout, à condition de se donner la peine de lire. On me trouvera peut-être dur, mais ils méritent ce qui leur arrive.
Cher abad, je vous donne entièrement raison! Ils ne savent RIEN de l'histoire de l'Afrique, et ils ne veulent pas savoir. Ni être dérangés dans leur petit "confort moral". Je vais oser le dire: ils ne sont pas intelligents, et le véritable coeur passe par l'intelligence, mais comprendre cela n'est pas à la portée de tous. Il existe une véritable "synergie" de la sottise.
Amitiés!
Ce qui est le plus accablant, c'est l'atroce niaiserie de ces gens...
Ces gens-là sont abjects:ils vont faire leur marché pour enfants en Afrique,ils devraient être en prison au Tchad.