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A Marseille, on achète les votes des cités

Rolland Balalas avait la réputation d’un homme qui ouvre les portes... En livrant ses secrets à la justice, il en a peut-être ouvert une de trop : celle qui conduit au scandale. Secrétaire général du groupe socialiste au conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce militant actif et volubile, aux cheveux longs et à la barbe christique, était le pivot des attributions d’aides publiques aux associations dans les quartiers Nord de Marseille. Il était en outre l’assistant de la députée Sylvie Andrieux, figure du socialisme local dont ces cités grises et déshéritées sont la terre d’élection.

 Pour son plus grand malheur, Balalas est aussi, à présent, le principal témoin à charge des pratiques occultes du PS phocéen.

« Le fait d’aider abondamment les associations est le résultat d’une stratégie politique ; les vannes sont ouvertes en grand dans un but que l’on peut qualifier d’électoraliste et de clientéliste », a-t-il déclaré au juge Franck Landou, qui l’a mis en examen en juin 2008 pour « complicité de détournements de fonds publics ». Suivait cette accusation, tranchante comme un poignard : « Mme Andrieux utilise sans discernement les fonds publics sans se soucier de ce qu’il y a derrière, juste pour sauvegarder ses intérêts électoraux et politiques. C’est-à-dire qu’elle se fout complètement de savoir si ce que l’on finance est bon ou pas, dans la mesure où ça augmente sa popularité dans les quartiers. »

Depuis, l’écho de ces déclarations-pourtant jamais publiées à ce jour-s’est propagé jusqu’au coeur du système politique marseillais, suscitant embarras et inquiétudes. Sylvie Andrieux a vite proclamé que les subventions étaient attribuées « par les services administratifs de la région » . Et quand, au début de cette année, la brigade financière a interpellé plusieurs dirigeants associatifs et perquisitionné à l’hôtel de région, le président (PS) du conseil régional, Michel Vauzelle, s’est empressé d’annoncer que la collectivité se constituait partie civile dans l’instruction du juge Landou. Sans savoir que celui-ci avait pris de l’avance.

Voilà bientôt deux ans, en effet, que ce magistrat discret et méthodique reconstitue un stupéfiant puzzle : une galaxie d’associations gigognes aux noms passe-partout et aux buts incertains qui ont reçu des millions d’euros de subventions dont l’essentiel a été distrait de leur finalité sociale. Créées par un petit groupe d’individus influents dans les cités, toutes ont été subventionnées par la région au titre de la « politique de la ville » sans que jamais personne ne vérifie l’usage des fonds. Résultat : loin d’avoir servi à des actions d’insertion, ces sommes ont été détournées et leur trace se perd dans un labyrinthe de retraits d’espèces, de fausses factures et de dépenses personnelles-des ordinateurs jusqu’aux voitures de luxe.

« Aucune de ces associations n’a jamais effectué la moindre action conforme à ses statuts », a ainsi avoué l’un des piliers de ce réseau, Cédric Doco, commercial baratineur qui utilisait l’argent alloué pour acheter des machines (une pompe à carrelage et une pompe à béton, pour plus de 100 000 euros) pour sa propre SARL de construction.

« Tiroir-caisse »

Un autre a acheté des réfrigérateurs et des cuisinières pour le snack-bar familial. Avec les subventions, certains ont aussi acheté des Mercedes ! Sur les formulaires de demande, parents, voisins et copains de boîte de nuit étaient désignés comme autant de présidents et trésoriers fictifs. « Les gens que je démarchais ne voyaient qu’une chose , a confié Cédric Doco : le gain final grâce à l’argent du conseil régional. »

Animateur de plusieurs associations fantômes, Benyoub Same a précisé les termes de l’échange : « En contrepartie des subventions, je m’étais engagé auprès de Rolland [Balalas] à être disponible lors des élections sur le secteur : cela signifiait amener des gens aux meetings de Sylvie [Andrieux], faire de la propagande pour elle, ce genre de trucs. » Président d’une radio communautaire appréciée dans ces quartiers, Same aurait été recruté par Balalas pour soutenir l’élue socialiste après avoir fait campagne... pour la droite. « C’est quelqu’un qui avait foutu le bordel contre elle en 2001 dans son quartier de Font-Vert Picon, a expliqué ce dernier ; Sylvie Andrieux préférait l’avoir avec plutôt que contre. La contrepartie de ce retournement était de lui verser les subventions qu’il demandait par le biais des associations. »

Dans sa dernière audition par le juge, le 13 février, Balalas s’est montré encore plus explicite : « Same était très introduit auprès de Sylvie Andrieux. C’était quelqu’un qui, par ses réseaux, était capable de convaincre des gens de voter pour elle. Au moment des élections, elle le voyait presque tous les jours. Il s’est beaucoup investi pour la dernière campagne des législatives, en 2007, et aussi pour la présidentielle. Tous ces gens-là font les campagnes à chaque grand moment politique où il faut faire venir du monde. »

Pour attirer de nouveaux sympathisants, Same, Doco et leurs homologues faisaient miroiter emplois et faveurs diverses du conseil régional, voire l’assurance de pouvoir disposer un jour de sa propre association... « J’ai tellement promis de trucs pendant la campagne que je ne me souviens plus à qui j’ai dit ça », a lâché, cynique, l’un de ces « rabatteurs ».

Le pire est que, de toute évidence, l’existence de ces « réseaux d’influence » (l’expression est de Balalas) alimentés sur fonds publics relevait du secret de Polichinelle. Durant la campagne municipale de 2007, Philippe Sanmarco, ancien député socialiste rallié à Jean-Claude Gaudin, avait dénoncé à voix haute ces pratiques, qui transformaient selon lui la collectivité régionale en « tiroir-caisse » et résumaient l’engagement politique à une « distribution de prébendes ».

Placé en garde à vue le 19 février, le directeur de l’aménagement au conseil régional, Guillaume Lalange, l’a confirmé : « Les subventions octroyées aux associations des quartiers Nord font partie d’un système électoraliste. » Le haut fonctionnaire a ajouté avoir « remué ciel et terre » pour imposer des critères précis aux attributions de subventions, mais en vain. « Ma hiérarchie m’a expliqué que la situation existante convenait à Mme Andrieux, a-t-il précisé. Elle voulait que cette ligne n’ait pas de critères pour faire passer les dossiers de sa circonscription. Tout le monde le savait. »

Ce flou entretenu favorisait tous les abus. Certains élus marseillais rappellent l’émotion que causa, naguère, l’aide allouée par la région à un mouvement lié aux fondamentalistes musulmans du Tabligh. Personne, apparemment, n’avait cherché à savoir comment serait utilisé l’argent... Les enquêteurs s’interrogent, eux, sur le rôle joué dans les réseaux de Balalas par les membres d’une famille liée au banditisme marseillais. La rumeur policière (non étayée à ce jour par l’instruction) évoque même des achats d’armes... Et plusieurs témoins font état du comportement menaçant d’un gros bras à la réputation sulfureuse reconverti en animateur d’associations dans les cités ; ayant appris, à l’automne 2007, que la subvention attendue était suspendue à des vérifications en cours, l’homme avait surgi à l’hôtel de région et pris à partie Balalas en ces termes : « Tu veux faire le mariole ? Je vais m’occuper de ton cas, tu vas morfler ! »

A la même époque, la découverte de falsifications dans des dossiers de demande présentés au conseil régional resta pourtant sans effet. Une fonctionnaire avait pointé par écrit ces « anomalies ». Elle a raconté s’être fait rabrouer par Sylvie Andrieux : « Comment avez-vous pu écrire cette note ? lui aurait demandé l’élue. Vous n’y connaissez rien, vous n’êtes pas sur le terrain ! Moi j’y suis et je les connais. » La même a évoqué devant les policiers les « pressions » exercées sur les services administratifs par le « groupe PS ».

« Nous n’étions qu’une chambre d’enregistrement », a-t-elle résumé. Questionné par la brigade financière, l’un des collaborateurs de Balalas auprès des élus socialistes a lui-même fait part de son malaise : « L’ensemble de l’équipe du groupe PS est parfois écoeuré par la dilapidation de l’argent public », a-t-il soufflé. Face aux protestations internes, « Mme Andrieux avait répondu qu’en période électorale on ne pouvait pas être regardant », a-t-il ajouté. Sollicitée par Le Point , la députée n’a pas voulu réagir à ces dépositions.

« Fausses factures »

Plusieurs témoignages attestent cependant que ces alertes avaient provoqué son inquiétude. Informée en 2007 par Balalas de l’existence de fausses pièces dans les dossiers présentés par Benyoub Same, l’élue aurait alors donné à son collaborateur les instructions suivantes : « Tu le vois, tu lui dis ce qui se passe, qu’apparemment les gens se sont aperçus qu’il faisait des faux et qu’à un moment ça pouvait me mettre en danger et tu lui demandes de "reparamétrer" ses dossiers. » « Elle m’a dit qu’il était fou de faire ce genre de choses, qu’il fallait que ça s’arrête. Mais ça ne l’a pas empêchée de continuer à les financer », a ajouté Balalas. Avec cette conclusion : « Le système des "dossiers signalés" continue comme avant. »

Comme avant ? C’est à voir. En 2002, l’ancien responsable du service chargé de la politique de la ville au conseil régional, Christian de Leusse, dénonçant ces pratiques dans une note interne, redoutait que « l’institution-et particulièrement son président-s’expose à travers ces dossiers signalés ». Sept ans plus tard, sa sombre prédiction est en passe de se réaliser. Car l’enquête du juge Landou ne met pas seulement en cause Sylvie Andrieux. Plusieurs protagonistes assurent que le pouvoir d’attribuer les subventions relevait du cabinet de Michel Vauzelle.

« Toutes les listes [de demandes] sont avalisées par le directeur de cabinet du président », a certifié aux policiers le responsable de l’aménagement, citant le nom de Franck Dumontel et précisant : « Les négociations pour les dossiers se déroulaient entre Sylvie Andrieux et lui. » Ce dernier a quitté le conseil régional il y a quelques mois pour occuper le même poste à la communauté urbaine de Marseille, également dirigée par les socialistes. A la ville, il est aussi l’époux de Samia Ghali, ancienne élue régionale devenue sénatrice des Bouches-du-Rhône et figure de proue de la nouvelle vague du PS phocéen. De cette dernière Balalas a simplement dit, au détour d’un interrogatoire : « Elle a son propre circuit. » A la lecture de cette confidence, le juge Landou a sans doute pensé que la réputation de celui par qui le scandale est arrivé n’était pas usurpée : il n’a pas fini d’ouvrir des portes...

Le conseil régional Paca est le principal contributeur de la politique de la ville dans l'agglomération marseillaise. L'enquête du juge Franck Landou montre qu'à partir de 2004 le montant des subventions allouées aux associations phocéennes s'est multiplié d'année en année, pour atteindre 15 millions d'euros en 2006, 16,5 millions en 2007 et près de 18 millions en 2008. Les deux tiers des fonds étaient destinés à des projets relatifs aux quartiers Nord de Marseille.

Le Point - 18 mai 2009

Commentaires

  • "Cr

  • c'est le genre d'affaires qu'en fait tout le monde subodore , et qui devraient être révélées par le journalisme d'investigation si celui-ci existait en France.
    On devrait peut-être nommer Julien Dray comme président d'une commission parlementaire d'investigation ?

  • Et attendez qu’on institue le vote électronique avec des machines à voter, il ne sera plus nécessaire d’acheter le vote des cités déshéritées (sic !), ni de quiconque !

  • @ Paul-Emic: à Marseille, cela a pris des proportions inimaginables!

    Regarde la vidéo sur la cité Félix Pyat, pratiquement au coeur de la ville... C'est la seule que j'ai pu trouver. On ne trouve non plus aucune photo des cités, et elles sont nombreuses. A Félix Pyat, cité "interdite", ne vivent que des Algériens. Il ne fait pas bon à un vrai Marseillais d'aller s'y promener... la police n'y entre pas.

  • @voyageur: Sylvie -dont le père était déjà très influent - est franc-maçonne parmi les plus hauts grades. Intouchable.

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