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L'enseignement du français n'a plus de valeur formatrice - le règne d'un jargon ridicule - les élèves ne lisent plus

Les termes techniques ont envahi les cours de collège et de lycée. Au risque de dégoûter les jeunes des œuvres littéraires et de décourager les parents qui gardent comme référence le «Lagarde et Michard».

Mais pourquoi diable ne lisent-ils pas ? C'est la question qui taraude aussi bien les professeurs de français que les parents soucieux de la culture de leurs enfants. «Quand je les récupère, le bac en poche, observe Clélia Barrier, jeune enseignante dans le supérieur, ils sont incapables de situer Ronsard ou Victor Hugo. Ils ne lisent pas. Et quand je leur fais étudier le plus beau texte écrit sur la démocratie, le «Discours aux morts» de Périclès, dans La Guerre du Péloponnèse, leur seul commentaire est : “C'est de la propagande.” Aucune émotion, aucune adhésion, aucune analyse.» Tout ce travail des professeurs, toutes ces heures de cours, pour en arriver là ?

En août 2006, le journaliste alors chargé des pages éducation de Libération, Emmanuel Davidenkoff, publiait un livre étonnamment critique, au vu de ses articles, sur le système éducatif. La raison de cette soudaine prise de conscience ? Son impuissance à comprendre les cours abscons que subissait sa belle-fille en sixième. Tous les parents ont ainsi vécu des moments de solitude face à des «déictiques», des «focalisations internes» et des «schémas actanciels». Les plus lettrés ont osé se souvenir des Précieuses ridicules de Molière. Car ces notions importées de la linguistique et du structuralisme tels qu'on les étudie à l'université, ont peu de sens pour des gamins de 12 ans, qui plus est maîtrisant mal la langue. «C'est une étrange entreprise que d'équiper de béquilles des êtres à qui l'on n'a pas appris à marcher», écrivait, il y a dix ans, Michel Leroux, professeur de français, dans un texte publié par la revue Commentaire et intitulé «De l'élève à l'apprenant». De ce jargon, ils ne retiennent qu'une masse de mots savants qui peineront à masquer une incompréhension totale des textes. Les sujets du bac de français en 2009 confinaient ainsi à la pédanterie. Ceux qui demandaient, pour la série économique et sociale : «Dans quelle mesure le spectateur est-il créateur de la représentation ?», et, pour les bacs techno : «Le théâtre est-il seulement un art de l'artifice et de l'illusion ?» avaient sans doute oublié que très peu d'élèves fréquentent les salles de théâtre.

 

Réformateurs technicistes

 

Pour Agnès Joste, auteur en 2002 de Contre-expertise d'une trahison (Éd. Mille et Une Nuits), qui analysait l'évolution des programmes de français au lycée, «voilà vingt ans que l'on abreuve les enfants de termes techniques, certes passionnants, mais sans jamais se pencher sur le sens des œuvres. Alain Boissinot, inspecteur général de l'éducation nationale, s'était fait le chantre de ce qu'il appelait les “contenus objectivables” dans les programmes de français.» Autrement dit, des notions quasi scientifiques qui permettraient à l'étude de la littérature de sortir d'un flou jugé gênant. La bête noire de ces réformateurs aux aspirations technicistes ? Le vieux Lagarde et Michard, avec ses questions sur les «valeurs du héros» et la «morale» du texte. Un psychologisme, et donc un endoctrinement, inacceptable, qu'on a préféré remplacer, dans les années 1990, par l'analyse des «progressions à thème constant» ou à «thème éclaté». «Il ne s'agit surtout pas de dire que c'était mieux il y a quarante ans, nuance Cécile Revéret, auteur d'un petit livre, La Sagesse du professeur de français (L'œil neuf Éditions), racontant ses trente années d'expérience. On demandait de juger un texte, ce qui pouvait être paralysant. Il n'y a rien de plus difficile que de dire “pourquoi c'est beau”. Mais la linguistique et les figures de style ont pris toute la place. Pire, cette typologie des discours dont on leur rebat les oreilles, narratif, descriptif, argumentatif, incite les élèves à se méfier de l'auteur, à le soupçonner. Sous prétexte d'esprit critique, il s'agit de comprendre comment il cherche à nous influencer et de déjouer ses pièges. Or la littérature, ça nécessite de se laisser aller.»

 

Susciter le désir de lire

 

Ces professeurs de français en révolte contre l'enseignement que leur imposaient les programmes jusqu'en 2008 ne se veulent pourtant pas rétrogrades. «Les programmes de lycée, précise Agnès Joste, nous disent que l'étude du roman a pour but de “faire apparaître le fonctionnement et la spécificité du genre narratif”. Avec mes élèves, j'étudie Bel Ami, de Maupassant. Je leur montre qu'il y a dans le début du roman une double focalisation, d'abord externe, puis interne (on voit d'abord le personnage de l'extérieur, puis on pénètre ses pensées). Mais je n'utilise pas le texte comme prétexte pour étudier la focalisation. Au contraire, j'utilise cette notion pour leur expliquer qu'en entrant dans la tête du personnage, Maupassant nous le démasque.» Jean-Paul Brighelli, auteur de la Fabrique du crétin et professeur en classe préparatoire, renchérit : «Ce dont les élèves ont envie, c'est qu'on leur raconte des histoires, qu'on leur dise comment on raconte des histoires et pourquoi un auteur éprouve le besoin de raconter ces histoires. Quand on leur fait remarquer un procédé littéraire, surgit immanquablement cette question : “Vous êtes sûr que l'auteur l'a fait exprès ? ” Ils ont besoin qu'on leur montre qu'écrire relève d'un travail.»

Rien de plus compliqué pour une institution comme l'éducation nationale que de susciter le plaisir de lire. Au point que les professeurs de français s'interdisent d'en rêver. Mais l'instrumentalisation de la littérature pour définir des situations de communication a peu de chances d'y parvenir. Le structuralisme dont se réclament les anciens programmes de collège et les actuels programmes de lycée prescrit que les sentiments d'un personnage sont «des sentiments de fiction et de langage». Comme un message envoyé aux jeunes lecteurs : tout cela n'a rien à voir avec la réalité et ne sert, bien sûr, à rien. «Au contraire, proteste Agnès Joste, les livres sont pour les jeunes autant de propositions d'existence, et même d'autorisations à penser.»

Encore faut-il ne pas en effacer toute valeur formatrice ni toute dimension humaine, et - osons le terme - morale. À l'heure où certains professeurs font étudier 99 F, de Frédéric Beigbeder, à leurs élèves de troisième, l'auteur de Contre-expertise d'une trahison plaide pour des programmes qui tout simplement se focaliseraient sur la culture que doivent acquérir les élèves, et sur ces auteurs qu'ils ne devraient pas avoir manqués à leur sortie du système scolaire. Une suggestion lancée vers la Rue de Grenelle, à l'heure où la réforme du lycée implique une refonte des programmes.

Le Figaro - 03 décembre 2009

Commentaires

  • Pour détruire un peuple, il faut commencer par détruire sa langue, l’instrument de la pensée….

  • Cher abad: eh oui! Cette guerre-là, contre notre langue, contre nos écrivains, contre notre littérature qui a valeur universelle, il faut aussi en rendre compte, même si elle passe plus inaperçue... si elle est plus insidieuse...

    Ils parlent de "culture" pour ne pas parler du génie de la langue française...Toutes les cultures ne sont pas égales, loin de là!

    Bien fait si un élève cpf leur troue le bide ! Ils n'ont pas à se plaindre! Ils l'ont bien cherché! Un poignard pour Racine! Une raclée pour Molière!

  • Raison de plus pour veiller sur son entourage, le mettre en garde, instruire ses enfants à temps et contre-temps, et surtout ne jamais baisser les bras.
    Nos ennemis savent que c'est par la déstructuration mentale des jeunes enfants que la France risque de mourir, nous pouvons faire comme les Polonais, contrôler les leçons d'école de nos enfants, leur expliquer les mensonges enseignés, leur apprendre la prudence pour être bien notés, mais ne pas être intoxiqués.
    Un corniaud veut supprimer l'Histoire de France et la Géo, (entendu à la radio), là aussi il faut instruire les générations françaises plus jeunes. L'Histoire du Passé contrôle le présent et prépare l'avenir. Sans celà, plus de racines, et plus de racines, c'est la mort.

  • @Abad et turigol : je suis tout à fait d'accord avec vos commentaires que je co-signe.

  • Je me permets d'indiquer une "astuce "que j'utilise depuis quelques mois avec mes enfants, et çà marche, du moins je le crois. Voici mon "système: ... je prends par exemple le mot :télé = au loin en grec, j'enchaine avec phone = la voix et associe ces deux mots (téléphone =voix au loin), puis Scope = regarder, donc téléscope, (regarder au loin)
    puis avec scope je prends : péri = autour en grec , les deux = regarder autour etc
    puis Pan = tout en grec, et Oran= voir = donc panorama= tout voir,puis chronos= temps en grec et métron = mesure, pluis kilog=mille = kilomètres et ainsi de suite, les gosses retiennent très bien, surtout en leur disant que ce sont des mots simples et courants à employer.
    Bien leur inculquer le a privatif (alpha privatif) comme dans a-phone = privé de voix.
    Pas besoin d'être helléniste ( çà aide bien sûr), mais avec un peu de débrouille vos enfants saurons naturellement que la (oh làlà ce mot) Dendrochronologie est facile à comprendre : dendros= arbre, chronos= le temps=logie=étude, connaissance= donc simplement l'étude de l'âge d'un arbre. Mot compliqué, mais en réalité très simple.
    Battons-nous avec ce que nous avons, Chateau-Jobert le disait toujours , et surtout avec ce que nous pouvons et devons essayer.
    On nous parle sans cesse de "pandémie", les enfants savent que "pan"= tout en grec, précisons leur que "démos" =peuple = tous les peuples atteints, enchainons "démos" peuples et "cratein' = commander = démocratie = peuple qui commande, mais là, c'est un mensonge.
    Les enfants sont fiers de répondre surtout en les mettant en concurrence ce qui cré une émulation pas toujours sans petites jalousies pour celui, celle qui répond moins vite.

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