Pendant la Seconde Guerre mondiale, la population juive a plus que décuplé dans ce petit pays des Balkans où, au nom de la parole donnée, on a protégé les victimes pourchassées. Aujourd'hui, Israël honore 65 «Justes» en Albanie.
La plaque est prête. Sur le marbre sont gravés les soixante-cinq noms de Justes albanais qui ont sauvé des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Passé le haut porche sur lequel court l'immense frise en mosaïques honorant les camarades qui, jadis, avançaient déterminés vers le socialisme, cette plaque a trouvé sa place à l'étage du Musée historique national de Tirana consacré à la lutte antifasciste. Officiellement dévoilée lundi, sa présence rend compte du comportement exemplaire de l'Albanie durant le deuxième conflit mondial, mais aussi de la volonté d'un pays coupé du monde pendant quarante- cinq ans de rejoindre l'histoire commune européenne.
Par bien des aspects uniques, ce petit pays balkanique n'a pas seulement protégé des troupes italiennes, puis des nazis, les Juifs qui vivaient sur son sol, mais a accueilli tous ceux venus de Pologne, Allemagne, Autriche, Grèce, Bulgarie ou des différents territoires de l'ex-Yougoslavie. Tous, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, instruits ou pas, ont trouvé auprès d'habitants majoritairement musulmans l'aide que d'autres nations européennes chrétiennes leur refusaient.
Le refuge albanais était à ce point sûr que la population juive - fait unique en Europe - n'a pas diminué ici mais plus que décuplé durant la Seconde Guerre mondiale. Évidemment, les chiffres, bien que sans cesse révisés à la hausse à mesure que de nouveaux témoignages émergent des profondeurs de la pire dictature communiste qu'ait connue le Vieux Continent, restent modestes. On estime qu'environ 200 Juifs vivaient en 1939, lors de l'invasion italienne, dans une Albanie de quelque 800 000 habitants. Ils étaient au minimum 2 500 en 1944, après deux années d'occupation nazie. Et ce, sans prendre en compte les centaines de Juifs qui sont passés des années 1930, et jusqu'à la fin du conflit, par l'Albanie pour plus facilement prendre le large.
Le Kanun et la Besa
«Et alors ?» La première réaction est toujours la même quand on demande à un témoin de l'époque de raconter comment sa famille a abrité des Juifs durant la guerre. Ne voyant pas où réside l'héroïsme à accueillir une personne dans le besoin, l'interviewé finalement essaie, un peu contraint par les questions, de trouver une justification à cette hospitalité exceptionnelle. Il parle alors de la tradition albanaise, de l'islam ou du Kanun, ce code d'honneur très particulier invoqué dans ce pays aussi bien pour tuer que pour sauver des vies. Dans le Kanun, en effet, parmi toutes les règles venues du plus profond Moyen Âge, il y a la Besa, cette parole donnée à son voisin, à un ami, à un inconnu, de le protéger jusqu'à la mort.
Souvent les histoires commencent simplement. «J'avais 11 ans, dit Myzafer Kazali, et nous avons fini à vingt dans notre maison de Tirana.» Dans ces 400 m² tournant autour d'une cour intérieure se sont progressivement joints aux Kazali, déjà nombreux, des Albanais en fuite, puis, à compter de l'invasion allemande en 1943, la famille de David. «Mon père, explique Myzafer, un homme aujourd'hui âgé mais à l'esprit alerte, a vu un jour un groupe de Juifs venant de Belgrade arriver en camion dans notre quartier. Il a accueilli David, sa femme et ses deux enfants.» Les autres familles juives ont trouvé d'autres hôtes. «Oui, les voisins étaient au courant. Mais on avait de très bonnes relations avec eux. Les maisons communiquaient les unes avec les autres. Nous, les enfants, on jouait ensemble.»
Mathilda, devenue Hatija, et Salomon, devenu Memo, n'allaient pas à l'école et ne sortaient dans la rue qu'au milieu des gamins de leur âge. Leur mère, Esther, appelée Fatima, cousait à la maison et parlait turc. «Elle a eu un visa pour la Turquie, et toute la famille est partie avant la fin de la guerre. J'ai su que Mathilde s'est mariée en Argentine et que Salomon a été violoncelliste aux États-Unis.»
Née dans une famille catholique orthodoxe, Margarita Kristidhi avait, elle, six ans quand Joseph Kambi est arrivé. Cette pianiste, qui a d'agréables manières bourgeoises et parle un français parfait, montre une photographie de Joseph, jeune homme de 25 ans, discutant avec deux fillettes dans des fauteuils en rotin, près d'une baie vitrée. «C'était notre maison à la mer, à Durres. Moi, j'étais la petite. Joseph est arrivé à pied de Skopje (aujourd'hui en Macédoine). Ils étaient 17 de sa famille dans le camp et, à la veille de partir pour Auschwitz, ils ont réuni tous leurs biens pour corrompre un gardien. Un seul pouvait partir. Ils ont tiré au sort. C'est Joseph qui a été choisi.»
Pas de mot pour l'Holocauste
Le grand-père de Margarita était un Grec qui vivait dans l'actuelle Macédoine. C'est lui qui a adressé Joseph à son fils, qui avait émigré à Tirana. «Mon père, poursuit Margarita, a vu arriver un homme sale et barbu - Joseph marchait la nuit et dormait le jour dans des étables. Il parlait le grec macédonien. Nous avons dit qu'il était notre cousin.»
Les Kristidhi vivaient tantôt à Tirana, tantôt à Durres. «Joseph me fabriquait plein de petits bateaux en papier que je posais sur le bord de la mer. Il me disait, un jour, je prendrai un de tes bateaux.» Et dès l'armistice signé, comme tous les Juifs qui n'étaient pas nés en Albanie, il a émigré. «Joseph était en Israël, conclut Margarita. Il nous a envoyé des lettres. On a reçu un paquet. Puis plus rien.» Le dictateur Enver Hodja venait d'abaisser le rideau de fer.
Les quelque 200 Juifs albanais, claquemurés comme les autres dans un univers dément, ont tenté de survivre, en veillant surtout à ne pas attirer l'attention. Le mot et la réalité de l'Holocauste n'existaient pas. Il n'y avait eu qu'une guerre antifasciste, remportée par les seuls partisans marxistes du camarade Hodja. En l'année 1968, le dictateur francophone reçoit cependant une lettre d'un historien français le questionnant sur la présence des Juifs dans son pays durant la Seconde Guerre mondiale. La demande atterrit dans les mains d'Apostol Konati. Chapeau vissé sur la tête, l'oeil rieur, cet homme aujourd'hui âgé de 83 ans dirigeait à l'époque l'Institut d'histoire marxiste. Ancien partisan et bon communiste, il exécute l'ordre du camarade Hodja, rencontre donc des Juifs albanais et se rend aux Archives pour écrire son rapport, qui est transmis au comité central. Puis enterré. «Dans les années 1950, affirme Apostol, Israël a demandé à Hodja de laisser émigrer les Juifs albanais.» Pas de problème, a rétorqué le dictateur : «Ils sont libres et s'ils en font la demande, ils partiront.» Cette réponse fait encore rire Apostol. Au vrai, les Juifs albanais attendront la chute du régime communiste, au début des années 1990, pour partir. Ils emporteront avec eux leurs souvenirs et alerteront le mémorial de Yad Vashemainsi que la communauté juive américaine.
Rafik Veseli, qui deviendra le premier Juste albanais, a effectué, en 1991, un an avant que le régime ne tombe, un voyage en Israël. «L'arrivée d'un communiste musulman a été médiatique !», se souvient son fils. Un sourire, puis il reprend: «Mon père Rafik était partisan. Il a recueilli la famille de Moshe Mandil, qui venait de Novisad, en Voïvodine, et qui avait été internée au camp de Pristina, au Kosovo. Moshe s'est protégé grâce à une seule photo : celle de sa famille devant un arbre de Noël.» Comment les nazis auraient-ils pu imaginer qu'une famille juive célébrait une fête chrétienne?
Zog Ier et l'ambassadeur américain
Moshe était photographe. Il est entré dans la boutique de photographies de Tirana où Rafik était apprenti. Moshe forma à son métier Rafik, lequel le cachait, tantôt à Tirana, tantôt dans des villages plus reculés quand les Allemands fouillaient la ville. Rafik deviendra le photographe officiel du régime d'Hodja, ce qui l'autorisera à correspondre avec Moshe. Et à tenir fermement en main le fil de cette histoire jusqu'en 1991-1992.
Ouvertes à la même époque, mais longtemps sans système informatique, les Archives nationales albanaises ont mis une bonne dizaine d'années pour reconstituer ce passé. Pourquoi le régime communiste, qui s'était lancé dans la destruction de tous les édifices religieux en 1967, aurait-il isolé dans sa culture officielle l'histoire des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale? L'actuelle directrice des Archives, l'historienne Nevila Nika, qui a récemment mis en perspective cette facette de la guerre en Albanie, explique qu'il y eut d'abord, dans les années 1930, le roi Zog, qui accueillit beaucoup de Juifs dans son entourage et délivra nombre de visas de touristes à tous ceux qui souhaitaient fuir un continent en train de basculer dans l'horreur. Avec l'ambassadeur américain, Zog Ier a même projeté de constituer un foyer juif en Albanie ouvert à tous les persécutés du Reich. L'invasion italienne, en 1939, tua ce rêve. L'occupant commença à recenser les Juifs, à diriger ceux qui étaient de nationalité étrangère vers des centres, avant finalement d'admettre «qu'en Albanie, il n'y a pas de base légale pour la discrimination raciale».
Entre la capitulation italienne, le 8 septembre 1943, et l'arrivée des Allemands, le 14, un nouveau gouvernement albanais avait eu le temps de se constituer. Il ne tolérera pas plus le port de l'étoile jaune que la politique antisémite du Reich. «Il est clair, assure Nevila Nika, que le gouvernement albanais de l'époque a protégé les Juifs sur son territoire.» Avec le concours d'une population qui abritait également 30 000 à 40 000 déserteurs italiens, que les nazis pourchassaient autant que les Juifs.
Le Figaro- 10.02.10
Commentaires
Et ça continue : on réinvente l’histoire de plus belle ; tout ça pour faire oublier, à ceux qui ont la mémoire courte, que l’Albanie a été sous le joug de la dictature communiste la plus féroce que l’on ait connue, avec la complicité souvent active de nombreuses personnalités françaises ! Les victimes de cette dictature sont effacées et passées par pertes et profits, mais surtout profits !
"Zog 1er a même projeté de constituer un foyer juif en Albanie...". Excellent scenario pour Hollywood, je n'en peux plus de rire !
En rappelant sans cesse que le communisme est une invention de pharisiens.
C'est TITO, ou HOXA qui était élu?
« Comment les nazis auraient-ils pu imaginer qu'une famille juive célébrait une fête chrétienne? » Hé oui, les nazis étaient les derniers des crétins (sans faute d’orthographe !). C’est ce que le figaro croit que nous sommes. Rappelons simplement que l’Albanie a été une des alliées de l’axe, comme beaucoup de musulmans ! Le reste c’est de l’histoire à la sauce du révisionnisme !
@abad
La haine des Serbes envers les Albanais et par ricochet envers les Kosovar remonte à cette période de l'histoire où ces deux communautés sont responsables de la mort de milliers de "partizan" de Tito car ils furent dénoncés aussi bien aux Italiens qu'aux Allemands.
A noter que les Bosniaques se sont également illustrés dans ce genre de mauvaises plaisanteries.
Je ponds mon info ici et tant pis si ce n'est pas l'endroit:
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2362/articles/a418759-.html
Dites, c'est loin l'Amérique?
Déjà que:
http://www.laquadrature.net/fr/loppsi-la-censure-du-net-adoptee-a-lassemblee