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Le coup de pouce de Woerth pour la succession du sculpteur César

Alain dominique Perrin Woerth et césar.jpg
A-D Perrin, Eric Woerth, César -  (Cliquez sur la photo)
Un document que s’est procuré «Libération» prouve que le ministre est intervenu directement, en 2008, pour alléger le redressement fiscal sur la succession du sculpteur.

La passation de pouvoir a été discrète. Sans poignée de main. Vendredi, le ministre du Travail, Eric Woerth, a finalement transmis ses fonctions de trésorier de l’UMP à Xavier Bertrand, secrétaire général du parti. Cette démission voulue par Nicolas Sarkozy est, pour l’heure, la seule conséquence politique tirée de l’affaire Bettencourt. En démissionnant, Eric Woerth a contesté une nouvelle fois tout conflit d’intérêts entre ses fonctions passées de trésorier et de ministre du Budget. Il s’était aussi montré catégorique, le 27 juin, pour certifier s’être tenu à l’écart des procédures de contrôle dévolues à l’administration fiscale. «Je n’ai jamais déclenché de contrôle fiscal, comme je n’ai jamais empêché un contrôle fiscal», avait-il déclaré.

Dégrèvement.Libération peut révéler qu’Eric Woerth est directement intervenu dans un contrôle fiscal, celui de la succession du sculpteur César, à la suite de ses pourparlers avec l’exécuteur testamentaire de l’artiste, Alain-Dominique Perrin, président de la Fondation Cartier pour l’art contemporain et grand donateur de l’UMP. L’intervention du ministre s’est traduite en 2008 par un dégrèvement fiscal de 27 millions d’euros sur la succession du sculpteur, sans compter les pénalités de mauvaise foi, effacées elles aussi. Dans un courrier adressé le 24 avril 2008 à l’avocat de la succession, Eric Woerth explique qu’il a été saisi par l’avocat de la dernière compagne de César, Stéphanie Busuttil, de «la situation fiscale de César Baldaccini et de la Société civile de l’atelier de César (Scac) au regard des redressements dont ils ont fait l’objet à la suite des contrôles diligentés au titre des années 1997 et 1998».

Le fisc avait, courant 2000, engagé un très lourd redressement pour «insuffisance de déclaration» après avoir répertorié 230 œuvres manquantes dans la succession. Eric Woerth accepte alors de procéder à une «révision du passif fiscal», compte tenu du classement en 2006 de l’enquête pénale pour vol, abus de confiance et recel visant la disparition d’œuvres. «Il ressort de l’examen approfondi de ce dossier que, dans le cadre de la vérification de l’activité de sculpteur déployée par M. Baldaccini, le rehaussement opéré en 1998 au titre des œuvres manquantes ne peut être maintenu», annonce-t-il. Les redressements sont abandonnés. «Ces décisions seront prochainement prononcées, dans les formes réglementaires, par la direction nationale des enquêtes fiscales», conclut le ministre. Il est donc bien intervenu, et ce en amont des services et des «formes réglementaires». A la demande de l’avocat de la compagne de César, mais surtout d’Alain-Dominique Perrin. Ancien patron de la compagnie financière Richemont (deuxième groupe mondial de produits de luxe), Perrin appartient, comme Patrice de Maistre, l’homme de confiance de Bettencourt, au réseau des donateurs du parti présidentiel. Comme lui, il connaît le trésorier de l’UMP, devenu ministre du Budget. «L’administration n’avait pas besoin que le ministre intervienne, estime un juriste. Le ministre suit les affaires signalées, mais il n’intervient que dans l’intérêt de la République. Négocier avec un généreux donateur qu’il connaît personnellement n’est pas normal

Pourparlers. «Le contrôle fiscal durait depuis un certain temps, raconte un juriste. Neuf ans plus tard, la négociation s’engage. Pourquoi ? Parce qu’Alain-Dominique Perrin connaît mieux Woerth que les précédents ministres.» Les avocats des deux hommes n’ont pas contesté ces pourparlers. «En réalité, il y a eu des discussions sur des œuvres dont on s’est aperçu qu’elles n’étaient pas manquantes, assure Me Jean-Yves Leborgne, l’avocat d’Eric Woerth. Et la décision prise n’est pas la décision de M. Woerth, c’est la décision de l’administration.» «Compte tenu du caractère majeur de l’œuvre de César, il n’y a rien d’étonnant à ce que des discussions aient pu avoir lieu au plus haut niveau de l’Etat, et ce sans qu’aucune conclusion puisse en être tirée», commente Me Antoine Chatain, l’avocat d’Alain-Dominique Perrin. Fait chevalier, puis commandeur de la Légion d’honneur par Pierre Messmer et Jean-Pierre Raffarin, le président de la Fondation Cartier ne cache pas son engagement à droite. «Alain-Dominique Perrin contribue, à titre personnel depuis trente ans, et ce de manière officielle, à l’UMP et aux différents partis qui l’ont précédé, confirme Me Chatain. Mais cette appartenance politique relève de sa vie privée.»

Décédé en décembre 1998, César compte trois héritières : sa fille et son épouse, Anna et Rosine Baldaccini, ainsi que sa dernière compagne, Stéphanie Busuttil, à laquelle il a légué un droit moral sur son œuvre et la quotité disponible. Alain-Dominique Perrin, lui, a été désigné par César, peu avant sa mort, comme l’un de ses deux exécuteurs testamentaires, une mission «bénévole». Perrin est lui-même collectionneur de sculptures de César. Proche de la dernière compagne de l’artiste, il n’a jamais participé aux réunions d’administration de la succession. La famille du sculpteur et plusieurs protagonistes ont d’ailleurs découvert l’existence de ses négociations avec Eric Woerth, après coup, fin 2009 seulement. «Un travail important a été fait pour retrouver les prétendues œuvres manquantes, estime Me Chatain. Le vrai scandale est d’avoir fait des redressements qui n’avaient aucun lien avec la vérité.»

Libération.fr - 04/08/10

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