Dans un article récent paru dans le Monde daté du 3 octobre, Jean Clair dénonce brillamment les « traders » du marché de l’art contemporain. « La mutation s'est faite à l'occasion des transformations d'un marché de l'art qui, autrefois réglé par un jeu subtil de connaisseurs, directeurs de galeries d'une part et connaisseurs de l'autre, est aujourd'hui un mécanisme de haute spéculation financière entre deux ou trois galeries, une maison de ventes et un petit public de nouveaux riches ». Objet de spéculation, entreprise de potlatch pour oligarques en quête de reconnaissance culturelle, recyclage de liquidités et de symboles, ce territoire aux limes indéfini allie les fumisteries les plus grossières aux stratégies mercantiles les plus patentes.
Ainsi la combine actuelle pour donner du lustre à l’insignifiance est-elle d’organiser une rencontre improbable entre ce que la patine du temps a consacré comme valeurs artistiques, ce que l’on nomme la high culture, le patrimoine reconnu comme tel, et ces produits au goût vulgaire, kitch, parfois douteux et répugnant, flirtant autant avec l’infra conscient le plus marécageux et la superficialité infantile de la production de masse actuelle. L’association entre les noms de Takashi Murakami et Versailles, le palazzo Grassi et Jeff Koons, en attendant d’autres joyeuses sauteries, n’a pas été sans provoquer des sursauts d’indignation, qui paraissent malheureusement assez vains si l’on considère que c’est finalement tout le legs patrimonial qui est aujourd’hui livré à l’avidité marchande. Mais il est vrai que l’objet d’art en soi, en ce qu’il attire tous les désirs de beauté et d’âme, ainsi que les cadres prestigieux de notre Histoire, ont de quoi rendre sensible la question de l’édulcoration de l’art, de sa banalisation et de sa survie dans un monde où la laideur est reine.
Cette laideur hante surtout d’ailleurs les circuits virtuels de ce qu’il est convenu d’appeler la nouvelle convivialité, laquelle bien sûr ne saurait être qu’une parodie, au même titre que la poupée gonflable en guise d’aventure galante. La « toile » est donc devenue cette demeure d’une araignée monstrueuse, mondiale, qui ronge les cervelles, les énergies et les cœurs. Le domaine absolu de l’artifice, qui se pare outrageusement des vertus de l’authenticité. Le Diable n’aurait pas fait mieux.
Les jeux vidéo sont tristes à mourir, avec leur univers de pacotille, leurs zombis mimant grotesquement la vie, leur violence hyperbolique pour adolescents masturbateurs, leurs plongées dans des boyaux opaques où se mêlent fantasmes destructeurs et amoralisme tranquille. Le jeu vidéo ne pouvait qu’obtenir un immense succès dans un univers qui juxtapose la propreté aseptisée du calvinisme à la puanteur du caca refoulé. Et les écrans sur lesquels heurtent les fronts plissés engendrent autant de profits que la pornographie électronique.
Il ne lui manquait plus que de s’investir dans le marché de l’Art, avec un grand A. La galerie parisienne Arludik (on notera l’écriture phonétique, qui dénote chez ces gens une imagination potache assez pitoyable, et l’inévitable « ludique », traduction la plus manifeste de la débilité moderne – faut qu’ça décoiffe ! Faut s’marrer ! Connards !) s’y emploie à l’occasion d’une exposition de toiles qui ont servi d’illustrations de base à un jeu vidéo intitulé Assassin’s Creed. Chaque toile est vendue entre 500 et 2000 €. C’est un début. L’agent en mal de « coups » ne manquera pas dans ce domaine encore relativement vierge d’Ambition (avec un grand A).
Car, de façon plaisante, l’argumentation visant à justifier une telle entreprise ne manque pas de piquant. On remarquera que le jeu vidéo est loin d’obéir aux critères dogmatiques d’une abstraction qui s’est imposée dans l’après-guerre comme l’unique manière de concevoir l’art. L’adolescent actuel n’aurait certes pas supporté de décharger son adrénaline sur des magmas à la Pollock ou même des jets de lumière à la Kandinsky. Le goût de l’adolescent est resté à peu près celui de l’art pompier du 19e siècle, et son imagination ne saurait aller plus loin. D’ailleurs, à y regarder de plus près, le contenu même des jeux qui nourrit la fable est de la même facture : l’intrigue de Assassin’s Creed, mimant à sa façon le modèle du « choc des civilisations » dont se nourrit le délire atlantiste, ne met-il pas aux prises les Templiers et la secte des Assassins ?
Mais ce n’est pas encore là qu’on atteint la bêtise dans sa plus grande profondeur. Car au fond, la Chanson de Roland use du même manichéisme. Mais il est vrai que notre chef d’œuvre médiéval est transfiguré par la langue enluminée de (peut-être) Turold, tandis que le jeu vidéo n’est qu’un fatras d’images besogneuses, aussi pesantes que la prose d’un Bernard Henri Levy. Ce qui n’est pas peu dire.
Comme les théoriciens (les promoteurs ?) de l’Art contemporain, pour vendre leur camelote, comme des larrons menteurs, n’en sont pas à une palinodie près, ils invoquent maintenant les mânes de la Renaissance. Car le jeu vidéo, fatalement, ne pouvant être que figuratif, ils effectuent un virage à 180 degrés. Cet art méprisé, condamné, voué aux gémonies, le voilà qui renaît de ses cendres, pour la plus grande gloire du dieu dollar. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Non seulement on redonne hypocritement de la valeur à la représentation de la figure humaine (même dégradée), mais on invoque le Grand Art, celui de la Renaissance, pour justifier ce changement acrobatique de ligne idéologique et mercantile. Voilà que les designers qui conçoivent ces jeux sont assimilés aux « auteurs » du quattrocento, à Leonard et à d’autres. On argue, pour produire ce grotesque rapprochement, de la méthode de travail utilisée. En effet, les artistes de la Renaissance produisaient leurs œuvres dans des ateliers, et il est parfois difficile de démêler dans une création ce qui est de la main du maître et de ce qui est de l’exercice d’un élève et disciple.
Toutefois, au-delà des apparences qui trompent, il faut rappeler, pour disqualifier une telle prétention, quel était le projet humaniste des artistes de la Renaissance Leur foi dans la transmission artistique, leur croyance en une hiérarchie des valeurs, leur adhésion à l’idée intransigeante d’une Beauté transcendante, leur aristocratisme sans concession, sont très éloignés du souci industriel actuel, pour qui le succès est l’unique valeur, comme aussi bien le cours de bourse et le marché, et qui s’inspire, dans son style, son goût et ses aspirations, de tout ce qu’une société de masse secrète de plus lourd, de plus bête et de plus grossier.
Ainsi la combine actuelle pour donner du lustre à l’insignifiance est-elle d’organiser une rencontre improbable entre ce que la patine du temps a consacré comme valeurs artistiques, ce que l’on nomme la high culture, le patrimoine reconnu comme tel, et ces produits au goût vulgaire, kitch, parfois douteux et répugnant, flirtant autant avec l’infra conscient le plus marécageux et la superficialité infantile de la production de masse actuelle. L’association entre les noms de Takashi Murakami et Versailles, le palazzo Grassi et Jeff Koons, en attendant d’autres joyeuses sauteries, n’a pas été sans provoquer des sursauts d’indignation, qui paraissent malheureusement assez vains si l’on considère que c’est finalement tout le legs patrimonial qui est aujourd’hui livré à l’avidité marchande. Mais il est vrai que l’objet d’art en soi, en ce qu’il attire tous les désirs de beauté et d’âme, ainsi que les cadres prestigieux de notre Histoire, ont de quoi rendre sensible la question de l’édulcoration de l’art, de sa banalisation et de sa survie dans un monde où la laideur est reine.
Cette laideur hante surtout d’ailleurs les circuits virtuels de ce qu’il est convenu d’appeler la nouvelle convivialité, laquelle bien sûr ne saurait être qu’une parodie, au même titre que la poupée gonflable en guise d’aventure galante. La « toile » est donc devenue cette demeure d’une araignée monstrueuse, mondiale, qui ronge les cervelles, les énergies et les cœurs. Le domaine absolu de l’artifice, qui se pare outrageusement des vertus de l’authenticité. Le Diable n’aurait pas fait mieux.
Les jeux vidéo sont tristes à mourir, avec leur univers de pacotille, leurs zombis mimant grotesquement la vie, leur violence hyperbolique pour adolescents masturbateurs, leurs plongées dans des boyaux opaques où se mêlent fantasmes destructeurs et amoralisme tranquille. Le jeu vidéo ne pouvait qu’obtenir un immense succès dans un univers qui juxtapose la propreté aseptisée du calvinisme à la puanteur du caca refoulé. Et les écrans sur lesquels heurtent les fronts plissés engendrent autant de profits que la pornographie électronique.
Il ne lui manquait plus que de s’investir dans le marché de l’Art, avec un grand A. La galerie parisienne Arludik (on notera l’écriture phonétique, qui dénote chez ces gens une imagination potache assez pitoyable, et l’inévitable « ludique », traduction la plus manifeste de la débilité moderne – faut qu’ça décoiffe ! Faut s’marrer ! Connards !) s’y emploie à l’occasion d’une exposition de toiles qui ont servi d’illustrations de base à un jeu vidéo intitulé Assassin’s Creed. Chaque toile est vendue entre 500 et 2000 €. C’est un début. L’agent en mal de « coups » ne manquera pas dans ce domaine encore relativement vierge d’Ambition (avec un grand A).
Car, de façon plaisante, l’argumentation visant à justifier une telle entreprise ne manque pas de piquant. On remarquera que le jeu vidéo est loin d’obéir aux critères dogmatiques d’une abstraction qui s’est imposée dans l’après-guerre comme l’unique manière de concevoir l’art. L’adolescent actuel n’aurait certes pas supporté de décharger son adrénaline sur des magmas à la Pollock ou même des jets de lumière à la Kandinsky. Le goût de l’adolescent est resté à peu près celui de l’art pompier du 19e siècle, et son imagination ne saurait aller plus loin. D’ailleurs, à y regarder de plus près, le contenu même des jeux qui nourrit la fable est de la même facture : l’intrigue de Assassin’s Creed, mimant à sa façon le modèle du « choc des civilisations » dont se nourrit le délire atlantiste, ne met-il pas aux prises les Templiers et la secte des Assassins ?
Mais ce n’est pas encore là qu’on atteint la bêtise dans sa plus grande profondeur. Car au fond, la Chanson de Roland use du même manichéisme. Mais il est vrai que notre chef d’œuvre médiéval est transfiguré par la langue enluminée de (peut-être) Turold, tandis que le jeu vidéo n’est qu’un fatras d’images besogneuses, aussi pesantes que la prose d’un Bernard Henri Levy. Ce qui n’est pas peu dire.
Comme les théoriciens (les promoteurs ?) de l’Art contemporain, pour vendre leur camelote, comme des larrons menteurs, n’en sont pas à une palinodie près, ils invoquent maintenant les mânes de la Renaissance. Car le jeu vidéo, fatalement, ne pouvant être que figuratif, ils effectuent un virage à 180 degrés. Cet art méprisé, condamné, voué aux gémonies, le voilà qui renaît de ses cendres, pour la plus grande gloire du dieu dollar. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Non seulement on redonne hypocritement de la valeur à la représentation de la figure humaine (même dégradée), mais on invoque le Grand Art, celui de la Renaissance, pour justifier ce changement acrobatique de ligne idéologique et mercantile. Voilà que les designers qui conçoivent ces jeux sont assimilés aux « auteurs » du quattrocento, à Leonard et à d’autres. On argue, pour produire ce grotesque rapprochement, de la méthode de travail utilisée. En effet, les artistes de la Renaissance produisaient leurs œuvres dans des ateliers, et il est parfois difficile de démêler dans une création ce qui est de la main du maître et de ce qui est de l’exercice d’un élève et disciple.
Toutefois, au-delà des apparences qui trompent, il faut rappeler, pour disqualifier une telle prétention, quel était le projet humaniste des artistes de la Renaissance Leur foi dans la transmission artistique, leur croyance en une hiérarchie des valeurs, leur adhésion à l’idée intransigeante d’une Beauté transcendante, leur aristocratisme sans concession, sont très éloignés du souci industriel actuel, pour qui le succès est l’unique valeur, comme aussi bien le cours de bourse et le marché, et qui s’inspire, dans son style, son goût et ses aspirations, de tout ce qu’une société de masse secrète de plus lourd, de plus bête et de plus grossier.
VOXNR - 09/10/10
Commentaires
En ce qui concerne l’Art (ici la peinture et la sculpture), il me semble que c’est en fait une niche fiscale à laquelle on n’a surtout pas touchée : voilà pourquoi on appelle ‘Art’ n’importe quelle croûte ! Et puis avec Koons et Takashi-é, leurs noms prédestinés est criant de vérité !
Et je souscris à 100% à l’analyse de Claude Bourrinet sur l’intérêt et la valeur intellectuelle des jeux vidéos.
@ abad: j'ai trouvé l'article de Claude Bourrinet excellent!
N'importe quelle horreur de l'Art contemporain est une niche fiscale, en effet, il ne faut pas l'oublier!
Ces faux artistes sont des "salisseurs", de pollueurs, mais on les accepte à Versailles!
Il doit y avoir de ces trafics d'enveloppes!
Le Japonais pratique le Krasse-manga!