New York, 1941, 57e Rue
C’est une vieille dame discrète qui ne sort que très rarement. Elégante, petite et fluette, comme la décrivent ses voisins, les cheveux gris tirés, elle occupe le sommet d’un immeuble luxueux de la 79e Rue, à l’angle de la célèbre Madison Avenue, à deux pas de Central Park. Belle-fille du marchand d’art Paul Rosenberg et tante d’Anne Sinclair, Elaine, dont l’âge avoisine les 80 ans, est la dernière représentante de cette célèbre famille à New York.
Et, avec l’épouse de Dominique Strauss-Kahn, elle est l’une des héritières d’une fortune estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros. « Malheureusement, elle ne peut pas vous recevoir », s’excuse un homme d’une cinquantaine d’années qui veille sur Elaine Rosenberg depuis la mort de son mari, Alexandre, en 1987. « Elle est actuellement en week-end sur la côte Est, à Rhode Island. Et de toute façon, avec les problèmes que connaît aujourd’hui Dominique Strauss-Kahn, elle ne voudra pas s’exprimer… » conclut-il dans la vaste entrée en marbre de l’immeuble. Là où, en 1953, Paul Rosenberg, le grand-père d’Anne Sinclair, a ouvert sa seconde galerie new-yorkaise et consolidé la fortune familiale.
Immigré aux Etats-Unis en 1940 pour fuir les Nazis, ce collectionneur sexagénaire n’est encore qu’un étranger à New York. Mais en Europe, son nom s’est imposé dans le marché de l’art. Avant son exil, ce fils d’antiquaire, propriétaire d’une boutique rue La Boétie à Paris, depuis 1911, a travaillé avec Braque, Léger, Matisse. Et surtout Picasso, avec qui il a conclu un contrat d’exclusivité entre 1918 et 1939. En 1935, Paul a même ouvert une galerie à Londres.
Celui qui deviendra l’un des plus grands marchands d’art et collectionneurs du XXe siècle jouit d’une très bonne réputation. « Quand il est arrivé à New York, il avait déjà beaucoup d’argent et ses valises n’étaient pas vides », observe le jeune propriétaire d’une galerie d’art de la 79e Rue, à deux pas de celle que les Rosenberg ont tenue jusqu’à la fin des années 1980. « Il a tenté de mettre des œuvres à l’abri en Europe, mais les Allemands en ont spolié un grand nombre pendant la guerre », poursuit le galeriste, dont les parents ont croisé la route des Rosenberg. A Manhattan, le grand-père d’Anne Sinclair commence par ouvrir une galerie dans la 57e Rue. Un emplacement où se dresse aujourd’hui un énorme bâtiment en verre noir qui abrite un magasin Nike. A la fin de la guerre, 300 toiles, en provenance d’Allemagne et d’Autriche, sont restituées à la famille. « Paul a donc peu à peu pu rebâtir son empire et sa réputation », poursuit un autre galeriste.
En 1948, sa fille, Micheline, mariée à Jean-Robert Schwartz, donne naissance à Anne-Elise Schwartz, qui prendra le nom d’Anne Sinclair. Quand la petite fille a 5 ans, la famille Rosenberg quitte la 57e Rue pour la 79e. Autant d’échelons gagnés dans la bonne société new-yorkaise. « Tout l’immeuble leur appartient toujours, déclare un voisin. Il doit valoir dans les 50 millions de dollars, c’est un des endroits les plus chers de New York. Juste en face de la maison du maire, Michael Bloomberg. »
Anne Sinclair a déjà hérité de la fortune que Paul Rosenberg avait léguée à sa mère, décédée en 2006. Difficile de savoir à qui reviendront les biens new-yorkais de la famille. Aux enfants d’Elaine? Les voisins disent ne les avoir jamais vus. A d’autres descendants de Paul Rosenberg? Aucun n’est identifié à ce jour. Avant que n’éclate le scandale qui concerne son mari, Anne Sinclair préparait une biographie sur son grand-père, dont la vie publique comme privée, est peu connue.
Source Le Parisien - 29/05/11