Le couple Le Guennec - (Cliquez sur la photo)
Les enquêteurs ont noté des «invraisemblances» et des «incohérences» dans les explications de Pierre Le Guennec, qui conservait 271 oeuvres de Picasso dans son garage.
L'affaire remonte à l'automne 2010, quand l'ancien électricien de Picasso, qui souhaitait obtenir des certificats authentifiant les 271 oeuvres qu'il avait gardées chez lui pendant près de quarante ans, s'est rendu auprès des héritiers du peintre avec des dessins sous le bras. Des carnets d'esquisses, des gouaches, des collages cubistes, ou encore des lithographies, datant des années 1910-1920 et estimées à 80 millions d'euros.
Mais les choses ont mal tourné pour Pierre Le Guennec et son épouse Danielle, qui conservaient ces oeuvres dans le garage de leur maison à Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes. Ils ont été mis en examen pour recel par une juge d'instruction de Grasse, selon des informations récentes du journal Le Monde.
Les héritiers de Picasso soupçonnent Pierre Le Guennec d'avoir attendu que le délit de vol soit prescrit pour essayer de tirer profit de ces œuvres. L'électricien affirme qu'elles lui ont été données par Picasso et son épouse Jacqueline, alors qu'il effectuait des travaux chez eux, au mas Notre-Dame-de-Vie à Mougins (Alpes-Maritimes).
L'enquête pointe aujourd'hui des «invraisemblances» et des «incohérences» entre les propos du couple Le Guennec et des éléments factuels fournis par Picasso Administration, qui gère la succession du peintre, et justifiant leur mise en examen. «Nous pensons que ces gens nous racontent des histoires sur la façon dont ils sont entrés en possession des oeuvres de Picasso», indique-t-on au parquet de Grasse.
Un don de 540 000 francs
Critiques et spécialistes de l'oeuvre de Picasso s'étaient déjà étonnés au moment de la révélation de l'affaire que les oeuvres aient été réalisées quarante ans avant le «don», et qu'elles ne soient ni datées ni signées. Ce qui ne semble pas cadrer avec les cadeaux donnés par Picasso après son installation sur la Côte d'Azur en 1946. Ces dons étaient des œuvres récentes datées et signées. Par ailleurs, seuls les épouses de Picasso ou des amis très proches auraient reçu des oeuvres d'une telle qualité.
Mais d'autres incohérences viennent d'être mises en lumière. Selon Picasso Administration, une partie des oeuvres incriminées ne se trouvaient pas, à l'époque, à Notre-Dame-de-Vie mais à la Villa Californie, une autre propriété de Picasso, à Cannes. Les oeuvres en question auraient en fait disparu durant la période qui a suivi la mort de Picasso, en 1973, avant que des inventaires officiels des oeuvres de l'artiste soient menés. Une période floue durant laquelle elles ont pu être dérobées.
Plus intriguant, un document exhumé par Picasso Administration montre que Jacqueline Picasso avait donné en 1983 à Pierre Le Guennec la somme de 540 000 francs. Or le couple n'en a rien dit aux enquêteurs.
Enfin la justice a décelé des liens familiaux entre Maurice Bresnu, le dernier chauffeur de Picasso (de 1967 à 1973) et Pierre Le Guennec. Maurice Bresnu aurait reçu de Picasso une centaine de dessins, gouaches, pastels, et vingt-six céramiques, dont une partie a déjà été vendue. D'autres dessins devaient être mis aux enchères en décembre dernier. Maisla vente a été reportée, à la demande desdits héritiers, parmi lesquels figure Pierre Le Guennec. Pour l'instant, aucun lien entre les deux affaires n'a été prouvé, mais les enquêteurs se demandent si le report de la vente n'avait pas pour but d'éviter d'afficher des éléments incriminants Pierre Le Guennec.
«Une version absurde»
Picasso avait l'habitude de donner des oeuvres aux personnes avec lesquelles il travaillait ou entretenait des liens. Ainsi son coiffeur et barbier, Eugenio Arias, devenu son ami. Mais un don d'une telle ampleur étonne. Recevoir «271 pièces, c'est tout à fait inédit», explique l'avocat de Picasso Administration, Maître Jean-Jacques Neuer, contacté par lefigaro.fr. Il dénonce «une version absurde» et se félicite du «tournant positif» de l'enquête.
Mme Le Guennec a souhaité ne pas faire de commentaire sur cette mise en examen tant que durera l'instruction, confiant toutefois qu'elle était «catastrophée»: «Nous sommes des petites gens mais nous pouvons nous regarder dans une glace parce que nous sommes propres».
Les enquêteurs doivent à présent «remonter le fil», éclaircir dans quelles circonstances les oeuvres auraient été dérobées - labeur d'autant plus difficile que plusieurs décennies se sont entre-temps écoulées. En attendant, les 271 oeuvres ont été saisies et sont à l'abri, avant une éventuelle décision de justice.
14/06/11