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A la manœuvre sur le dossier libyen depuis le début, Alain Juppé décrypte ce tournant pour la diplomatie française. Mais il livre aussi sa vision de la campagne présidentielle.
En Libye, la victoire est-elle acquise?
ALAIN JUPPÉ. Elle le sera lorsque toute menace de violence contre les populations civiles aura été écartée et lorsque Kadhafi aura été neutralisé.
Les Libyens sont très proches de la victoire totale, mais l’Otan ne doit pas baisser la garde.
On a parlé d’une guerre personnelle pour Nicolas Sarkozy. Quel a été le déclic de cette décision?
Il faut l’inscrire dans une orientation nouvelle, et très ambitieuse, de la diplomatie française. L’exigence de démocratie et de respect des droits de l’homme prévaut désormais pour nous sur toute fausse exigence de stabilité. On nous a reproché du retard à l’allumage lorsque se sont déclenchées les manifestations du Printemps arabe. Il est vrai que, pendant longtemps, nous nous sommes un peu laissé intoxiquer par ceux qui disaient que les régimes autoritaires sont le meilleur rempart contre l’extrémisme. C’est fini. Notre ligne, qui a déjà prévalu en Côte d’Ivoire, c’est de privilégier les aspirations des peuples et la protection des populations civiles.
Pourquoi cette nouvelle doctrine ne s’applique-t-elle pas à la Syrie?
Mais elle s’applique intégralement à la Syrie! La France a dit, la première, que Bachar al-Assad devait quitter le pouvoir. Elle est à la pointe de la mobilisation internationale pour faire pression sur le régime par des sanctions politiques et financières. L’intervention militaire n’est évidemment pas envisageable aujourd’hui, car il nous faut tenir compte de la situation régionale et internationale du dossier syrien. La première différence avec la Libye, c’est qu’il n’y a pas de mandat international : nous n’allons pas sous notre propre responsabilité nous lancer dans une opération militaire! La Russie mais aussi la Chine, le Brésil ou l’Inde s’y opposent.
Comment la France va-t-elle accompagner la transition en Libye?
La conférence des amis de la Libye que nous organisons le 1er septembre a pour objectif la reconstruction du pays. Nous attendons que le Conseil national de transition précise sa feuille de route politique et formule ses demandes. Il faut bâtir un Etat de droit, remettre en route la production pétrolière…
La France sera prioritaire dans les marchés de la reconstruction?
Nous serons sur les rangs : le CNT vient de déclarer qu’il s’adresserait prioritairement aux pays qui l’ont aidé. Quand on m’interroge sur le coût de l’opération — le ministère de la Défense parle de 1 M€ par jour —, je fais remarquer que c’est aussi un investissement sur l’avenir. Les ressources du pays ont été confisquées par Kadhafi, qui a accumulé des stocks d’or. Cet argent doit servir au développement de la Libye. Une Libye prospère sera un facteur d’équilibre pour toute la région.
Y a-t-il un risque islamiste?
Oui. Partout. Il y en a un en Tunisie, en Egypte, en Syrie… Mais ne stigmatisons pas a priori tous ceux qui se qualifient d’islamistes, il y a des gens attachés à l’islam, et en même temps prêts à accepter les règles de base de la démocratie.
Les Américains tirent la couverture à eux. Cela vous agace?
C’est humain. Mais c’est nous, la France et la Grande-Bretagne, qui avons fait le job. C’est clair.
Avec la tempête financière qui dure, la zone euro est-elle en danger?
C’est une crise de surendettement mondial, on a vécu à crédit partout. La situation reste fragile. Quand on reproche au président de la République d’être en décalage par rapport à ce qu’il disait en 2007, je suis stupéfait : c’est comme s’il n’y avait pas eu, en 2008, la plus grave crise économique depuis un siècle. Il est normal de s’adapter aux circonstances nouvelles. Pour un Etat comme pour un ménage, le surendettement est mortel. Il faut donc serrer les dépenses et se procurer des recettes supplémentaires, ne pas laisser déraper les déficits. Le Parti socialiste se grandirait s’il acceptait cette réalité, surtout au moment où le gouvernement socialiste espagnol va adopter la règle d’or. Si le PS appliquait les promesses que ses candidats font pour les primaires, je ne donnerais pas trois mois de survie à l’économie française : les agences de notation sont là, les marchés aussi.
Le plan de rigueur annoncé par François Fillon soulève des critiques…
Ces décisions sont nécessaires, courageuses et justes. Courageuses, car il n’est pas populaire d’annoncer qu’on va dépenser moins et taxer plus. Elles sont justes, 80% des efforts étant demandés aux grandes entreprises, aux détenteurs de patrimoines et aux revenus les plus élevés.
Nicolas Sarkozy est donné battu en 2012 dans tous les sondages…
On en reparlera! Je pense qu’il gagnera. Son bilan sera très positif avec, entre autres, la transformation du système universitaire, la réforme des retraites, le Grenelle de l’environnement, le programme des investissements d’avenir… L’un de ses gros atouts est sa capacité à bien réagir dans les situations de crise, à fixer le bon cap et à tenir la barre. Vis-à-vis de ses adversaires potentiels, ça fera la différence. Et on connaît sa capacité à mener une campagne entraînante.
Quels seront les grands axes de la campagne?
C’est à notre candidat de les déterminer. Pour ma part, je réfléchis autour de quatre E. Le premier, c’est l’emploi, et l’emploi, c’est la croissance. Il faut poursuivre le travail d’adaptation de notre économie. Après un début d’année encourageant, les chiffres du chômage sur juillet n’ont pas été bons du fait du ralentissement de la croissance. Mais il y a en même temps des signaux positifs : le nombre de créations d’emplois progresse et le nombre de plans sociaux est en recul. L’emploi doit rester la mère de toutes nos batailles. Deuxième E, l’éducation. Dans l’enseignement secondaire, il faut jouer, comme dans le supérieur, sur la responsabilité et l’autonomie des établissements. On a encore une Education nationale trop centralisée, trop lourde. Mon troisième E, c’est l’environnement, qui doit rester une priorité, et le quatrième, c’est l’Europe.
C’est-à-dire?
Il faut aller plus loin dans l’intégration européenne. La zone euro doit devenir une zone de nature fédérale, dans laquelle on intègre véritablement les politiques budgétaire et fiscale. Une des mesures les plus intéressantes annoncées par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, le 16 août, est l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés entre la France et l’Allemagne. Pour la première fois apparaît l’idée d’une intégration européenne en matière fiscale.
Une présidentielle se gagne au centre?
Elle se gagne partout. Au sein de l’UMP, il faut faire vivre l’unité dans la diversité. La droite populaire s’exprime fortement, et c’est bien. Mais il y a aussi une sensibilité humaniste, regroupant des gaullistes dits sociaux, des centristes. Je me sens de cette fibre-là et il faut qu’elle s’exprime plus fortement au sein de l’UMP. Il est très important d’avancer sur deux jambes.
Il y a un problème de ligne à l’UMP?
Non, mais il faut cultiver et conforter cette diversité dans l’UMP.
Quel sera votre rôle dans la campagne?
J’ai voulu éviter jusqu’à présent de créer un club, un cercle, tout simplement parce qu’on aurait dit Ça y est, il prépare son truc. Je l’ai dit, je soutiendrai Nicolas Sarkozy, je pense que c’est le meilleur.
Mais vous restez un recours?
Pour l’instant, le problème du recours ne se pose pas.
Mais s’il se posait?
S’il se posait, pourquoi pas? Je n’ai pas changé d’avis.
Face au danger Marine Le Pen, il n’y aura pas de surenchère à droite?
Quand on fait de la surenchère sur des thèmes sécuritaires, on perd autant de voix au centre qu’on en gagne à droite, ce n’est pas ce qu’il faut faire. Je ne crois pas que l’élection se jouera principalement sur le thème de la sécurité ou de l’immigration. Ce qui est prioritaire pour les Français, c’est l’emploi, le pouvoir d’achat, le modèle social… C’est là-dessus que ça va se jouer.
Nicolas Sarkozy a l’intention de se rendre dès que possible en Libye, avec le Premier ministre britannique, David Cameron. Le chef de l’Etat irait à Tripoli et dans les fiefs rebelles de Benghazi et Misrata. Cette visite pourrait intervenir avant une capture du colonel Kadhafi.
On a parlé d’une guerre personnelle pour Nicolas Sarkozy. Quel a été le déclic de cette décision?
Il faut l’inscrire dans une orientation nouvelle, et très ambitieuse, de la diplomatie française. L’exigence de démocratie et de respect des droits de l’homme prévaut désormais pour nous sur toute fausse exigence de stabilité. On nous a reproché du retard à l’allumage lorsque se sont déclenchées les manifestations du Printemps arabe. Il est vrai que, pendant longtemps, nous nous sommes un peu laissé intoxiquer par ceux qui disaient que les régimes autoritaires sont le meilleur rempart contre l’extrémisme. C’est fini. Notre ligne, qui a déjà prévalu en Côte d’Ivoire, c’est de privilégier les aspirations des peuples et la protection des populations civiles.
Pourquoi cette nouvelle doctrine ne s’applique-t-elle pas à la Syrie?
Mais elle s’applique intégralement à la Syrie! La France a dit, la première, que Bachar al-Assad devait quitter le pouvoir. Elle est à la pointe de la mobilisation internationale pour faire pression sur le régime par des sanctions politiques et financières. L’intervention militaire n’est évidemment pas envisageable aujourd’hui, car il nous faut tenir compte de la situation régionale et internationale du dossier syrien. La première différence avec la Libye, c’est qu’il n’y a pas de mandat international : nous n’allons pas sous notre propre responsabilité nous lancer dans une opération militaire! La Russie mais aussi la Chine, le Brésil ou l’Inde s’y opposent.
Comment la France va-t-elle accompagner la transition en Libye?
La conférence des amis de la Libye que nous organisons le 1er septembre a pour objectif la reconstruction du pays. Nous attendons que le Conseil national de transition précise sa feuille de route politique et formule ses demandes. Il faut bâtir un Etat de droit, remettre en route la production pétrolière…
La France sera prioritaire dans les marchés de la reconstruction?
Nous serons sur les rangs : le CNT vient de déclarer qu’il s’adresserait prioritairement aux pays qui l’ont aidé. Quand on m’interroge sur le coût de l’opération — le ministère de la Défense parle de 1 M€ par jour —, je fais remarquer que c’est aussi un investissement sur l’avenir. Les ressources du pays ont été confisquées par Kadhafi, qui a accumulé des stocks d’or. Cet argent doit servir au développement de la Libye. Une Libye prospère sera un facteur d’équilibre pour toute la région.
Y a-t-il un risque islamiste?
Oui. Partout. Il y en a un en Tunisie, en Egypte, en Syrie… Mais ne stigmatisons pas a priori tous ceux qui se qualifient d’islamistes, il y a des gens attachés à l’islam, et en même temps prêts à accepter les règles de base de la démocratie.
Les Américains tirent la couverture à eux. Cela vous agace?
C’est humain. Mais c’est nous, la France et la Grande-Bretagne, qui avons fait le job. C’est clair.
Avec la tempête financière qui dure, la zone euro est-elle en danger?
C’est une crise de surendettement mondial, on a vécu à crédit partout. La situation reste fragile. Quand on reproche au président de la République d’être en décalage par rapport à ce qu’il disait en 2007, je suis stupéfait : c’est comme s’il n’y avait pas eu, en 2008, la plus grave crise économique depuis un siècle. Il est normal de s’adapter aux circonstances nouvelles. Pour un Etat comme pour un ménage, le surendettement est mortel. Il faut donc serrer les dépenses et se procurer des recettes supplémentaires, ne pas laisser déraper les déficits. Le Parti socialiste se grandirait s’il acceptait cette réalité, surtout au moment où le gouvernement socialiste espagnol va adopter la règle d’or. Si le PS appliquait les promesses que ses candidats font pour les primaires, je ne donnerais pas trois mois de survie à l’économie française : les agences de notation sont là, les marchés aussi.
Le plan de rigueur annoncé par François Fillon soulève des critiques…
Ces décisions sont nécessaires, courageuses et justes. Courageuses, car il n’est pas populaire d’annoncer qu’on va dépenser moins et taxer plus. Elles sont justes, 80% des efforts étant demandés aux grandes entreprises, aux détenteurs de patrimoines et aux revenus les plus élevés.
Nicolas Sarkozy est donné battu en 2012 dans tous les sondages…
On en reparlera! Je pense qu’il gagnera. Son bilan sera très positif avec, entre autres, la transformation du système universitaire, la réforme des retraites, le Grenelle de l’environnement, le programme des investissements d’avenir… L’un de ses gros atouts est sa capacité à bien réagir dans les situations de crise, à fixer le bon cap et à tenir la barre. Vis-à-vis de ses adversaires potentiels, ça fera la différence. Et on connaît sa capacité à mener une campagne entraînante.
Quels seront les grands axes de la campagne?
C’est à notre candidat de les déterminer. Pour ma part, je réfléchis autour de quatre E. Le premier, c’est l’emploi, et l’emploi, c’est la croissance. Il faut poursuivre le travail d’adaptation de notre économie. Après un début d’année encourageant, les chiffres du chômage sur juillet n’ont pas été bons du fait du ralentissement de la croissance. Mais il y a en même temps des signaux positifs : le nombre de créations d’emplois progresse et le nombre de plans sociaux est en recul. L’emploi doit rester la mère de toutes nos batailles. Deuxième E, l’éducation. Dans l’enseignement secondaire, il faut jouer, comme dans le supérieur, sur la responsabilité et l’autonomie des établissements. On a encore une Education nationale trop centralisée, trop lourde. Mon troisième E, c’est l’environnement, qui doit rester une priorité, et le quatrième, c’est l’Europe.
C’est-à-dire?
Il faut aller plus loin dans l’intégration européenne. La zone euro doit devenir une zone de nature fédérale, dans laquelle on intègre véritablement les politiques budgétaire et fiscale. Une des mesures les plus intéressantes annoncées par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, le 16 août, est l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés entre la France et l’Allemagne. Pour la première fois apparaît l’idée d’une intégration européenne en matière fiscale.
Une présidentielle se gagne au centre?
Elle se gagne partout. Au sein de l’UMP, il faut faire vivre l’unité dans la diversité. La droite populaire s’exprime fortement, et c’est bien. Mais il y a aussi une sensibilité humaniste, regroupant des gaullistes dits sociaux, des centristes. Je me sens de cette fibre-là et il faut qu’elle s’exprime plus fortement au sein de l’UMP. Il est très important d’avancer sur deux jambes.
Il y a un problème de ligne à l’UMP?
Non, mais il faut cultiver et conforter cette diversité dans l’UMP.
Quel sera votre rôle dans la campagne?
J’ai voulu éviter jusqu’à présent de créer un club, un cercle, tout simplement parce qu’on aurait dit Ça y est, il prépare son truc. Je l’ai dit, je soutiendrai Nicolas Sarkozy, je pense que c’est le meilleur.
Mais vous restez un recours?
Pour l’instant, le problème du recours ne se pose pas.
Mais s’il se posait?
S’il se posait, pourquoi pas? Je n’ai pas changé d’avis.
Face au danger Marine Le Pen, il n’y aura pas de surenchère à droite?
Quand on fait de la surenchère sur des thèmes sécuritaires, on perd autant de voix au centre qu’on en gagne à droite, ce n’est pas ce qu’il faut faire. Je ne crois pas que l’élection se jouera principalement sur le thème de la sécurité ou de l’immigration. Ce qui est prioritaire pour les Français, c’est l’emploi, le pouvoir d’achat, le modèle social… C’est là-dessus que ça va se jouer.
Nicolas Sarkozy a l’intention de se rendre dès que possible en Libye, avec le Premier ministre britannique, David Cameron. Le chef de l’Etat irait à Tripoli et dans les fiefs rebelles de Benghazi et Misrata. Cette visite pourrait intervenir avant une capture du colonel Kadhafi.
Source Le Parisien - 27/08/11