Symboles et icônes de l’étrange religion qui se met en place tous les jours sous nos yeux, de pareilles monstruosités sont érigées ici et là dans nos lieux publics, nos monuments historiques et même, avec la complicité d’un certain clergé, dans nos églises.
Cette statue hideuse, haute comme une maison de deux étages, se trouve devant l’aéroport de Nice. A quelques kilomètres de là, sur une aire de repos de l’autoroute du soleil, existe une œuvre similaire. A Nice toujours, quai des Etats-Unis et à quelques dizaines de mètres des jardins Albert 1er, trois énormes poutres de ferraille rouillée se dressent agressivement face à la mer. Les touristes et les passants, nombreux en cet endroit, se demandent quelle est leur signification en ces lieux. A Versailles, des expositions provocantes et qui n’ont aucun lien avec les bâtiments historiques condamnés à les héberger, sont organisées dans les parties les plus symboliques du château.
Dans son ouvrage, L’art caché – Les dissidents de l’Art Contemporain, (éditions Eyrolles), Aude de Kerros décrypte toutes ces œuvres de laideur maximale, sans liens de parenté apparents et qui appartiennent à l ’Art Contemporain. Ces manifestations qui n’ont rien à voir avec l’art sont de plus en plus connues désormais sous le diminutif d’ « AC ». Comme nous allons le voir, leur manque flagrant d’esthétisme n’est pas dû au hasard où à une quelconque technique défaillante.
D’après Aude de Kerros, « L’Art Contemporain s’applique à remplacer l’esthétique par la morale. Il veut désincarner l’art parce que la chair est mauvaise. Il craint la séduction et entend éradiquer toute idée de beauté qu’il perçoit comme une perversion. L’AC est un rêve de pureté absolue fondée sur une haine du corps et de la matière. Les thèmes et pratiques omniprésents de l’AC sont la maltraitance, la trivialité, la dégradation. La chair est si méprisable qu’elle peut être souillée sans conséquence. Le corps glorieux n’existe pas. »
Comme on le voit, les religions du désert ne sont pas loin
Aude de Kerros poursuit : « L’AC se veut le signe visible du Dieu absent. Il unit les hommes dans la célébration de la mort irrémédiable qui nous rend tous égaux et martyrs d’un Dieu inconnaissable pour certains, improbable pour d’autres. »
« Le dogme de l’AC dit qu’à partir d’Auschwitz la pratique de la peinture est une insulte à la mémoire des victimes. Il n’y a pas de comparaison possible entre le mal qui se manifeste sur le Golgotha et celui qui déferle sur Auschwitz. Le premier était représentable parce qu’il s’ouvrait sur l’espoir d’une rédemption. L’autre est un mal absolu, sans remède, irrémissible, donc irreprésentable. »
Un des mythes fondateurs de l’AC serait Auschwitz. Derrière l’AC, il y a donc la Shoah. Cette chose étant reconnue, les choses commencent à s’éclairer.
« Par ailleurs l’AC n’étant pas une esthétique mais une métaphysique et une morale, elle entre en concurrence pour ne pas dire en conflit avec l’Eglise sur les questions du contenu de l’art et donc du dogme. L’Eglise catholique joue en France un rôle important dans le domaine de l’Art, elle est à la fois source de commandes d’œuvres monumentales et fondateur de légitimité dans un pays traditionnellement de monarchie de droit divin pendant treize siècles. »
(…) « Cette attitude ébauchée au cours des années1980, affirmée lors de la construction de la cathédrale d’Evry en 1987, rendue systématique dans les années 1990, a eu des conséquences graves dans la vie culturelle en contribuant à supprimer les polarités de la vie artistique. »
Certes, tout le clergé n’est pas en cause et ne fait pas bloc unanimement derrière Mgr Rouet, mais quelques exemples montrent bien la profondeur du mal.
En l’église Saint-Eustache, à Paris, une énorme couronne de fer barbelé en fonte d’aluminium de 3m40 de haut est posée sur le pavement du cœur. Elle n’est pas là pour rappeler la couronne d’épines du Christ mais les barbelés d’Auschwitz. Dans l’église Saint Bernard, à Paris toujours, Suboth Gupta a exposé une énorme tête de mort constituée d’un assemblage de casseroles et intitulée : « Very Hungry God », ce qui peut se traduire par « Dieu affamé » ou « Dieu avide ». En l’église Saint Sulpice, c’est une « machine à baptiser » conçue par Faust Cardineli qui a été proposée aux fidèles.
Aux « idiots utiles » qui permettent et facilitent les choses, Aude de Kerros rappelle pourtant : « Pour développer tous ses concepts et pour atteindre sa dimension métaphysique, l’AC a besoin de détourner à son profit les lieux sacrés, historiques et patrimoniaux. C’est le contexte qui lui permet d’exister. Comment transgresser, blasphémer, choquer sans lui ? La nouvelle gnose n’est rien, ne peut rien sans la religion qu’elle prétend remplacer. »
Tout cela avec des fonds publics, donc, avec nos impôts et sans que ceux qui disent veiller sur le total respect de la laïcité ne s’en émeuvent. Mais revenons à notre ouvrage :
« En France, il n’y a pas de filières de reconnaissance en dehors de l’Etat. Ce sont aujourd’hui les fonctionnaires du ministère de la Culture qui gèrent les dossiers de commande d’art sacré. Progressivement, ils s’approprient toute la création d’art sacré en France. Le Drac est à l’affût des moindres travaux dans les modestes chapelles romanes des campagnes les plus reculées pour proposer des vitraux « contemporains » à la place de vitraux du XIXème siècle que les municipalités, départements et régions doivent financer. Les populations impuissantes et désespérées assistent au détournement de leur patrimoine et de l’argent public au profit de cette secte qui maintenant représente l’art officiel. »
Beaucoup de questions qui se posaient à nous devant ces si irritantes manifestations restaient sans réponse. On se demandait qui en était les manipulateurs et d’où leur venait ce pouvoir qui leur permettait de s’installer aussi impunément à Versailles, à Nice, et jusque dans nos cathédrales malgré toutes les protestations. Comme on vient de le voir, Anne de Kerros a apporté une réponse. Est-ce la seule ? Nous verrons que non.
A propos d’un ouvrage de Milan Kundera sur les vicissitudes du peuple tchèque balloté de démocratie en nazisme, puis de nazisme en communisme avec finalement un retour à la case démocratie, tout cela en un demi siècle, l’historien et sociologue américain Arthur M. Schlesinger dans un ouvrage qui soulignait les dangers des divers communautarismes et leurs prétentions à réécrire l’histoire du pays en partant de leurs particularismes : Desuniting of america . Il y fait le constat suivant :
« Le premier pas pour liquider un peuple est toujours d’effacer sa mémoire. Détruire ses livres, ses arts, sa culture, son histoire, pour écrire de nouveaux livres, créer une autre culture, inventer une autre histoire. Avant longtemps la nation aura oublié ce qui est et ce qui fut. Le combat de l’homme qui refuse d’entrer dans le moule n’est que le combat de la mémoire contre l’oubli. »
C’est un constat admirable et pourtant il semble aujourd’hui oublié de tous puisque personne ne le rappelle jamais. L’explication des ouvrages disparus des rayons et des anthologies expurgées devient d’une clarté aveuglante et cela explique aussi pourquoi nos lieux publics exhibent de nos jours des horreurs qui n’ont absolument rien à voir avec l’art reconnu depuis la plus haute civilisation.
La troisième réponse n’est pas nouvelle puisqu’elle a déjà plus de septante ans. Elle est de Louis-Ferdinand Céline qui ne voit en ces manifestations que fumisteries et tentatives d’escroquerie et les traite sans ménagement ni complexe. Car, il serait peut être bon de le rappeler, la chose n’est pas si nouvelle que cela. L’urinoir de Duchamp, c’était déjà de l’AC grand teint. Voici ce qu’il en dit dans Bagatelles pour un massacre :
« A partir du moment où certains (ce n’était pas exactement le terme) arrivent à faire admettre que l’on peut exclure de toutes les œuvres d’art l’émotion, la beauté, le rythme vivant, la confusion règne. La farce, la publicité et l’imposture remplacent tout, s’installent dans la place et prolifèrent.
N’importe quelle croulante supercherie peut devenir à l’instant l’objet d’un culte, déclencher des torrents d’enthousiasme, ce n’est plus qu’une question de publicité. La publicité, bien sûr, est mise en branle par les décideurs et par leur fric. »
« Ce qui est présenté comme œuvre d’art doit être d’une grande banalité. Comme le pseudo artiste, il doit être interchangeable. Pour s’imposer au goût, à l’admiration des foules les plus abruties, l’article à lancer doit être encore plus con qu’eux tous réunis. Mais ces fausses idoles ne seront jamais dangereuses pour leurs donneurs d’ordres. Jamais idoles ne furent aussi fragiles et aussi facilement oubliables au moindre instant de défaveur. A partir du moment où fatigués de leurs petites grimaces leurs maîtres se décideront à couper les ficelles des marionnettes, celles-ci retourneront au néant. Et cela ne causera même pas de vide : il n’y avait rien. »
Traiter l’AC par le mépris ne serait peut-être pas la plus mauvaise des réponses s’il n’y avait cet envahissement progressif de tous nos lieux publics. Ah, comme cela est pénible de voir la décadence s’installer partout, dans tous les domaines de notre civilisation.
D’après Abel Bonnard : « L’art ne fait jamais que reconnaitre les idées maitresses d’une civilisation. » Eh bien, c’est une drôle de civilisation qu’on nous prépare ! Et Bonnard avait ajouté : « Aujourd’hui, des talents peuvent encore naitre mais ils ne pourront plus ni croître ni fleurir. »
Que ce soit dans les domaines financiers ou artistiques, ceux qui tiennent le haut du pavé à New York, n’ont pas fini de nous surprendre. Mais sachons-le bien, les constatations de Milan Kundera ne valent pas que pour le peuple tchèque ni les dangers de désintégration pour la seule Amérique. A nous de ne pas oublier qui nous sommes. A nous de refuser d’entrer dans le moule et de rejeter ces icônes d’une religion qui n’est pas et ne sera jamais la nôtre.
Léon Arnoux
2/02/2012
Voir aussi :
«L'art caché - Les dissidents de l'art contemporain» de Aude de Kerros
Correspondance Polémia- 7//02/2012
Image : statut devant l’aéroport de Nice