13/06/2012 – 18h00
PARIS (NOVOpress) — Le peintre Georges Mathieu s’est éteint dimanche 10 juin à l’âge de 91 ans. Au-delà du personnage haut en couleur et du dandy à moustaches, Georges Mathieu est l’un des artistes français les plus mondialement connus du XXème siècle.
C’est après avoir étudié le droit et la philosophie qu’il se lance en autodidacte dans la peinture en 1942.Voulant secouer les habitudes conformistes et bourgeoises, il revendique une liberté parée de grandeur qui sera le fil directeur de son œuvre. Il invente dès 1947 « l’abstraction lyrique » en réaction contre l’abstraction géométrique (Mondrian, Delaunay, Vasarely) alors en vogue dans la France de l’après-guerre. L’abstraction lyrique est un moyen de tout rénover et tout réinterpréter sans renier la Tradition. « Qu’est-ce à dire ? Le tragique de notre condition résiderait-il dans cette force cachée, qui amène tout mouvement à se nier lui-même, à trahir son inspiration originelle et à se corrompre au fur et à mesure qu’il s’avance ? En politique, dit Cioran, l’on ne s’accomplit que sur sa propre ruine. Ne confondons pas la politique avec l’art. Depuis trente ans, j’ai combattu toutes les maladies qui causent la mort des civilisations et des formes. Depuis trente ans, j’ai combattu la Grèce classique, la Renaissance, l’Abstraction géométrique. Depuis trente ans, j’insulte les critiques d’art, les conservateurs de musées, les officiels, les ministres, les républiques (…) Serais-je donc brusquement devenu civilisé, bien élevé ou récupéré ? Vais-je accomplir, sinon ma ruine, du moins une triple trahison envers moi-même, en défendant l’Académie, en faisant l’apologie de la nature (…) ? Triple gageure, triple défi, ou triple tragédie ? Eh bien, non, je l’affirme, “tout est dans l’ordre “, comme aimait à répéter Julius Evola. Si je reste fidèle à moi-même aujourd’hui, c’est qu’autour de moi, autour de nous, c’est la civilisation elle-même qui est en train de changer. Ma nature combative est toujours vigilante. Plus que jamais, et pour des enjeux toujours plus hauts il y a lieu de rassembler nos ardeurs. Après avoir combattu le passé, c’est le présent qui est à combattre. » (discours de réception de Georges Mathieu à l’Académie des Beaux-Arts en 1976)
L’œuvre de Georges Mathieu va donc se caractériser par la spontanéité du geste, du mouvement et de l’émotion au moyen de la peinture directement écrasée au doigt sur la toile, de la rapidité d’exécution et de ballets quasi-chorégraphiques avec les pinceaux. Il revendiquera la paternité du « dripping », popularisé par Jackson Pollock quelques années plus tard. C’est d’ailleurs Georges Mathieu qui contribuera à faire connaître ce dernier en France. Sa proximité avec les expressionnistes abstraits américains est évidente, notamment dans les formats monumentaux et la vitesse de réalisation. Très influencé par la calligraphie japonaise (André Malraux le surnommera « le calligraphe occidental »), Georges Mathieu influencera à son tour le street-art et le graffiti.
À partir de 1956, il commence à réaliser des performances en public qui s’apparentent à de véritables transes chamaniques : «La toile est fouettée, bousculée, sabrée ; la couleur gicle, fuse, transperce, virevolte, monte, s’écrase. L’artisanat, le fini, le léché des idéaux grecs, tout cela est mort. La tension, la densité, l’inconnu, le mystère règnent et gagnent sur tous les tableaux. Pour la première fois dans l’histoire, la peinture est devenue spectacle, et l’on peut assister à sa création comme on assiste à une jam-session.[...] La peinture est devenue action. » (Georges Mathieu « Épître à la jeunesse »).
Royaliste convaincu et assumé, les sujets d’inspiration monarchiques et historiques deviennent récurrents dans son œuvre à partir du milieu des années 50 (il dessinera – entre autres – l’emblème de l’hebdomadaire de Pierre Boutang, La Nation française). À partir des années 60, il souhaite faire passer « ces formes dans la vie » et transformer « son langage en style ». Pour cela il va se consacrer aux arts décoratifs (cartons de tapisseries pour la manufacture des Gobelins, affiches, timbres..) avant de revenir à la peinture à la fin des années 80.
« Endormis par l’inertie, l’habitude, le bien-être, le confort, la sécurité nous avons tacitement accepté que l’on converse pour nous, que l’on pense pour nous, que l’on choisisse pour nous, que l’on joue pour nous, que l’on charme pour nous. L’homme se verra t-il demain définitivement frustré de cette ultime faveur démocratique, que l’État lui accorde, et que la société lui arrache : le privilège d’être ? » (Georges Mathieu, « Le privilège d’être »)
Spoutnik, pour Novopress
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