Ancien officier du renseignement français, Alain Rodier est un spécialiste du terrorisme et de la criminalité organisée. Avec ou sans la France, la guerre menée au Mali contre le terrorisme sera nécessairement longue.
TF1 News. François Hollande a déclaré vouloir "détruire les terroristes". Est-ce un objectif réalisable à court terme ?
Alain Rodier. Non. Il ne faut pas rêver. Il y a des déclarations politiques. La réalité est souvent différente. Une guerre est courte quand elle ne dure pas plus de trois mois. Elle est longue dès lors qu'elle se compte en trimestres. On sait quand l'opération militaire a commencé. On ne sait en revanche absolument pas quand elle va se terminer. Pour la simple raison qu'on ne maîtrise pas l'ennemi auquel on fait face. Une fois que les trois villes du Nord (Gao, Kidal, Tombouctou) auront été libérées, il faudra faire en sorte que l'adversaire qui est infiltré partout ailleurs n'ait pas un pouvoir de nuire trop grand. Nous sommes en face de beaucoup d'inconnues.
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TF1 News. Quels sont les points forts d'Aqmi et des autres groupes armés implantés au Mali ?
Alain Rodier. Ils sont très fluides, très mobiles, avec leurs véhicules légers. Ils bénéficient de caches au Nord-Mali, dans lesquelles ils peuvent se réapprovisionner en carburant. Ce problème, qui est essentiel, n'est pas assez mis en avant. Si les forces françaises parviennent à bombarder ces caches, elles porteront un grand coup à l'ennemi. Les combattants qui composent les différents groupes armés ne sont pas très nombreux. Entre 3000 et 6000 hommes d'après les estimations. Mais ce petit nombre les sert quand il s'agit de s'évanouir dans la nature. Pour échapper aux frappes aériennes, qui constituent pour eux la plus grande menace, ils ont tendance à se mélanger à la population. Une des grandes craintes de l'état major français est un raid de l'ennemi sur Bamako. Quatre ou cinq hommes qui s'infiltreraient jusqu'à la capitale malienne pour y commettre un attentat. Ca ne serait pas étonnant.
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TF1 News. Le Mali peut-il devenir l'Afghanistan de demain ?
Alain Rodier. Non. Il y a trop de différences avec le théâtre afghan. Le nombre de combattants engagés n'est pas le même. Les distances sont différentes. Et contrairement à l'Afghanistan où certaines populations sont favorables aux talibans, les populations maliennes ne sont absolument pas favorables à Aqmi. Le risque principal qui guette la France reste néanmoins l'enlisement. L'offensive des terroristes vers le sud a été bloquée, c'était la première partie de la mission. Il reste maintenant à libérer le nord du Mali. Mais le mot libération est un grand mot. En réalité, cela consiste à terme à reprendre les trois localités (Gao, Kidal, Tombouctou) et ensuite à les tenir. Les troupes africaines qui prendront le relais de la France pourront s'atteler à cette tâche là qui n'est pas très compliquée. Mais pour ce qui est des centaines de kilomètres de désert qui entourent les trois villes, personne ne les tiendra. Les trois villes devront ensuite être réapprovisionnées. Or tenir des milliers de kilomètres de routes est quasiment impossible. Il faudrait escorter les convois. Mais cela n'empêchera pas les embuscades.
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TF1 News. La guerre au Mali semble donc partie pour durer.
Alain Rodier. Oui, elle va durer plusieurs années. Mais pas forcément avec la France. La libération des trois villes du nord, la formation des forces maliennes - de manière à ce qu'elles puissent tenir ces trois villes - et la remise en selle d'un gouvernement digne de ce nom à Bamako paraissent un objectif réalisable à partir duquel la France pourra se mettre en retrait.
Source sur TF1 News : INTERVIEW. La guerre au Mali "va durer plusieurs années"