REPORTAGE - Implantés dans ce désert depuis le VIIe siècle, les Bédouins redoutent que leurs villages soient confisqués par l'État israélien pour accueillir des familles juives.
Envoyé spécial à Umm al-Hiran
Le royaume de Salim Abou al-Quian, niché dans un vallon pierreux du Néguev, se résume à peu de choses. Sa maison construite en dur domine un fatras de mobile-homes et de baraques en tôle où vivent quelques dizaines de familles et plusieurs milliers de bêtes. Sur chaque toit ou presque, des panneaux solaires rappellent que le village, pourtant situé à une dizaine de kilomètres seulement de Beer Sheva, n'est pas relié au réseau électrique. En surplomb, tout au bout d'un chemin balayé par des tourbillons de poussière, une citerne abrite ses maigres réserves d'eau. Puis à perte de vue s'étend le désert, massif inhospitalier que le chef bédouin et sa tribu refusent de quitter en dépit des pressions exercées par le gouvernement israélien.
«Nous mènerons notre résistance jusqu'au bout», martèle Salim Abou al-Quian, père de onze enfants et représentant du village de Umm al-Hiran. Allié à d'autres chefs de tribus, l'homme a remporté début décembre une victoire de taille en obtenant le retrait du plan Prawer-Begin, qui prévoyait de déplacer plus de 30.000 Bédouins répartis dans 35 villages «illégaux». Fin novembre des manifestations émaillées de violents heurts avec la police ont démontré la détermination de cette communauté. L'opposition de certains députés israéliens, qui jugeaient au contraire le projet trop généreux envers les Bédouins, a précipité son enterrement. Mais le gouvernement n'a pas renoncé à son ambition de «relocaliser» cette population paupérisée, officiellement pour lui offrir de meilleures conditions de vie.
210.000 Bédouins du Néguev
La communauté bédouine du Néguev, qui fait remonter son implantation au septième siècle, regroupe aujourd'hui quelque 210.000 membres qui jouissent de la nationalité israélienne mais vivent concentrés, depuis la fin des années 50, dans une zone strictement délimitée par l'armée. Au fil du temps, la moitié d'entre eux environ ont accepté de s'installer en ville, renonçant à leur mode de vie pastoral ainsi qu'à toute revendication foncière. Les autres se sont accrochés à leurs villages, implorant les tribunaux israéliennes de reconnaître leur droit de propriété sur les terres où divaguent leurs troupeaux - soit environ 5 % de la superficie du Néguev. En vain: dans l'immense majorité des procédures, la justice a tranché en faveur de l'État, considérant que les preuves rapportées par les Bédouins n'étaient pas convaincantes.
«Maintenant que ce litige est tranché, il est temps d'engager un changement radical qui permettra à ces populations d'entrer enfin dans la modernité», expliquait récemment le major-général Doron Almog, en charge du développement de ces communautés au bureau du premier ministre. À l'appui de son propos, ce haut gradé égrène les statistiques démontrant que ces populations sont de très loin les plus pauvres, les moins éduquées et les plus mal soignées du pays. «Nous voulons leur apporter l'eau, l'électricité, les écoles et les hôpitaux auxquelles ils ont droit, martèle-t-il. Mais pour cela se fasse à un coût supportable pour l'État d'Israël, il faut qu'ils acceptent de quitter leurs villages pour se réunir dans des centre urbains.»
«Maintenant que ce litige est tranché, il est temps d'engager un changement radical qui permettra à ces populations d'entrer enfin dans la modernité»
À Umm al-Hiran comme dans nombre de villages Bédouins, les habitants balaient ces douces paroles et refusent d'envisager un déménagement vers la ville voisine d'Houra. «Comment peut-on dire que je suis en situation illégale, fulmine Massaad Abou al-Quian, alors que mon père a été forcé par le gouvernement israélien à s'installer ici en 1956?» Salim Abou al-Quian, le chef du village, complète: «Les autorités disent avoir édifié Houra pour notre bien-être mais cette ville étouffe sous le poids du chômage et l'insécurité. Des tensions incessantes opposent les tribus qui ont été poussées à s'y installer et plusieurs crimes de sang y ont été commis ces derniers mois. Nous, nous préférons rester sur notre terre et préserver notre mode de vie traditionnel.»
Début novembre, la détermination des Bédouins a redoublé lorsqu'ils ont appris que le gouvernement venait d'autoriser la construction, en lieu et place d'Umm al-Hiran, d'un village destiné à une communauté de Juifs religieux. «Cette annonce montre bien que les raisons avancées par les autorités pour justifier le plan Prawer-Begin ne sont qu'un prétexte, dénonce Thabet Abou Rass, militant de l'ONG israélienne Adalah. La vérité, c'est qu'on veut confisquer la terre des Bédouins pour mieux judaïser le Néguev, où il y a pourtant bien assez de place pour tout le monde.»
Provisoirement installées dans un campement de mobile-homes, à une vingtaine de kilomètres du village contesté, la trentaine de familles juives qui doivent à terme y emménager ne semblent guère s'inquiéter de la marche arrière amorcée par le gouvernement. Il est vrai que l'ordre d'expulsion qui vise les Bédouins d'Umm al-Hiran, distinct du plan Begin-Prawer, n'est pour l'heure pas remis en cause. «Nous sommes venus ici avec l'idée de remplir une mission religieuse, détaille Shmuel Buzak, le porte-parole de la petite communauté, revolver à la ceinture. Quand je me suis renseigné sur la meilleure façon de poursuivre le projet sioniste, on m'a dit que l'une des tâches les plus importantes et les plus ardues assignée à notre peuple est de peupler le désert du Néguev. J'ai pensé qu'il était de mon devoir d'y prendre ma part.»
Interrogé sur la colère des Bédouins, Shmuel Buzak affirme qu'il ne refuse pas a priori de cohabiter avec eux, «dès lors qu'ils acceptent de se soumettre à l'ordre et à l'état de droit». Il ignore, assure-t-il, à quel moment lui et les siens pourront emménager dans le village, mais semble prêt à patienter. «Tout ce que nous savons, sourit-il, c'est que les choses se feront au moment opportun.»
LE FIGARO
Commentaires
Alors, qui sont les xénophobes, les anti-sémites ?