Le Monde.fr |27.12.2013 à 18h15 • Mis à jour le28.12.2013 à 12h46
Dieudonné, déjà exclu de fait des médias de masse depuis plusieurs années, a réussi à construire une puissante communauté de fidèles sur Internet. | AFP/PATRICK KOVARIK
Le ministère de l'intérieur a fait savoir, vendredi 27 décembre, qu'il étudiait « toutes les voies juridiques » pour interdire les « réunions publiques » de l'humoriste Dieudonné, à la suite de « propos racistes et antisémites » qu'il a proférés à l'endroit du journaliste Patrick Cohen lors d'un spectacle à Paris. La proposition n'est pas sans poser de difficultés en droit. Par ailleurs, quand bien même elle entrerait en application, son efficacité serait en bonne partie réduite. Car Dieudonné, déjà persona non grata dans les grands médias depuis plusieurs années, a réussi à construire une puissante communauté de fidèles sur Internet. Une scène virtuelle qui n'entre pourtant pas dans le périmètre du dispositif proposé vendredi par M. Valls pour interdire les représentations de l'humoriste.
Lire : Le gouvernement voudrait interdire les réunions publiques de Dieudonné
Fort de 34 000 abonnés sur le réseau social Twitter, et de 400 000 sur Facebook, l'humoriste utilise très habilement les médias en ligne pour diffuser ses messages. Sur la plate-forme YouTube, ses vidéos, publiées à raison de près d'une par semaine, récoltent régulièrement plusieurs centaines de milliers de vues, et jusqu’à 2,5 millions pour les plus populaires.
S'adressant à ses fans face caméra, assis à son bureau, Dieudonné répond aux accusations et se paie la tête de ses critiques les plus fervents, de François Hollande à Manuel Valls, en passant par le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Roger Cukierman, et le philosophe Bernard-Henri Lévy. Sous chaque séquence, et malgré la teneur des propos, des centaines de commentaires de soutien viennent noyer les quelques messages de dénonciation.
UN « ÉCOSYSTÈME DIEUDONNÉ »
Au cœur de l'« écosystème Dieudonné », le site dieudosphere.com ne se contente pas d'annoncer les prochains spectacles de l’humoriste ou de répertorier les meilleures « quenelles » de ses admirateurs, mais propose également une série de produits dérivés, du T-shirt au mug.
Lire le décryptage : « Quenelle », comment un geste antisémite est devenu un emblème
Autour, gravitent sites, blogs, pages Facebook et comptes Twitter, qui prennent systématiquement la défense de « Dieudo » dans les moments critiques, s’érigeant en véritable « contre-médias ». En témoigne l'avalanche d’insultes reçue à la fin de novembre par la journaliste belge Myriam Leroy, après sa chronique assassine contre l’humoriste dans « La Nouvelle Edition », sur Canal+, déchaînement qui l’a contrainte à fermer son compte Facebook. Ou la réaction épidermique à l’épisode des « Dieudoleaks », des coordonnées de sympathisants de la « quenelle » publiées par un hacker après le piratage de la base de données de dieudosphere.com : sur Internet, des « dieudonnistes » ont lancé une cabale contre le coupable présumé, en livrant son nom, son adresse et son numéro de téléphone.
Vendredi 27 décembre, le site de l'humoriste étant inaccessible, certains internautes n'ont pas hésité à dénoncer tour à tour la censure du « pouvoir socialiste » et la main du « hacker sioniste » , tandis que le mot-clé « Dieudonné » se hissait en tête des sujets les plus discutés sur Twitter.
« TRISTES VOIX »
Loin de rester dans le registre du sketch, Dieudonné n'hésite pas à exposer ses problèmes judiciaires dans ses vidéos, en invoquant ses avocats ou en faisant le point sur les procédures en cours. Il assure ainsi avoir récolté 40 000 euros grâce à sa collecte de l'« anataxe », destinée à payer ses amendes pour provocation à la haine (notamment pour sa chanson Shoah nanas), et s'apprêterait à créer une association pour porter une plainte collective pour diffamation. En un peu moins de six mois, l’humoriste a aussi rassemblé plus de 130 000 signataires autour de sa pétition demandant la dissolution de la Licra, qualifiée de « trouble à l'ordre public perpétuel, perfide, et nocif ».
Sa forte présence en ligne lui permet également de faire face aux obstacles rencontrés dans l'organisation de ses spectacles. Récemment, Dieudonné a ainsi réagi à l'annulation d'une représentation à Nice – à laquelle s’opposait le maire (UMP) Christian Estrosi – en proposant à ses spectateurs de participer à sa date toulonnaise.
Face à cette puissance de feu, les autorités multiplient les mises en garde, sans action concrète pour l’instant. Alors que Manuel Valls appelait en novembre à combattre « ces tristes voix qui se déchaînent [...] notamment sur les réseaux sociaux », François Hollande a annoncé, il y a quelques semaines, travailler avec Jean-Marc Ayrault « pour éviter la tranquillité de l'anonymat qui permet de dire des choses innommables sans être retrouvé » – pointant notamment du doigt « ceux qui se prétendent humoristes et qui ne sont que des antisémites patentés ».
Lire : Hollande et le PS s'en prennent de nouveau à « l'anonymat sur Internet »
Le président du CRIF, Roger Cukierman, a pour sa part tenté de mettre en cause la responsabilité de Google, propriétaire de Youtube, qui « collabore à une propagande antisémite » en mettant les vidéos de Dieudonné « en vedette » sur sa page d’accueil. Problème, comme le rappelle le site spécialisé Numerama, les classements de Youtube sont générés automatiquement par des algorithmes. Et « le fait de mettre sur une page d'accueil quelqu'un qui a beaucoup de succès [...] n'est pas un délit en soi », comme le reconnaît M. Cuckierman lui-même.
Commentaires
Evidemment le pouvoir cherche à de se doter de tous les moyens pour contrôler internet tout en faisant croire qu’au contraire il protège la liberté : c’est ça notre république laïque et citoyenne qui ressemble de plus en plus à une dictature !
Je crois que finalement Mr Cukierman doit regretter d'avoir mis le pied dans sa bouche, comme ils disent ici, mais comment se tirer d'un si mauvais pas, sans avoir l'air ridicule?
Disons que le gagnant de tout ce cirque, c'est la victime: Dieudonne!
quand une campagne merdiatique est orchestrée ainsi, toujours d'abord se demander ce dont il s'agissait qu'on ne parle pas. Ici probablement des chiffres piteux du chomage hollandouillesque
@ Dia: il y a ça, mais il n'y a pas que ça!