Le Figaro publie l'entretien que lui a accordé Christian Delporte, professeur des universités en histoire contemporaine et spécialiste de la communication politique. L'occasion de (re)découvrir les manipulations par le choix des mots et de s'interroger sur son propre vocabulaire :
"La novlangue politique est une variante de la langue de bois, avec une ambition particulière: enlever tout clivage, donner l'impression de rassembler tous les citoyens. C'est un rideau de fumée. En inventant des mots, il s'agit de faire passer la pilule, de rendre apaisantes des situations désagréables ou impopulaires. C'est masquer par le langage, avec des formules positives, des réalités politiques difficiles pour les rendre acceptables auprès de l'opinion. «Flexibiliser» cache «faciliter le licenciement» par exemple, et «ouverture du capital» signifie «privatiser». Le «pacte de responsabilité» de François Hollande est caractéristique de la novlangue: il ne veut rien dire mais l'association de deux mots puissants et symboliques veut conjurer une réalité négative, en l'espèce masquer une concession faite au Medef (...)
On utilise d'autant plus la novlangue qu'on est en difficulté. Mais c'est le cas depuis que le pays connaît la crise économique. C'est ainsi qu'est née la plus savoureuse formule: «croissance négative» (...)
La langue de bois a toujours existé en démocratie, avec pour grand principe la loi du contournement, tout l'art des mots qui ne veulent rien dire. Mais comme ils sont désormais insuffisants, on s'ingénie à en inventer de nouveaux qui soient capables de faire pression sur la pensée. À l'enfermer même, car quand le langage s'impose dans l'usage c'est que sa réalité est admise. Tout le débat qui pourrait en découler est muselé. On empêche tout esprit critique. Le «Faire-France» de François Hollande est exemplaire: il nie toute discussion, tout antagonisme - social, ethnique, religieux ou autre - en donnant une coloration patriotique, que ne donnait pas le «vivre-ensemble».
Le Salon Beige - 20 01 14