- Publié le : samedi 8 février 2014
Source : voltairenet.org
C’est à tort que les opinions publiques ouest-européennes observent la crise ukrainienne comme une rivalité entre Occidentaux et Russes. En réalité, Washington ne cherche pas à faire basculer le pays vers l’Union européenne, mais à priver la Russie d’un de ses partenaires historiques. Pour ce faire, les États-Unis sont prêts à déclencher une nouvelle guerre civile sur le continent.
Après avoir démembré la Yougoslavie au cours d’une guerre civile de dix ans (1990-1999), les États-Unis ont-ils décidé de détruire identiquement l’Ukraine ? C’est ce que laisse penser les manœuvres que l’opposition se prépare à conduire durant les jeux Olympiques de Sotchi.
L’Ukraine est historiquement divisée entre à l’Ouest, une population tournée vers l’Union européenne et, à l’Est, une population tournée vers la Russie, auxquelles s’ajoute une petite minorité musulmane en Crimée. Depuis l’indépendance, l’État s’est progressivement effondré. Profitant de la confusion, les États-Unis ont organisé la « révolution orange » (2004) [1], qui porta au pouvoir un clan mafieux toujours pro-atlantiste. Moscou répondit en annulant ses subventions sur le prix du gaz, mais le gouvernement orange ne put pas compter sur ses alliés occidentaux pour l’aider à payer le prix du marché. En définitive, il perdit l’élection présidentielle de 2010 au profit de Viktor Ianoukovytch, un politicien corrompu parfois pro-russe.
Le 21 novembre 2013, le gouvernement renonce à l’accord d’association négocié avec l’Union européenne. L’opposition répond par des manifestations, à Kiev et dans la partie occidentale du pays, qui prennent bientôt un aspect insurrectionnel. Elle réclame des élections législatives et présidentielle anticipées et refuse de constituer un gouvernement lorsque le président Ianoukovytch lui propose et que le Premier ministre démissionne. Les événements sont baptisés par Radio Free Europe (la radio du département d’État US) Euromeïdan, puis Eurorévolution.
Le service d’ordre de l’opposition est assuré par Azatlyk, un groupe de jeunes Tatars de Crimée qui rentre pour l’occasion du jihad en Syrie [2].
La presse atlantiste prend fait et cause pour l’« opposition démocratique » et dénonce l’influence russe. De hautes personnalités atlantistes viennent apporter leur soutien aux manifestants, dont Victoria Nuland (secrétaire d’État adjointe et ancienne ambassadrice à l’Otan) et John McCain (président de la branche républicaine de la NED). Au contraire, la presse russe dénonce des manifestants qui veulent renverser dans la rue des institutions élues démocratiquement.
Au départ, le mouvement apparaît comme une tentative de réédition de la « révolution orange ». Mais le pouvoir change de main dans la rue, le 1er janvier 2014. Le parti nazi « Liberté » organise une marche au flambeau qui réunit 15 000 personnes en mémoire de Stepan Bandera (1909-1959), le leader nationaliste qui s’allia aux nazis contre les Soviétiques. Depuis cette marche, la capitale se couvre de graffitis antisémites et des personnes sont attaquées dans la rue parce que juives.
L’opposition pro-européenne est composée de trois partis politiques :
L’Union panukrainienne « Patrie » (Batkivshchyna), de l’oligarque et ancien Premier ministre Ioulia Tymochenko (actuellement incarcérée suite à ses condamnations pénales pour détournements de fonds publics), aujourd’hui dirigé par l’avocat et ancien président du Parlement Arseni Iatseniouk. Elle défend la propriété privée et le modèle libéral occidental. Elle a obtenu 25,57 % des voix aux élections législatives de 2012.
L’Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme (UDAR), de l’ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko. Elle se réclame de la démocratie chrétienne et a obtenu 13,98 % aux élections de 2012.
L’Union panukrainienne Liberté (Svoboda), du chirurgien Oleh Tyahnybok. Cette formation est issue du Parti national-socialiste d’Ukraine. Elle est favorable à la dénaturalisation des Ukrainiens juifs. Elle a emporté 10,45 % des voix aux élections législatives de 2012.
Ces partis parlementaires sont soutenus par :
Le Congrès des nationalistes ukrainiens, un groupuscule nazi issu des anciens réseaux stay-behind de l’Otan dans le Bloc de l’Est [3]. Sioniste, il préconise la dénaturalisation et l’expulsion des Ukrainiens juifs vers Israël. Il a obtenu 1,11 % des voix en 2012.
L’Autodéfense ukrainienne, un groupuscule nationaliste qui a envoyé ses membres se battre contre les Russes en Tchétchénie, puis en Ossétie durant le conflit géorgien. Il a obtenu 0,08 % des voix en 2012.
En outre, l’opposition a reçu le soutien de l’Église orthodoxe d’Ukraine, en révolte contre le Patriarcat de Moscou.
Depuis la prise de la rue par le parti nazi, les manifestants, souvent casqués et habillés de tenues para-militaires, dressent des barricades et attaquent les bâtiments officiels. Certains éléments des forces de police font également preuve de beaucoup de brutalité, allant jusqu’à torturer des détenus. Une dizaine de manifestants seraient morts et près de 2 000 auraient été blessés. Les troubles se propagent dans les provinces occidentales.
Selon nos informations, l’opposition ukrainienne cherche à transporter sur place du matériel de guerre, acquis sur des marchés parallèles. Il n’est évidemment pas possible d’acheter des armes en Europe de l’Ouest et de les acheminer sans le consentement de l’Otan.
La stratégie de Washington semble mêler en Ukraine des recettes éprouvées lors des « révolutions colorées » et d’autres récemment mises au point lors des « printemps arabes » [4]. Les États-Unis ne se cachent d’ailleurs pas : ils ont envoyé sur place deux hauts fonctionnaires, Victoria Nuland (adjointe de John Kerry) et John McCain (qui n’est pas seulement sénateur républicain, mais aussi président de l’IRI, la branche républicaine de la NED [5]) pour soutenir les manifestants. À la différence de la Libye et de la Syrie, Washington ne peut pas compter sur place sur des jihadistes pour semer le chaos (hormis les extrémistes Tatars, mais ils ne sont qu’en Crimée). Il a donc été décidé de s’appuyer sur des nazis avec lesquels le département d’État a travaillé contre les Soviétiques et qu’il a organisés en partis politiques depuis l’indépendance.
Le lecteur néophyte peut être choqué d’observer cette alliance entre l’administration Obama et des nazis. Cependant, il doit se souvenir que des nazis ukrainiens ont été publiquement honorés à la Maison Blanche par le président Reagan, dont Yaroslav Stetsko, Premier ministre ukrainien sous le IIIe Reich, qui devint le chef du Bloc des Nations anti-bolchéviques et l’un des membres de la Ligue anticommuniste mondiale [6]. L’un de ses adjoints, Lev Dobriansky, devint ambassadeur des États-Unis aux Bahamas, tandis que sa fille Paula Dobriansky fut sous-secrétaire d’État pour la démocratie (sic) de l’administration George W. Bush. C’est Madame Dobriansky qui finança durant dix ans des études historiques visant à faire oublier que l’Holodomor, la grande famine qui toucha l’Ukraine en 1932-33, dévasta également la Russie et le Kazakhstan, et à faire croire qu’elle était décidée par Staline pour éliminer le peuple ukrainien [7].
En réalité, Washington, qui avait soutenu le parti nazi allemand jusqu’en 1939 et avait continué à faire des affaires avec l’Allemagne nazie jusqu’à la fin 1941, n’a jamais eu de problèmes moraux avec le nazisme, pas plus qu’il n’en a à soutenir militairement aujourd’hui le jihadisme en Syrie.
Les élites d’Europe occidentale, qui prennent le nazisme pour un prétexte permettant de persécuter des troubles-fêtes — comme on le voit avec la polémique sur la quenelle de Dieudonné M’Bala M’Bala [8] —, ont oublié ce qu’il est en réalité. En 2005, ils fermaient les yeux sur la réhabilitation du nazisme par la présidente de Lettonie, Vaira Vike-Freiberga, comme si cela était sans importance [9]. Sur la simple foi de déclarations en faveur de l’Union européenne et dans leur atlantisme béat, ils soutiennent maintenant leur pire ennemi. La guerre civile pourrait débuter en Ukraine durant les Jeux Olympiques de Sotchi.
Thierry Meyssan
Voir aussi, sur E&R : « Ukraine : une conversation embarrassante pour les États-Unis rendue publique »
E&R
Commentaires
Que les USA aient intérêt à déstabiliser la Russie en soutenant l'opposition ukrainienne, est une évidence absolue…mais j'ai bien du mal à suivre l'argumentation "nazie" de Meysan ! Elle me paraît tirée par les cheveux.
et après l,Ukraine , à qui le tour ?? le grand Satan continue ses œuvres . . !!
salutations.
On peut enlever le point d'interrogation : ce matin, BHL nous infligeait (via Europe I et repris par toutes les pravdas de la république) sa prophétie :c'est Poutine,c'est Poutine !
Et dire que le bonhomme qui est chef de l'Etat va faire ses courbettes (en solo, ce qui paraît-il est très gênant pour le protocole US !) pour un "voyage d'état" !
@ Dirk: Thierry Meyssan est généralement très bien informé.
Lui-même prévient: "Le lecteur néophyte peut être choqué d’observer cette alliance entre l’administration Obama et des nazis."
Pour ma part, je pense que les EU sont pragmatiques, et se serviront de tous les partenaires possibles pour arriver à l'émergence d'un monde unipolaire. Or la Russie représente bien évidemment un obstacle de taille pour le grand œuvre mondialiste.
15 000 nazis qui défilent librement à Kiev le 1er janvier 2014, ce n'est pas un "argument tiré par les cheveux", mais un fait indiscutable. Si ON laisse faire, c'est bien pour quelque chose...
"et à faire croire qu’elle était décidée par Staline pour éliminer le peuple ukrainien [7]."
Ben oui, mon gars, les bolchéviques sont les plus grands criminels de l'humanité, que cela te plaise ou non.
Ce sont les nazis qui sont responsables de tous les malheurs du monde, passés , présents et futurs pour l'antifa Meyssan.
@anonyme
Je suis bien d'accord avec vous et je suis resté abasourdi par les analyses tordues de Meyssan sur l'Holodomor ! On peut lire cette analyse plus détaillée sur son site.
En attendant, BHL s'appuierait sur les nazis ukrainiens ?
Je commence à avoir mal au crâne !
J'aimerais bien avoir les explications d'un Aymeric Chauprade sur cette question
@ Dirk: je viens de "remonter" deux notes sur l'Ukraine que vous n'avez sans doute pas lues: une d'Aymeric Chauprade et l'autre de Xavier Moreau. Tous deux écrivent sur le site realpolitik tv.
étonnant ce commentaire de Meyssan , concernant le génocide Ukrainien orchestré par Staline , mais en général ses analyses sont pertinentes et lucides . .!!
salutations.
Merci Gaëlle.
Je suis très sûr des informations et des analyses d'Aymeric Chauprade, un de nos meilleurs géopoliticiens actuels. Meyssan se laisse parfois aveugler par certaines fixations "antifa" l'amenant à écrire des contre vérités sur les responsables de l'Holodomor en Ukraine…ce qui ne l'empêche pas d'avoir été souvent pertinent sur la Syrie. C'est bien Staline et son âme damnée Lazare Kaganovitch, sans compter son protégé Nikita Krouchtchev, qui organisèrent la grande famine qui fit plus de 6 millions de morts rien qu'en Ukraine ! Parmi ces morts, des dizaines de milliers le furent d'une balle dans la nuque.
Quant aux "problèmes moraux", la géopolitique n'en a cure, qu'elle soit américaine ou russe ou israélienne. En l'occurrence, l'Amérique utilisera toutes les forces de l'opposition, les "nazis" parmi d'autres, bien sûr, si c'est nécessaire.