Tandis que les forces armées russes reprenaient possession de la Crimée sans verser une goutte de sang, tandis que Barack Obama brandissait le gros bâton dont il n’a nulle intention de se servir, tandis que l’OTAN grommelait de vagues menaces contre la Russie, tandis que Hollande et Cameron, chiens couchants de l’Amérique rivalisant de zèle dans la servilité, aboyaient aux chausses de Poutine et parlaient déjà d’exclure son pays du cercle des nations civilisées, tandis que l’ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko appelait à la mobilisation générale, tandis que Bernard-Henri Lévy, nain philosophe juché sur les épaules de Voltaire, de Victor Hugo et d’André Malraux, de passage sur la place Maïdan, invitait son auditoire ukrainien à mourir héroïquement, tandis qu’à tout moment la situation pouvait dégénérer et le premier coup de feu déchaîner une guerre sanglante et inégale, Angela Merkel prenait discrètement contact avec le président russe et lui tenait, d’égale à égal, le langage d’une femme d’État qui se sait écoutée et respectée.
Sans absoudre en aucune manière les dangereuses initiatives prises par son interlocuteur, le chancelier allemand rouvrait la porte que les adeptes d’une bien sommaire diplomatie lui avaient imprudemment claquée au nez et lui faisait accepter le principe d’un « groupe de contact » où l’on évoquerait entre gens raisonnables et responsables un dossier devenu brûlant. C’était une perche tendue à Vladimir Poutine qui permettait au maître du Kremlin de suspendre, de différer, voire d’annuler les actions envisagées sans pour autant perdre la face et sans reculer devant des menaces de représailles aussi fermes dans la forme que dérisoires sur le fond. C’était aussi la première fois depuis la dernière guerre que l’Allemagne, géant économique entravé par le souvenir de son passé, prenait l’initiative et revenait au premier plan de la scène internationale. C’était enfin le premier pas sur la voie d’un arbitrage dont chacun sait déjà, même s’il est difficile de l’admettre publiquement, qu’il se fera à l’avantage de la Russie et donc au détriment de l’Ukraine. Jusqu’à quel point ?
Naturellement, pour reprendre la célèbre et cynique formule de Claude Cheysson en 1981, l’Europe ne fera rien. Naturellement, les États-Unis ne feront rien. Et ce n’est pas seulement, pour ce qui est du Vieux Continent, par faiblesse, par lâcheté, parce qu’il dépend des livraisons de gaz russe et ne veut pas porter atteinte à ses relations économiques avec la Russie. Ce n’est pas seulement, pour ce qui concerne Washington, parce que, lasse de jouer les gendarmes du monde, d’y prendre et d’y recevoir des coups, l’Amérique cherche plutôt à se replier sur elle-même qu’à s’engager sur de nouveaux terrains de confrontation. C’est tout simplement parce qu’il y a une volonté russe de reprendre possession des territoires perdus et de renouer avec la grandeur passée plus forte et plus justifiée que la volonté du reste du monde de l’en empêcher.
La Crimée d’ores et déjà passée par profits et pertes, la question est maintenant de savoir ce qu’il adviendra de l’Ukraine, création artificielle dont les frontières actuelles ne reposent pas sur ce désir commun de vivre ensemble qui constitue les nations. Verra-t-on l’est et l’ouest du pays se séparer pacifiquement, sans drame et sans regret, comme l’ont fait de manière exemplaire la Tchéquie et la Slovaquie ? Verra-t-on la Russie imposer son joug par la force, comme au temps révolu des partages de la Pologne, à cette autre moitié de l’Ukraine qui apparemment s’y refuse ?
L’enjeu n’est pas tel qu’il oblige à revenir à la guerre froide. Et il est d’autres méthodes que la guerre pour régler ce genre de problèmes. Poutine peut réfréner son appétit d’ogre et s’asseoir à la même table que les pays de l’OSCE dont la Russie est membre, les pays occidentaux peuvent rengainer leurs injures et leurs condamnations morales et examiner avec lui les conditions dans lesquelles pourrait être organisée une consultation régulière des Ukrainiens sur l’avenir qu’ils se choisissent. Il n’y aurait rien d’extravagant, au XXIe siècle, à mettre en pratique le droit reconnu aux peuples, il y a deux cents ans, de disposer d’eux-mêmes.
Dominique Jamet
BOULEVARD VOLTAIRE
Commentaires
l,Allemagne une puissance , Merkel une femme d,état avec un sens politique pragmatique.
la France ,un état nain , avec un nul à sa tête!!
quelle déchéance pour nous .!!
salutations.