Yaakov Dov Bleich, grand rabbin d'une communauté ukrainienne dans le doute
Par Steve Nadjar Le 06/03/2014 à 12h06 Rubrique Monde juif
La séquence révolutionnaire en cours ouvre une période d’instabilité pour la communauté juive ukrainienne.
On estime le nombre de Juifs ukrainiens à 100 000, 200 000 peut-être. Une incertitude qui en cache d’autres alors que la révolution de la place Meidan prend jour après jour les allures d’une crise internationale inédite. Le vent de la révolte continue de souffler sur l’Ukraine et les Juifs, citoyens parmi d’autres, demeurent dans l’expectative à mesure des manœuvres militaires russes. Qui peut prédire le cours que prendra l’insurrection de Meidan ? Neuf ans après la « révolution orange » de 2003, la rue ukrainienne s’est à nouveau soulevée contre l’autocratie de Victor Ianoukovitch, tournée politiquement et culturellement vers la Russie. Parmi les manifestants en quête d’Europe, de démocratie et surtout de liberté, des Juifs, souvent jeunes, scandent à pleins poumons des slogans hostiles au désormais ex-président. Difficile en ce sens d’isoler complètement les Juifs du reste de la population ukrainienne. Moscou est également voué aux gémonies, accusé des plus sombres ambitions hégémoniques sur sa « zone d’influence exclusive ».
Svoboda et les "Zhids"
Mais dans cette foule populaire, les Juifs ne croisent pas que des révolutionnaires épris de droits de l’homme, des partisans d’Ioulia Timochenko ou de l’ex-boxeur Vitali Klitchko. L’une des trois forces d’opposition se nomme Svoboda, parti ultra-nationaliste mené par Oleg Tiagnibok. Svoboda (« Liberté » en ukrainien) s’inscrit dans la ligne idéologique de l’Organisation des nationalistes ukrainiens dont la milice armée collaborationniste massacra les Juifs de Galicie pendant la Seconde guerre mondiale. Des symboles nazis trouvent encore bonne place aujourd’hui dans les rassemblements du mouvement où fusent les quolibets contre les « Zhids » et où circulent de main en main des exemplaires du faux antisémite « Les Protocoles des Sages de Sion ».
Paradoxe connu d’une séquence révolutionnaire où des forces antagonistes s’allient contre un ennemi commun. Quel poids pèsera Svoboda dans l’Ukraine de demain ? Pour les Juifs, la question inquiète et réveille les peurs les plus anciennes. L’histoire contemporaine de l’Ukraine est en effet émaillée par des crises politiques qui à chaque fois ont souligné les divisions ethniques traversant la nation ukrainienne. De l’assassinat du tsar russe Alexandre II en 1881 à la naissance de la République populaire d’Ukraine en 1917, ces moments de « bascule » ont accouché de pogroms et de virulences antisémites. La minorité se mue en bouc émissaire quand la nation s’interroge sur son identité.
La référence à l’histoire, passage obligé de la crise ukrainienne. Dans les chancelleries occidentales, on évoque un « vent de guerre froide », on s’inquiète de l’hubris de Vladimir Poutine, obsédé par la gloire soviétique d’antan. A Moscou, responsables politiques et médias appellent à vaincre les « fascistes » et campent les soldats russes en héros affrontant les rejetons des nazis. Au cœur de la propagande russe, le sort des Juifs d’Ukraine constitue un pion stratégique, capable de soulever les protestations dans le monde et de ternir l’image des nouvelles autorités ukrainiennes. Les attaques récentes contre des personnes juives ou des synagogues ont ainsi été « récupérées » par les Russes qui en font le présage de ce que pourrait subir la minorité juive sous le règne des nouvelles forces au pouvoir à Kiev. Pourtant, des responsables communautaires ont laissé entendre que certaines attaques – comme celle de la synagogue de Zaporozhye – ont pu être le fait des « titushki », hommes de main du régime russe qui souffle sur les braises.
Les autorités juives locales s’interrogent sur la marche à suivre
Livrées à cette double menace, les autorités juives locales s’interrogent sur la marche à suivre. Du reste, le grand rabbin d’Ukraine Jacob Dov Bleich a pointé du doigt lundi l’instrumentalisation des violences juives en Crimée par la Russie au profit de ses visées annexionnistes. Des tensions sont même apparues ces dernières semaines entre le grand rabbin Bleich et son homologue russe, Rabbi Berel Lazar du mouvement Habad. Le premier reproche en effet au second d’avoir donné du crédit par ses déclarations (« Le gouvernement [russe] ne permet aucun antisémitisme en Russie. En Ukraine, c’est un autre sujet ») aux allégations formulées par Moscou au sujet des débordements antisémites de la révolution. Car le rabbin Bleich le sait, lier son sort aux mains d’un camp mènerait la communauté juive ukrainienne sur des chemins périlleux.
Svoboda et les "Zhids"
Mais dans cette foule populaire, les Juifs ne croisent pas que des révolutionnaires épris de droits de l’homme, des partisans d’Ioulia Timochenko ou de l’ex-boxeur Vitali Klitchko. L’une des trois forces d’opposition se nomme Svoboda, parti ultra-nationaliste mené par Oleg Tiagnibok. Svoboda (« Liberté » en ukrainien) s’inscrit dans la ligne idéologique de l’Organisation des nationalistes ukrainiens dont la milice armée collaborationniste massacra les Juifs de Galicie pendant la Seconde guerre mondiale. Des symboles nazis trouvent encore bonne place aujourd’hui dans les rassemblements du mouvement où fusent les quolibets contre les « Zhids » et où circulent de main en main des exemplaires du faux antisémite « Les Protocoles des Sages de Sion ».
Paradoxe connu d’une séquence révolutionnaire où des forces antagonistes s’allient contre un ennemi commun. Quel poids pèsera Svoboda dans l’Ukraine de demain ? Pour les Juifs, la question inquiète et réveille les peurs les plus anciennes. L’histoire contemporaine de l’Ukraine est en effet émaillée par des crises politiques qui à chaque fois ont souligné les divisions ethniques traversant la nation ukrainienne. De l’assassinat du tsar russe Alexandre II en 1881 à la naissance de la République populaire d’Ukraine en 1917, ces moments de « bascule » ont accouché de pogroms et de virulences antisémites. La minorité se mue en bouc émissaire quand la nation s’interroge sur son identité.
La référence à l’histoire, passage obligé de la crise ukrainienne. Dans les chancelleries occidentales, on évoque un « vent de guerre froide », on s’inquiète de l’hubris de Vladimir Poutine, obsédé par la gloire soviétique d’antan. A Moscou, responsables politiques et médias appellent à vaincre les « fascistes » et campent les soldats russes en héros affrontant les rejetons des nazis. Au cœur de la propagande russe, le sort des Juifs d’Ukraine constitue un pion stratégique, capable de soulever les protestations dans le monde et de ternir l’image des nouvelles autorités ukrainiennes. Les attaques récentes contre des personnes juives ou des synagogues ont ainsi été « récupérées » par les Russes qui en font le présage de ce que pourrait subir la minorité juive sous le règne des nouvelles forces au pouvoir à Kiev. Pourtant, des responsables communautaires ont laissé entendre que certaines attaques – comme celle de la synagogue de Zaporozhye – ont pu être le fait des « titushki », hommes de main du régime russe qui souffle sur les braises.
Les autorités juives locales s’interrogent sur la marche à suivre
Livrées à cette double menace, les autorités juives locales s’interrogent sur la marche à suivre. Du reste, le grand rabbin d’Ukraine Jacob Dov Bleich a pointé du doigt lundi l’instrumentalisation des violences juives en Crimée par la Russie au profit de ses visées annexionnistes. Des tensions sont même apparues ces dernières semaines entre le grand rabbin Bleich et son homologue russe, Rabbi Berel Lazar du mouvement Habad. Le premier reproche en effet au second d’avoir donné du crédit par ses déclarations (« Le gouvernement [russe] ne permet aucun antisémitisme en Russie. En Ukraine, c’est un autre sujet ») aux allégations formulées par Moscou au sujet des débordements antisémites de la révolution. Car le rabbin Bleich le sait, lier son sort aux mains d’un camp mènerait la communauté juive ukrainienne sur des chemins périlleux.
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