Un vrai tournant dans les affaires du monde ?
Michel Lhomme
le 21/04/2014
modifié le 21/04/2014 à 16:06h
Le climat reste tendu en Ukraine et les pays occidentaux conservent un œil inquiet sur la région notamment en direction des territoires de l’Est, limitrophes de la Russie. Les manifestations qui secouent l’Ukraine ne faibliront sans doute pas. De plus, les Etats-Unis n’ont pas caché le fait qu’une nouvelle incursion russe sur le territoire souverain ukrainien ne pourrait être tolérée, ce qui en clair signifie une intervention de l'Otan. La diplomatie est restée l’outil privilégié dans ce conflit aux relents de guerre froide. Les Américains comme les Français ont néanmoins déployé des forces maritimes dans la région.
La tension est à son comble dans l’Est de l’Ukraine (région de Donetsk) où les autorités de Kiev avaient lancé une opération militaire contre les séparatistes russophones. Pour le porte-parole de l’exécutif américain, Jay Carney, le gouvernement ukrainien a la responsabilité du respect de la loi et de l’ordre dans le pays. L’Ukraine se trouve bien au bord de la guerre civile et de sa partition. Le Kremlin a d'ailleurs annoncé que Vladimir Poutine recevait de nombreuses demandes d’aide de la part d’habitants des régions de l’Est ukrainien et suivait la situation avec beaucoup d’inquiétude.
Dans ce climat, la Russie a procédé à un nouvel essai de missile balistique intercontinental (ICBM), mais elle en aurait informé les Etats-Unis, conformément aux accords de désarmement. Le dimanche 6 avril, le président ukrainien par intérim, Alexandre Tourtchinov avait appelé les partisans russophones de la fédéralisation de l'Ukraine à quitter les bâtiments administratifs avant lundi. Dans le même temps, il avait annoncé le début d’une vaste opération impliquant l’armée régulière dans l’est du pays, à qui il avait donné l’ordre de tirer sur les civils, ordre jugé criminel par Moscou.
Un accord loin d’être acquis
Un accord aurait donc été conclu à Genève entre l'Ukraine, l'Union européenne, la Russie et les Etats-Unis. Mais l'accord est loin d'être acquis. La « déclaration commune » signée appelle au désarmement des groupes armés illégaux. L'OSCE, qui regroupe la totalité des Etats européens, doit, selon l'accord, aider le gouvernement de Kiev à mettre en œuvre les mesures de désescalade et de désarmement. Moscou parviendra-t-il à désarmer les russophones ?
En apposant sa signature à côté de celle de son homologue ukrainien, Andreï Dechtchitsa, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov a fait un réel geste vis-à-vis de Kiev car c'est, de la part de Moscou, une reconnaissance implicite du gouvernement ukrainien. Mais sur le fond, pour les nationalistes ukrainiens, le document du Léman marque aussi une victoire diplomatique du Kremlin puisque la « déclaration commune » ne mentionne pas la Crimée, avalisant ainsi son « annexion » de fait. Enfin, la « déclaration finale » prévoit l'organisation d'un « dialogue national » destiné à garantir les droits des citoyens ukrainiens. Il ouvre la voie tacitement à une large autonomie pour les régions de l'Est. Lors d'une émission télévisée, M. Poutine a d'ailleurs qualifié l'Est de l'Ukraine de « nouvelle Russie ». « Kharkiv, Lugansk, Donetsk, Odessa ne faisaient pas partie de l'Ukraine du temps des tsars. Dieu sait pourquoi, elles ont été transférées en 1920 ! » a-t-il lancé. Et de rappeler qu'il se réservait le droit d'y intervenir militairement. L'un des desseins stratégiques du président Poutine semble donc bien de recréer, impérialisme ou nationalisme russe, autour de son pays, un glacis de protection.
En fait, depuis le début, les Occidentaux ont perdu leur partie de poker en Ukraine. Ils ne bougeront sans doute pas pour ce pays. La Russie a eu chaud mais c'est loin d'être terminé. L'Otan a instrumentalisé les nationalistes et levé le ferment de l'insurrection d'un pays pauvre et ruiné, prêt à toutes les aventures. La « stratégie du chaos » porte bien son nom sauf qu'une puissance fut-elle la super puissance peut-elle raisonnablement gouverner le monde dans ce chaos (Irak, Syrie, Libye, Soudan, Sahel, Afghanistan) ?
Pour la communauté internationale, le référendum de Crimée pose aussi la question du « deux poids, deux mesures » entre ce qui serait permis aux Occidentaux et ce qui serait interdit aux autres. Les Occidentaux ne trompent plus personne après les deux guerres d'Irak, le viol des résolutions de l'Onu dans la liquidation politique de Kadhafi, la stratégie du chaos appliquée à la Syrie sans compter la transformation de Gaza en camp de concentration à ciel ouvert ou la partition soudanaise qui s'enlise dans les massacres. Les arguments humanistes des Occidentaux ont définitivement fait long feu. C'est cela le vrai tournant que représente la crise ukrainienne dans les affaires du monde. La fin des justifications humanistes des guerres, la prise de conscience du cynisme de « la conquête par la démocratie » et du coup, de la réalpolitik.
METAMAG
Commentaires
La géopolitique anglo saxonne de "containment" de toute puissance résistant à sa volonté hégémonique est source de guerres et de malheurs partout dans le monde comme cet article le rappelle. Comment oser s'attaquer à des populations russes sur la frontière même de la Russie (via un gouvernement "fantoche" à sa botte à Kiev) en espérant que la Russie restera les bras croisés ? Comment être plus provocateur ? Poutine aura le dernier mot, c'est une certitude !