Un obscurantisme aujourd'hui dépassé
Yvan BLOT*
le 01/05/2014
Certains de nos contemporains croient vivre dans un siècle de lumières alors que l’obscurantisme continue à faire des ravages. Cet obscurantisme concerne tout particulièrement nos relations avec la Russie.
L’écrivain Wodzinsky constate : « nos clefs pour comprendre la Russie rouillent sous l’effet de la nouveauté (.) Nous nous efforçons de déchiffrer la Russie à l’aide de codes périmés de barbarie (asiatique) et de démocratie (européenne) en fabriquant des poncifs stériles (..). La Russie contInue à remplir pour l’Europe une fonction archaïque de catharsis, de remède à ses souffrances internes. (..) L’Occident a exporté à l’Est ses propres déchets. Peut-être y a-t-il perdu son âme ! »
Après tout, Hitler est bien un produit de l’Occident (son livre de chevet fut longtemps un livre sur les Juifs de Henry Ford, l’industriel américain !). Le marxisme allemand aussi et la Terreur révolutionnaire qu’admirait tant Lénine fut une invention française ! Alors pourquoi diaboliser la Russie comme si elle avait le monopole de l’arriération et du totalitarisme ?
CINQ MYTHES SUR LA RUSSIE
Les cinq « clés rouillées » que nous utilisons encore sont les idées d’économie de rente, de continuité du totalitarisme, d’effondrement démographique, de persistance du goulag et de l’immoralité.
Le premier mythe : l’économie de rente
La Russie serait, selon la formule absurde de Kissinger, la Haute Volta équipée d’un armement atomique. Aujourd’hui, on dit plutôt, à l’instar d’Alain Juppé : la Russie est une économie de rente dont le socle est la production de gaz et de pétrole. Renseignements pris, le gaz et le pétrole représentent 10% du PNB russe ! Il faut comparer cela avec les 41% du Pib en Arabie Saoudite : là, on a vraiment une économie de « rente » !
D’après la direction générale du Trésor, l’agriculture représente 5% du PIB, (3ème exportateur mondial de blé), le secteur secondaire (industrie) représente 28% du PIB ; La production de matières premières dont le pétrole et le gaz représente 10% du PNB, mais 70% des exportations. Le secteur tertiaire (finances, communications, distribution) représente 66% de l’économie. Selon ces critères donnés par notre propre ministère des finances, la Russie est bien un pays développé !
Un bon indicateur de l’activité économique est aussi la production d’électricité où la Russie est en 2012 troisième ex aequo avec le Japon derrière la Chine et les Etats-Unis. (860 milliards de kw/H contre 461 pour la France). La Russie contrôle un tiers du commerce mondial de constructions de centrales nucléaires. Elle a le monopole de l’envoi d’êtres humains dans la station spatiale orbitale grâce à ses fusées Soyouz que la France utilise en Guyane. La Russie possède plus de têtes nucléaires que les USA et la deuxième marine de combat du monde. Selon le magazine 01Business, la Russie reste une grande puissance technologique : même en informatique, le moteur de recherche Yandex a devancé historiquement Google et Kaspersky reste numéro 1 de l’antivirus informatique. Mais on veut ignorer tout cela. On veut à toute force que la Russie soit sous développée et moins « intelligente » que l’Occident. On va donc inventer un mythe : faire passer la Russie pour une économie de rente pétrolière comme le sont l’Arabie Saoudite ou le Qatar !
Le deuxième mythe : la continuité du totalitarisme depuis 1000 ans
Le régime tsariste n’était certainement pas un régime totalitaire. L’histoire témoigne qu’il a beaucoup plus respecté les indigènes de Sibérie que ne l’ont fait les Etats-Unis avec les Amérindiens parqués dans des réserves. Il a connu le servage, c’est vrai, mais non l’esclavage fondé sur la race, à la différence des Etats-Unis. L’église était un contre- pouvoir important. Assimiler le pouvoir tsariste à celui des nomades mongols n’est pas sérieux. La Russie a même connu des expériences de démocratie directe comme en Suisse : républiques de Novgorod et de Pskov au moyen âge, démocratie « cosaque » dans le sud-est. Certes, le Tsarisme était formellement une autocratie. Mais en réalité, la société russe vivait aussi des contre-pouvoirs que formaient ses traditions et le tsar ne pouvait ni les ignorer, ni les déraciner : aurait-il pu détruire l’orthodoxie, la famille, l’autorité des grands-mères sur la jeunesse ? Non ! Ce n’était d’ailleurs nullement son projet. Et les bolcheviks, malgré leur violence, ont aussi échoué à étouffer les traditions : Comme de Gaulle l’avait prophétisé à l’encontre de tant de« soviétologues » incapables : « la Russie boira le communisme comme le buvard boit l’encre !
Le totalitarisme est venu de l’Occident : la matrice initiale a été le pouvoir de la Terreur jacobine sous Robespierre admiré par Marx et Lénine. Le marxisme est une invention occidentale comme Lénine l’a souligné à juste titre dans son livre « l’Etat et la Révolution » : une synthèse d’économie anglaise (Ricardo), d’idéologie politique française socialiste et de philosophie allemande (Hegel et Feuerbach). L’URSS a été une rupture avec la Russie traditionnelle comme le 3ème Reich en Allemagne avec l’Empire allemand.
La nouvelle Russie n’est pas plus totalitaire que ne l’est l’Allemagne actuelle depuis la chute d’Hitler. Cela aussi, on ne veut pas l’admettre car on a besoin d’un ennemi pour se réfugier sous le parapluie américain ! L’Europe officielle ne veut pas devenir adulte ! il faut donc construire un mythe d’un ennemi éternel, la Russie !
Le troisième mythe : l’effondrement démographique
Certes, cet effondrement a eu lieu après la chute de l’Union soviétique et la démoralisation importée de l’Occident pendant les années Eltsine. Mais les chiffres montrent un redressement très net : la population augmente depuis 2009 ; depuis 2012, le taux de natalité a rattrapé le taux de mortalité (13,3 pour mille habitants) et le taux de fécondité qui fut au plus bas en 1999 (1,17) n’a cessé de remonter pour atteindre 1,69 en 2012 ; le nombre d’avortement par femme est tombé de 3,4 en 1990 à 1,2 en 2006. L’espérance de vie masculine a augmenté de 4 ans entre 2005 et 2010 (69 ans aujourd’hui).
La Russie pratique une politique familiale exemplaire tout en contemplant le suicide démographique de l’Occident. Chaque famille touche à la naissance d’un enfant une prime d’environ 7000 euros. Les incitations financières sont complétées par une revalorisation du mariage, de la fidélité et de la natalité avec la création d’une fête annuelle d’Etat pour décorer les couples méritants. Pendant ce temps, l’Occident prône l’idéologie du « childfree » (libre d’enfants) : le mot est choisi à dessein : on ne dit pas « childless » (sans enfants) ce qui serait neutre : la liberté, c’est l’absence d’enfants ! On est fort loin des valeurs de la charité chrétienne. Si l’on ajoute à cela, l’affirmation de l’égalité en valeur du couple volontairement stérile et du couple hétérosexuel fécond, et si l’on prend en compte la volonté de favoriser l’euthanasie des malades incurables, comme sous le 3ème Reich, on a du mal à ne pas croire le Pape Jean-Paul II lorsqu’il dénonçait la montée d’une culture de mort en Occident ! La Russie, comme l’a dit le président Poutine ou le patriarche Cyril, voit cette évolution avec inquiétude et prend le « parti de la vie » ! Qui s’en plaindra ?
Le quatrième mythe : le « goulag » persistant
Le goulag soviétique n’existe plus. Contrairement aux idées reçues, il n’y a que 800 000 prisonniers en Russie contre 2,5 millions aux Etats-Unis : le taux d’incarcération américain est de 714 prisonniers pour 100 000 personnes (2007) contre 532 en Russie. Les Etats Unis ne respectent pas la suppression de la peine de mort votée par le Conseil de l’Europe, (Texas : 500 exécutions depuis 1976, 39 exécutions pour tous les USA pour la seule année 2013) : que dirait-on si c’était la Russie ? Ce serait le scandale médiatique assuré !
Soit dit en passant, la Tsarine Elisabeth avait abolit de facto cette peine et Anatole Leroy Beaulieu disait dans son « Empire des Tsars » que la Russie état la première du monde par la douceur de son code pénal (due à l’influence de l’Eglise orthodoxe). Les USA, grands donneurs de leçons de morale et de droit, ne respectent aucun des droits de la défense à Guantanamo : que dirait-on si cette prison était russe ?
Le goulag est aussi une importation de l’Occident : les Anglais ont inventé les camps de concentration en Afrique du sud et Lénine a voulu copier la Terreur de Robespierre. On a exporté cet enfer répressif vers la Russie et, peut-être pour nous disculper, on l’accuse d’avoir généralisé ce système dont la victime numéro un a été le peuple russe lui-même !
Le cinquième mythe : l’immoralité foncière de la Russie
C’est un conflit vieux comme l’histoire qui remonte à la mise à sac par les Croisés de Constantinople lors de la quatrième croisade en 1204 (contre la volonté du pape de l’époque, doit-on préciser). L’hostilité aux Byzantins est devenue l’hostilité à l’égard de la Russie. L’antislavisme de l’Occident ressemble beaucoup à l’antisémitisme. Les Russes seraient « génétiquement » cruels, voleurs, malhonnêtes, et inaptes à la liberté. L’Occident fait le silence sur ses propres turpitudes, guerres de religion (guerre de Trente ans où le tiers de la population allemande disparait), inquisition, terreur de la révolution française, génocide de la Vendée décidé officiellement par la Convention (décret Barrère), première et deuxième guerres mondiales : tout cela est-il de la faute des Russes ?
Les statistiques de criminalité ne sont pas toujours favorables à l’Occident. Par exemple, si l’on prend le marché de la drogue, les Etats Unis et l’Australie sont bien plus atteint que la Russie pour le cannabis, l’ecstasy ou la cocaïne. Mais au-delà de ce genre de comptabilité, on peut se poser la question de savoir si l’état moral général des Russes est meilleur ou non que celui des Occidentaux. Depuis les années 1960, (mai 68 en France), la situation des valeurs s’est dégradée : résultat, en France le nombre des crimes et délits est passé de 1,5 à 4,5 millions par an : est-ce un bon signe ?
Dostoïevski nous donnera le mot de la fin : le starets Zossime, (starets : saint homme issu du peuple), déclare que la liberté sans discipline intérieure en Occident consiste à multiplier ses besoins sans limites : les hommes deviennent dépendant des objets et matérialistes. L’égalité sans amour conduit à l’envie, la jalousie et le meurtre. La fraternité sans racines est un verbiage : on constate en fait l’isolement croissant des hommes. Face à ce désert spirituel, la Russie offre l'exemple d’un christianisme vivant qui peut s’associer au christianisme occidental pour défendre les valeurs de notre civilisation commune.
Nous Européens avons tout intérêt à nous associer à la Russie : l’intérêt économique est évident, l’intérêt politique aussi pour ne pas devenir une simple colonie de la superpuissance du moment, l’intérêt humain est de sauver les valeurs familiales face à la culture de mort et l’intérêt spirituel est de renouer avec les valeurs bimillénaires du christianisme et de l’antiquité classique. C’est une voie plus sûre que celle fondée sur le mépris de l’autre, le Russe en l’occurrence, qui empêche l’Europe d’être unie alors que le rideau de fer est tombé depuis longtemps !
*Ancien élève de l’ENA, docteur ès sciences économiques, ancien député du Pas-de-Calais et du Parlement Européen, consultant auprès de la radio « La Voix de la Russie ». Il anime l’Institut néo-socratique de philosophie politique et préside l’association « Agir pour une Démocratie Directe » .
METAMAG
Cet article fait tout de même l'impasse sur la période stalinienne. Le nom de Staline n'y est même pas cité.
Commentaires
Gaëlle ,
Je crois deviner pour quelle raison l'article ne mentionne pas " le stalinisme " .
Ne vous en formalisez pas trop , je prétends que c'est parce que " ce stalinisme " n'a jamais existé que dans l'esprit des journalistes aux ordres .
Staline n'a innové en rien , il a repris et poursuivi l'oeuvre de son prédécesseur . C'est tout .
Trotski était le candidat de la finance internationale . C'est pour cette raison qu'il a été métamorphosé en martyr de la Révolution .
Vous savez comme moi que les magnats de Wall Street s'accommodent d'un régime communiste , à condition qu'il soit réduit à quémander régulièrement leur aide .
C'est pour cette raison que le " camp socialiste " eut son heure de gloire ... Il les servait plus qu'il ne les inquiétait .
Il ne s'agissait nullement d'affranchir les travailleurs . L'objectif poursuivi était bien différent .
A l'intérieur des milieux dirigeants de l'URSS il y avait deux tendances rivales , l'une occidentaliste ( le KGB ) , l'autre imprégnée d'eurasisme ( le GRU )
Poutine c'est un occidentaliste que l'aveuglement suicidaire de l'Occident contraint à faire une politique qui répond peu à ses aspirations .
- le livre de Pierre de Villemarest sur le GRU ne manque pas d'intérêt . Les écrits plus actuels d'Alexandre Douguine ne sont pas à négliger .
Amicalement , j'espère .
La Terreur révolutionnaire est une invention française ?
Pas exact, tout avait été organisé par Adam Weishaupt fondateurs des Illuminés de Bavière, c'est à Francfort que fut décidé la mort de trois Rois, dont Louis XVI.
A.W était de la tribu, JJ Rousseau aussi, Voltaire non mais con et prétentieux, il faut bien des idiots utiles.
La haine ancestrale contre le Catholicisme remonte à la Kabbale, elle fit irruption plus violemment en France, mais elle n'est pas Française, cette horreur mijotait depuis longtemps, et mijote encore plus aujourd'hui, nous le constatons tous les jours.
La réhabilitation de ces vérités sur la Russie actuelle est fondamentale comme Ivan Blott le résume en conclusion. Elle est d'autant plus urgente que la propagande massive anti russe fait fureur sur tous les médias, sans qu'il n'y ait jamais de contradiction. Cela en devient grotesque !
@Gaëlle, je crois que la critique du stalinisme, même si Staline n'est pas nommément cité, est implicite lorsque Blot évoque la filiation du bolchevisme avec la révolution française. En l'occurrence, le stalinisme, plus sinistre entreprise de mort de tous les temps, est une réalité admise par tout le monde aujourd'hui et n'est plus un mythe, sauf pour certains groupes encore actifs mais minoritaires en Russie. Blot aurait peut-être pu insister là-dessus, parce l'inspiration occidentale pour l'expliquer n'est pas suffisante. Il faudrait évoquer d'autres facteurs proprement russes, voire asiatiques, et surtout le poids énorme d'une de ses "minorités" dont Soljenitsyne a démontré définitivement le rôle décisif voire écrasant dans l'avènement du bolchevisme, le génocide de 23 millions de koulaks, l'organisation et la gestion des immenses goulags, etc. La déstalinisation s'est faite sans bain de sang, ce qui est une prouesse qu'il faut aussi mettre à l'actif de la nouvelle Russie, même si rien n'est parfait dans ce pays complètement à part et que nous avons encore bien du mal à comprendre.
@ turigol: merci pour cette rectification qui s'impose. Je suis entièrement de votre avis.
@ albert: mais oui, aucun problème! Je ne sis stupidement butée!
Très bonne mise au point sur l’état de la Russie actuelle que nous ne comprenons pas très bien vu que nous n’avons pas les bonnes clés pour l’analyser. Merci à Ivan Blot.
Je n'entends pas relancer la discussion et cependant il me semble que le véritable internationaliste marxiste fut l'homme de Wall Street , Lev Davidovitch Bronstein , et que le Géorgien a russifié une expérience de capitalisme d'Etat .
Ce Staline , parfois décrit comme une brute , avait compris que le modèle soviétique ne serait jamais accepté en Europe occidentale . Il se servait des oripeaux internationalistes pour se constituer un peu partout dans le monde une clientèle qu'il manipulait au gré des intérêts de l'URSS .
Un monstre , peut-être , un grand homme d'Etat cependant . Ses crimes ne furent dénoncés qu'à partir du moment où il entreprit de domestiquer les " zélus " . L'invention du stalinisme , c'est la reprise des jérémiades du Juif .
Le persécuté est un persécuteur . Voilà ma psycho à deux balles . "