Ecrit le 3 mars 2014 à 11:37 par Olivier Bault dans Histoire de comprendre
Des prêtres orthodoxes, uniates et catholiques et des pasteurs protestants qui entonnent une prière collective toutes les heures depuis la scène du Maïdan, la place de l’Indépendance à Kiev, des membres des groupes d’auto-défense avec un rosaire accroché à leur casque ou encore arborant l’archange Michel, patron de l’Ukraine. Une chapelle improvisée sous une tente, des patriotes qui jeûnent pour leur pays. La foule à genou, priant pour ses morts. Ce prêtre, aumônier improvisé d’une sotnia, que le journaliste polonais Dawid Wildstein a vu prendre sous sa protection, avec son groupe d’autodéfense, un car de jeunes soldats bloqué par la multitude en colère (c’était au moment des massacres des 18-19 février par les autorités) en criant : « Ne faites pas ça, vous êtes chrétiens, nous sommes chrétiens ! » avant de grimper sur le toit du car et de brandir son crucifix : tous les occupants du véhicule ont pu en sortir et s’éloigner sans être inquiétés. Une sotnia chrétienne rassemblant orthodoxes et gréco-catholiques qui refusent toute violence et qui rendent témoignage au Christ par leur attitude d’opposition au mal par le bien. Un jeune homme sur la scène du Maïdan qui lance à la foule, après avoir tenté de s’exprimer dans un ukrainien maladroit : « Sœurs, frères, je vais parler en russe. Il faut prier et ne pas se laisser vaincre par le mal, mais vaincre nous-mêmes avec le bien et l’amour fraternel. » Les mots « Gloire à Dieu, gloire à Jésus-Christ, gloire à l’Ukraine » qui retentissent régulièrement sur la place…
La révolution ukrainienne c’est aussi cela et les témoins directs que j’ai rencontrés le confirment : dès le début des manifestations au Maïdan, Jésus-Christ était présent parmi les manifestants et sa présence s’est intensifiée à mesure que le temps passait. Je ne veux pas prétendre que Dieu Lui-même soutient les revendications des manifestants, mais simplement qu’il était présent par son Église et qu’un nombre grandissant de protestataires avaient les yeux tournés vers Jésus-Christ. « Travaille comme si tout dépendait de toi, prie le Seigneur comme si tout dépendait de Lui », dit un proverbe ukrainien rappelé depuis la scène du Maïdan par le cardinal Lubomyr Husar, archevêque émérite gréco-catholique de Kiev. Un curé d’une paroisse de Kiev explique au journaliste de l’hebdomadaire catholique polonais Gość Niedzielny : « Puisque nos fidèles y sont, nous avons le devoir de leur apporter un soutien spirituel ».
Lila et Andriy, deux de mes amis ukrainiens, catholiques romains, confirment. Ils ont passé quelques jours au Maïdan de l’Indépendance les 27 et 28 décembre et les 2 et 3 janvier. Pour eux, ces trois mois de protestations sont comme une immense récollection de l’ensemble de la nation ukrainienne. En effet, m’expliquent-ils, les manifestants de Kiev viennent de toute l’Ukraine. Nombreux sont aussi les russophones de l’est du pays, de Donetsk, Kharkov, Lougansk, et aussi de Crimée, certains ne maîtrisant que très peu ou pas du tout la langue ukrainienne. Les russophones de Kiev sont eux aussi présents en masse. Et si l’Église orthodoxe affiliée au patriarcat de Moscou n’a pas soutenu les protestations, contrairement aux autres Églises d’Ukraine, ses fidèles, et même ses prêtres, sont venus en nombre. Depuis quelques jours, le frère de Lila y est. Il loge chez les pères franciscains. Pour lui comme pour les gens qu’il a rencontrés dans le train l’emmenant à Kiev, il s’agit d’un pèlerinage. Les Ukrainiens se rendent au Maïdan afin de prier pour leur pays, pour les héros morts assassinés depuis les toits par les francs-tireurs à la solde de Ianoukovytch (et peut-être aussi, ce que beaucoup pensent tout haut en Ukraine, de Moscou) et ceux abattus à bout portant ou battus à mort par les Berkouts. Aujourd’hui ils prient aussi pour la paix alors que les médias au service du Kremlin semblent depuis le début de la protestation déjà, comme pour la Géorgie en 2008, préparer la nation russe et le monde à une invasion de l’Ukraine en multipliant les émissions de propagande sur le caractère supposé fasciste, ultra-nationaliste et violent du soulèvement du peuple ukrainien. Des fascistes bien entendu soutenus par la CIA comme au bon vieux temps de la propagande soviétique. Plutôt que de s’occuper de ses propres ultra-nationalistes dont elle ne manque pas, à commencer par Jirinovski, vice-président de la Douma, et son parti politique, et en passant par ces mouvements nationaux-bolcheviques à la symbolique néo-nazie qui ont déjà assassiné tant d’étrangers trop basanés à leur goût, voilà la Sainte Russie de Vladimir Poutine qui va sauver le monde et l’Ukraine, et notamment les « Russes » d’Ukraine contre les ultra-nationalistes de Svoboda, un parti malgré tout très minoritaire au sein du nouveau gouvernement ukrainien.
Lila et Andriy n’ont pas vu ces fameux ultra-nationalistes lorsqu’ils étaient au Maïdan, mais il faut dire que les services ukrainiens n’avaient pas encore commencé leur campagne d’assassinats. Ils avaient seulement réprimé violemment, le 30 novembre, les étudiants présents sur la place. Pour beaucoup, cela s’était terminé à l’hôpital. Les seuls militants politiques rencontrés par Lila et Andriy étaient des partisans de Ioulia Tymochenko affairés à récolter des signatures pour sa libération. Les nationalistes étaient donc encore absents mais par contre il y avait déjà la tente tenant lieu de chapelle œcuménique montée là où les étudiants avait été passés à tabac par les Berkouts quelques semaines plus tôt. Une tente ornée d’une croix à l’extérieur et abritant des icônes à la mode orthodoxe. Une tente où les messes sont dites régulièrement par des prêtres des différentes Églises d’Ukraine, et où les fidèles viennent prier ensemble. Les prières sont aussi dites depuis la scène du Maïdan, toutes les heures, de jour comme de nuit. Ce qui a frappé mes amis, c’est aussi la solidarité et la bienveillance qui régnaient entre toutes ces personnes présentes. Dès leur arrivée sur la place, des hommes les ont abordés et leur ont demandé s’ils avaient où dormir et s’ils avaient faim. C’était le soir. Lila et Andriy se sont assis près d’un de ces feux de bois brûlant dans des bidons métalliques autour desquels les gens se réchauffent. On leur a servi un thé, du bortsch et des sandwiches. Le lendemain matin quand ils se sont à nouveau approchés d’un feu de bois, des gens se sont levés pour leur céder leur place. Un homme était assis là, la soixantaine, à la mine triste et aux traits fatigués. Il leur a expliqué qu’il était de l’ouest, qu’il était là depuis le début. Lila lui a demandé s’il n’avait pas envie de rentrer chez lui. L’homme a répondu qu’il resterait tant que ce gouvernement n’aurait pas démissionné. Quelqu’un lui a proposé un thé. Il a refusé car c’était vendredi : alors qu’il faisait -10 ou -12°, cet Ukrainien ne buvait et ne mangeait rien le mercredi et le vendredi, il jeûnait pour son pays, l’Ukraine, considérant que ce qu’il endurait n’était rien par rapport à l’avenir de ses enfants et petits-enfants. Lila et Andriy ont rencontré d’autres personnes comme cet homme, qui jeûnaient pour leur patrie. Et partout sur la place, des gens priaient le Seigneur.
Au début, en novembre, ils n’étaient pas très nombreux, mais avec le temps même les manifestants peu pratiquants se sont aperçus de la puissance de la prière, notamment quand ils ont vu des prêtres prier debout où à genou devant les rangées de Berkouts et qu’ils ont constaté que c’était efficace ! Sur la scène du Maïdan, une grande image de la Vierge de Fatima. Ailleurs sur la place, une autre image avec le Christ Miséricordieux et l’inscription « Jésus, j’ai confiance en Toi » et « Nous Te confions l’Ukraine. »
En Ukraine, 90 % des gens se considèrent comme croyants. Parmi eux, 40 % d’orthodoxes du patriarcat de Kiev, 30 % d’orthodoxes du patriarcat de Moscou, 15 % de gréco-catholiques, 3 % de membres de l’Église orthodoxe autocéphale ukrainienne, un peu plus de 2 % de protestants et un peu moins de catholiques, ainsi qu’une proportion encore moindre de musulmans et de juifs. Mais au Maïdan tous les chrétiens prient ensemble et les juifs de Kiev étaient aussi très présents sur la place, ce qui contredit d’ailleurs la propagande russe sur les milices néo-nazies qui auraient pris le contrôle du mouvement. Il y a d’ailleurs eu un amalgame entre le « secteur droit », un rassemblement de mouvements nationalistes devenu très actif au Maïdan lorsqu’il a fallu affronter les forces de l’ordre, et le parti Svoboda. Les ultra-nationalistes de Svoboda ont été élus aux dernières élections législatives en poliçant leur message et leur image, mais pour Andriy et Lila, ils ont perdu ces derniers mois une bonne part de leur soutien dans la population car ils sont désormais perçus comme une force divisant les Ukrainiens et totalement étrangère au Maïdan. Quant au secteur droit, il a récusé toute participation aux actes violents menés par ce qu’Andriy et Lila considèrent comme des provocateurs du pouvoir ou, peut-être, des militants du parti Svoboda. Les élections anticipées de mai nous diront si mes amis ukrainiens ont raison.
J’ai aussi interrogé Iryna, une amie ukrainienne russophone originaire du centre du pays. Iryna aussi soutient le Maïdan. Pour elle, il s’agit d’une révolution contre un régime corrompu jusqu’à la moelle. Elle en a elle-même fait l’expérience. Sage-femme, elle aurait souhaité faire des études de médecine mais ses parents n’avaient pas l’argent nécessaire pour verser les pots-de-vin réclamés par les responsables de l’université. Sa fille étant gravement malade, elle a dû elle-même remettre discrètement des enveloppes aux personnels hospitaliers avant chaque soin. Selon Iryna, les russophones du centre et de l’est se sentent eux aussi ukrainiens et détestent Vladimir Poutine pour sa politique nationaliste et agressive vis-à-vis des voisins de la Russie. Son avis semble confirmé par le fait que, hormis la Crimée, les manifestations pro-Maïdan ressemblent nettement plus de monde que les manifestations pro-Russie dans les grandes villes de l’est.
Depuis la scène du Maïdan, Stanislav Szyrokoradiuk, évêque du diocèse de rite latin de Kiev-Jitomir a appelé chaque personne au cœur droit à venir au Maïdan, car on s’y bat pour la défense des valeurs fondamentales. Les Ukrainiens qui s’y rassemblent et y viennent désormais en pèlerinage n’ont pas d’exigences financières. Ils ne réclament pas de meilleurs salaires. Ce qu’ils demandent, c’est plus de justice et plus de liberté, et c’est l’identité de la nation ukrainienne, une identité chrétienne, que l’on voit se renforcer sous nos yeux. Le journaliste conservateur catholique polonais Jan Pospieszalski raconte que sur la scène du Maïdan, une jeune fille a cité ces mots prononcés par des journalistes français présents sur place : « L’Ukraine pense qu’elle a besoin de l’Union européenne, mais c’est faux ! C’est nous, cette Union vieillissante, lessivée de ses valeurs et de ses idées, qui avons besoin de l’Ukraine ! De cette Ukraine qui s’est révélée au Maïdan ».
Commentaires
Mais sacré nom d'une pipe, historiquement parlant, Kiev est tout de même le berceau de la Russie, fondée par les Varègues venus de Suède!... Puis plus tard ces mêmes Russes ont fondé la Moskovie! Et jusqu'en 1917, l'Ukraine faisait partie de l'Empire tsariste. Ce sont ces diables de bolchéviques avec leur maudite révolution qui ont crée ce clivage artificiel entre Ukraine et Russie, puis Khrouchtchev qui a fait cadeau de la Crimée à l'Ukraine, on ne sait trop pourquoi...
Imaginons un instant que lors de la Révolution de 1789, la France ait été reséparée en deux pays, l'un parlant la langue d'Oc au Nord et l'autre parlant la langue d'Oil au Sud... Cela semblerait aussi absurde que ce clivage entre Russie et Ukraine...
A René : permettez-moi de co-signer votre excellent commentaire qui résume parfaitement les véritables liens entre la Russie et l’Ukraine.
PS : 1) D’après Jean Mabire, le mot ‘russ’ qui était le nom des vikings installés à Kiev, et qui a donné son nom à la Russie, est un mot viking qui signifie ‘roux’.
2) L’invention des états ukrainien et biolorusse par l’URSS lui a permis d’avoir 3 voix à l’ONU.
Les nationalistes ukrainiens ne sont pas tous très chrétiens, en tout cas dans leur comportement.
Car aller faire les poches des cadavres dans l'immeuble qu'ils ont incendié avec des cocktails Molotov, pour y récupérer le moindre objet, et de plus filmer cela avec son «smartphone» pour mettre la vidéo sur internet, ils ne l'ont pas appris dans les évangiles !
En outre, les pro-russes sont orthodoxes donc chrétiens, à part quelques uns qui brandissent des portraits de Staline (chose que pourtant on ne voit que très rarement en Russie).
Les valeurs fondamentales sont bien plus défendues par la Russie que par les États Unis d'Amérique.
@ BOGOMIR: c'est peut-être pour connaître leur véritable identité que certains ont fait les poches des morts. La police le fait aussi. Je ne crois pas que les Ukrainiens soient des détrousseurs de cadavres, laissez cela à d'autres... - On sait que qui vut noyer son chien l'accuse de la rage.
L'Orthodoxie est en Russie une religion étatique, elle l'était même sous Staline qui qualifiait la religion d'opium du peuple. Lénine, Staline et des millions de Russes étaient alors athées.
Des églises étaient détruites, incendiées. Il y a eu des prêtres catholiques torturés et assassinés, en Russie et en Pologne.
Du passé faisons table rase, oui mais jusqu'à une certaine limite...
L'un des ouvrages qui éclairent le mieux la " Russie communiste " a été écrit par un émigré qui eut son heure de gloire dans le milieu fort restreint des penseurs .
Nicolas Berdiaev : La source et le sens du communisme russe .
Berdiaev a écrit bien d'autres ouvrages . Tous sont intéressants , même si parfois j'ai du du mal à le suivre .
Bonjour Gaëlle,
Voilà, par exemple, le genre de propos du Métropolite Hilarion de Volokolamsk, que le régime de Kiev a interdit de pénétrer sur son territoire, alors qu'un très grand nombre d'Ukrainiens orthodoxes dépendent du Patriarcat de Moscou :
« Le politiquement correct détruit l'Occident »
http://fr.ria.ru/world/20120410/194249673.html
Rendons justice à Poutine d'avoir restauré la religion orthodoxe en Russie, véritable religion ethnique bien peu "judéo", et pétrie de paganisme! Un exemple pour les catholiques ? A chacun de juger en ne ratant pas l'extraordinaire reportage sur le monastère de Valaam aux confins de la Finlande (à la fin de ce lien) :
http://www.altermedia.info/france-belgique/uncategorized/vladimir-poutine-pris-conseil-aupres-moines-orthodoxes-valaam_107243.html
Dirk, la religion orthodoxe n'est pas pétrie de paganisme! Il y a une église orthodoxe pas loin de chez moi et je suis allée suivre des offices. Rien de païen, bien au contraire.
@Gaëlle,
Dans le paganisme, ce sont les rites plus que la croyance qui comptent, c'est en cela que je trouve la religion orthodoxe d'esprit encore "païen" par la richesse de ses rites. Mais bien sûr, ils ont la croyance en plus. Là comme ici, l'Eglise n'a pas pu éradiquer la mentalité traditionnelle et n'a pu que se greffer sur elle. C'est pour cela également que je parlais de religion ethnique, même si le mot est un peu fort.
L'opposé absolu : le protestantisme et ses différentes expressions nostalgiques du judaïsme des origines.
Dirk, l'Eglise catholique avait des rites magnifiques avant Vatican II... C'est cet aspect "théâtral" que ce Concile a voulu supprimé...