Le présent de l’Ukraine commence à ressembler à la fin de l’Union soviétique. Les périphéries s’éloignent, le pays se déchire, le centre se crispe. L’Ukraine a certainement laissé passer le moment où jouer la carte du fédéralisme aurait suffi à garantir ses frontières actuelles.
Près de 90 % des votants au référendum de la région de Donetsk, et 96 % pour la région de Lougansk ont opté pour l’indépendance. Sept millions d’« Ukrainiens » étaient concernés. Mais il faut prendre en compte un autre critère : la participation. Or, les anti-sécessionnistes, c’est-à-dire les partisans de l’unité de l’Ukraine, récusaient ce référendum et appelaient à l’abstention. Selon les « rebelles », comme dit le gouvernement de Kiev, en d’autres termes selon les pro-Russes, la participation a été de 75 %, non sans fraudes massives, comme toujours, aussi bien en Ukraine qu’en Russie, et ce, depuis des décennies. Dans le Donbass, ce qu’on a vu, ce n’est pas la quasi-unanimité de la population, comme en Crimée, basculant du côté russe. Mais la tendance est incontestable : la majorité de la population de ces régions est pro-Russe. Son cœur, mais aussi ses intérêts économiques, notamment ceux des ouvriers, la poussent vers la Russie.
Le référendum a été « une farce criminelle », selon Kiev, une libération face aux « néo-nazis » ukrainiens ou, au minimum « les fascistes de [la junte de] Kiev », comme disent les pro-Russes. La confrontation des points de vue de chacun ne brille pas par sa hauteur de vue.
Indépendantistes à Slaviansk, sur la ligne de front avec le gouvernement de Kiev, rattachistes pro-Russes à Donetsk, l’histoire de l’Ukraine semble bégayer. Autonomie, indépendance ou rattachement à la Russie ? Mais les rapports de force trancheront vite. Hollande condamne le « vrai faux référendum ». Mais il maintient la vente des deux navires de guerre Mistral (1,2 milliard d’euros) à la Russie. Une condamnation sans sanctions économiques : où est le sérieux ?
Dans L’Express du 23 mars dernier (« Sont-ils tous devenus fous ? »), Jacques Attali avait dit l’essentiel : « Il est fou, pour l’Occident, de faire du problème de la Crimée l’occasion d’une confrontation avec la Russie. » Il précisait : « L’intérêt de l’Europe n’est pas de se lancer dans un affrontement avec la Russie. Mais au contraire de tout faire pour intégrer notre grand voisin de l’Est à l’espace de droit européen. » Crimée et région du Don, même ligne de conduite à avoir. Et d’expliquer que la situation actuelle n’est pas celle de 1938 et de Munich, et que, s’il y eut une erreur de commise il y a 80 ans, c’est d’avoir isolé l’Allemagne de Weimar après 1918.
Récemment, sur i>Télé, Jacques Attali rappelait encore que l’Ukraine ne fut autre, au IXe siècle, que la « Russie de Kiev », et que l’on ne peut de ce fait s’attendre à ce que la Russie la considère comme tout à fait étrangère à elle-même. Tel est le paradoxe ukrainien : l’Ukraine s’est bâtie depuis plusieurs siècles sur une prise de distance avec la Russie. Elle a une langue, une poésie, une littérature qui font d’elle une nation, mais cette nation est à la fois fille et mère de la Russie. Il n’est pas sûr qu’elle ne gagnerait pas, au fond, à être territorialement plus réduite, mais peuplée… d’habitants qui se sentent ukrainiens. Allez faire comprendre cela à des gens qui se traitent de noms d’oiseaux…
Pierre Le Vigan
BOULEVARD VOLTAIRE
Commentaires
Je partage la conclusion de cet article de Le Vigan, ainsi que plus généralement ce qu'il dit du "paradoxe ukrainien".
C'est l'OTAN qui a mis le feu aux poudres dans cette région en provoquant cyniquement la Russie à sa porte.
Ce qui compte, c'est de ne pas verser de sang européen, qu'il soit ukrainien, russe ou russophone du Donbass ! Dommage que Kiev ait rejeté toute solution fédéraliste !
Un complément d'informations utile pour comprendre ce qu'il se passe, sur un site sérieux que je viens de découvrir :
http://csotan.org/ao/article.php?ao_id=52&art_id=669&Mois=avril&Year=2014