À l’occasion des bouleversements que vient de subir Copenhague, et des recherches s’ensuivant, on a retrouvé quelques paragraphes d’un conte inédit de Christian Andersen, dont nous livrons à nos lecteurs la primeur.
À l’occasion des bouleversements que vient de subir Copenhague, et des recherches s’ensuivant, on a retrouvé quelques paragraphes d’un conte inédit de Christian Andersen, dont nous livrons à nos lecteurs la primeur. Il faut espérer que son dénouement remontera bientôt à la surface.
Au bout d’un continent, sur une péninsule aux contours chantournés, s’étendait un vaste empire, Ørop, que l’histoire avait cruellement éprouvé. Elle avait fomenté sur son territoire, deux ou trois générations plus tôt, des crimes tellement épouvantables, infligé de telles souffrances et de si terribles destructions à ses peuples, qu’il avait décidé de la quitter, de sortir d’elle, de faire comme si elle n’avait plus cours.
Le consensus était que rien n’arrivait : rien qui relevât en tout cas de la grande politique, des annales des peuples, du destin des empires. Comme sujet de conversation et de débat l’économie était tolérée, et même encouragée, en guise de récit de substitution. Pour le reste, c’était à qui se tairait le mieux, fût-ce en prononçant de grands discours. Voulût-on faire carrière en politique, ou dans la presse, il fallait adopter pour devise : Je dirais même moins. Et quelque charge qu’on briguât dans Ørop, il fallait offrir la garantie qu’on ne verrait rien, qu’on n’entendrait rien et surtout qu’on ne dirait rien. Si quelque chose se faisait entendre néanmoins, les ambitieux et les prudents étaient jugés sur leur capacité à traduire ce bruit en néant, en colonnes de chiffres, en alibis tarabiscotés. Les malheureux qui ne maîtrisaient pas cet art, et qui disaient comme ils pouvaient que l’empire sombrait, que son territoire était envahi, que son peuple était remplacé par d’autres, ceux-là étaient traînés dans la boue et devant les tribunaux, persécutés, exclus de la communauté impériale.
L’ennui pour ce vaste empire, qui avait été riche et puissant, c’est que le reste du monde, lui, n’ayant pas les mêmes raisons de sortir de l’histoire, n’avait pas la moindre intention de le faire ; et trouvait bien ridicule qu’il le fît, s’étant délibérément ôté tout moyen juridique et militaire de protéger ses frontières, puisqu’il avait décidé que rien n’arrivait, ni ne pouvait arriver.
Or, l’histoire vomit la dérobade, le défaut : surtout lorsqu’elle pressent qu’ils sont organisés contre elle. Cet empire, donc, était bel et bien envahi. Les autres nations et les autres peuples auraient jugé trop bête de ne le conquérir point, puisqu’il les y invitait par son absence à lui-même.
L’invasion revêtait deux formes — ou plutôt trois.
La première était tout à fait placide : les envahisseurs se contentant d’être là, de plus en plus nombreux, comme des corbeaux attendent en rangs serrés la fin d’une bataille.
La deuxième était plus classique : pour imposer sa loi elle procédait par le meurtre, la terreur et l’assassinat.
Quant à la troisième, c’était une combinaison des deux autres : sorte de sas intermédiaire, une délinquance aux mille visages, civile, mais qui servait d’école d’apprentissage à la conquête par le fer et le feu.
Pourtant l’empire s’obstinait : il n’arrivait rien, il n’arrivait rien, il n’arrivait rien. Si néanmoins le sang coulait avec trop d’abondance pour n’être tout à fait pas vu, les citoyens descendaient en masse dans la rue pour réclamer plus de la même chose, ce changement de peuple qu’ils nommaient comiquement vivre ensemble. Pas d’amalgame !, criaient-ils, c’est-à-dire : Pas de vérité ! Et aussi : À bas les effets ! Vivent les causes !
Or, un jour que le vivre ensemble avait tué plus de monde encore que d’habitude, profané plus d’églises et de synagogues, souillé plus de tombes et rendu la vie impossible a plus d’anciens citoyens de l’empire, il arriva qu’un enfant de cinq ans, que sa faiblesse constitutive avait empêché de suivre à l’école l’enseignement de l’oubli et la pédagogie de l’hébétude, pourtant de règle dans l’empire, s’écria…
Ici s’arrête brutalement le manuscrit retrouvé.