FIGAROVOX/TRIBUNE - Philippe Bilger estime que l'émotion compréhensible qu'a suscité l'affaire Jacqueline Sauvage ne doit pas aller à l'encontre des décisions rendues par la justice.
Chaque semaine, Philippe Bilger prend la parole, en toute liberté, dans FigaroVox. Il est magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole. Il tient le blog Justice au singulier et est l'auteur de Ordre et désordres paru aux Éditions Le Passeur en avril 2015.
L'impérialisme de l'émotion ignorante est dévastateur.
Jacqueline Sauvage, accusée du meurtre, au mois de septembre 2012, de son époux, a été condamnée en première instance et en appel, le 3 décembre 2014, par deux cours d'assises à la même peine de dix ans d'emprisonnement.
D'abord trois magistrats plus six citoyens.
Puis trois magistrats plus neuf citoyens.
Depuis ce dernier arrêt, manifestations, pétition en ligne, demande de grâce présidentielle, cette effervescence multiple qui ne manque pas de suivre les procès renvoyant à tort ou à raison à des faits de société. En l'occurrence, les violences faites aux femmes.
Le féminisme - jusqu'aux Femen seins nus, c'est capital! - a trouvé matière, sur cette tragédie, à apposer une grille de dénonciations générales abstraites sans rien connaître des détails et des mystères de cette histoire familiale. Parce qu'une femme a été, durant quarante-sept ans, victime de coups, d'humiliations et d'abus sexuels et qu'elle y a mis fin en tuant son mari odieux, elle serait forcément et légitimement une héroïne de la cause féministe? Parce qu'une mère a vu deux de ses filles sur trois être battues et violées sans réagir pendant longtemps à cause de la terrible emprise de l'époux, elle deviendrait sinon exemplaire du moins judiciairement bénéficiaire de la plus extrême indulgence?
Entendons-nous bien. La réalité de cette vie d'enfer a été prouvée et elle inspire pitié et compassion. De même que l'existence des agressions graves sur les deux sœurs.
Il n'en demeure pas moins que l'interrogation de la présidente en appel: «pourquoi ne pas avoir déposé plainte?» est elle-même compréhensible et qu'il n'est pas nécessaire d'avoir été présent lors des délibérés, quand on a un peu d'expérience, pour appréhender l'ensemble des problématiques qui ont dû être débattues. Par exemple, en effet, pourquoi une si longue passivité même terrorisée alors que les filles étaient passées sous le terrible joug paternel? Pourquoi cette mort causée par des tirs dans le dos? Pourquoi, face à l'horreur du quotidien, pas la moindre fuite ni résistance sinon par le meurtre si tardivement? Rien et, enfin, un tout irréversible!
Je conçois qu'à ces questions qui ne sont pas déshonorantes, on trouve des réponses favorables à l'accusée parce que la psychologie et les profondeurs de l'être entraînent l'humanité parfois sur des chemins imprévisibles, déroutants et pourtant admissibles. Il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas honteux de s'étonner.
Les deux avocates de Jacqueline Sauvage ont plaidé l'acquittement au nom d'une définition extensive de la légitime défense. Pourquoi pas? Mais, à deux reprises, elles n'ont pas convaincu.
Les filles de Jacqueline Sauvage ont immédiatement hurlé à l'injustice et considéré que leur mère aurait dû être acquittée parce que, selon elles, leur père était «un monstre, une bombe…». Leur réaction est évidemment conforme à ce qu'on pouvait attendre d'une telle histoire familiale mais doit-elle forcément, au-delà de la douleur qui l'inspire, servir de guide à tous?
A quel titre un comité de soutien comprenant notamment l'actrice Eva Darlan, Anne Hidalgo, Jean-Christophe Lagarde, Daniel Cohn-Bendit, Jean-Luc Mélenchon, NKM et Valérie Boyer - ces deux dernières lui rendant même visite en prison! - et une cinquantaine de parlementaires, a-t-il cru bon de se constituer et de venir «soutenir» Jacqueline Sauvage comme si la France n'était pas un état de droit et les jurys de cour d'assises composés par des gens honorables? Parce que ce comité, qui n'a pas assisté au procès et n'a pas eu accès au dossier, serait naturellement plus apte que ces citoyens qui ont jugé et condamné à deux reprises? Parce qu'on aurait besoin de lui pour qu'à l'évidence une exécution de la peine, allant jusqu'au plus extrême de l'indulgence pénitentiaire, soit concédée à Jacqueline Sauvage, alors que cela ira de soi!
Le comble, une accusée acquittée pour le meurtre de son mari, avec une histoire et un comportement différents de ceux de Jacqueline Sauvage, réclame également sa grâce. A quand, on ne sait jamais, des attestations de moralité délivrées par des condamnés pour des coupables!
Il est dramatique, en tout cas pour la démocratie et le respect des pouvoirs qui lui donnent sens et crédit, que des personnalités politiques de tous bords s'immiscent dans ce qu'elles ne connaissent pas et viennent, avec démagogie et dans la confusion, porter atteinte à une institution judiciaire fondamentale de notre pays puisqu'elle permet au peuple, assisté par des professionnels, de juger les crimes. Quelle légèreté derrière ces interventions suscitées par l'émotion ignorante et la compassion téléguidée! Ceux qui savent ont jugé. Ceux qui jugent les juges ne savent rien.
Ou bien faut-il aller jusqu'à considérer, derrière cette fronde à forte tonalité parisienne, une condescendance, un mépris pour ces cours d'assises de province qui seraient incapables de maîtriser le féminisme et d'appréhender la vérité parce qu'elle serait trop complexe et trop politique pour elles?
Alors que c'est exactement le contraire. Ce que ces juridictions ont mesuré est le poids d'un singulier tragique sur lequel les abstractions féministes et plurielles ne pouvaient pas avoir prise parce que les jurés étaient présents et que le comité était absent!
Perversion française. Une justice criminelle assurée à deux reprises. Un mouvement de contestation, un comité de soutien créés de toutes pièces battant en brèche deux arrêts incontestables. Pire encore, l'excellente députée LR Valérie Boyer profite de cette opportunité judiciaire pour proposer une réforme de la légitime défense. La boucle française est là dans sa pureté désastreuse. L'autorité de la justice défaite par ceux qui devraient la faire respecter et le prurit législatif favorisé.
Pour couronner ou dégrader, le président de la République recevra la famille de Jacqueline Sauvage le 29 janvier. Si Nicolas Sarkozy s'était permis cette démagogique démarche, que n'aurait-on pas entendu!
Alors que, avant l'octroi d'une éventuelle grâce présidentielle, il serait apparemment possible, par une procédure devant le TAP d'Orléans, d'obtenir que puisse être envisagée une libération conditionnelle pour l'été 2016.
Celle-ci n'aurait rien de choquant.
Mais, de grâce, que les politiques se mêlent de ce qui les regarde et ne se croient pas trop souvent obligés de se camper tels des Zola de l'infiniment pauvre face à des scandales fantasmés et à des injustices décrétées!
Commentaires
En termes de droit, l'analyse de Bilger est imparable. Laissons cette criminelle qui a tué son mari (il évite le mot "monstre") qui l'a battue pendant 47 ans, menacée de mort régulièrement et violé ses 3 filles croupir en prison !
Je plaisante ! Je me pose des questions sur la neutralité du jury qui a condamné cette femme désespérée, un jury sans doute travaillé par de froids juristes comme Bilger.
…mais si la Constitution prévoit une possibilité de grâce présidentielle, cela aussi fait partie du Droit.
Chacun devrait se sentir concerné par ce cas très particulier de "légitime défense". Il est regrettable que cette cause ait été récupérée par ces comités de bobos et de gauchistes féministes. Cela n'en fait pas pour autant une mauvaise cause.
D'ailleurs une écrasante partie de la population soutient la détresse de cette femme et beaucoup la considèrent même comme une héroïne.
Homicide point ne seras ni de fait ni volontairement,le peuple français souverain a tranché et c'est bien ainsi,on ne doit pas tuer son mari ou alors où allons-nous!
Il y a un siècle,elle aurait été guillotinée.
Cette Sauvage est une perverse.
Quant aux personnalités de son comité de soutien, elles ont, pour la plupart, comme d ' habitude, le même profil.
NKM, Cohn - Bendit et consorts sont donc pour la peine de mort, qui plus est dans le cadre de la justice privée, pour des violences conjugales et viols qui de plus ne sont pas prouvés de façon incontestable.
Mme Sauvage, pratiquante de la chasse et tireuse expérimentée, aurait donc laissé pendant des années ses petites filles se faire violer par leur père.
C'est donc une CRIMINELLE, une mère indigne, car nous ne sommes ni en Arabie Saoudite, ni en Iran. Elle pouvait alerter les autorités sans risque de se retrouver sur le banc d ' accusation et lapidee.
Et c ' est des dizaines d ' années après qu ' elle abat, de sang froid, son mari, de trois balles dans le dos.
Ah quelle aubaine pour Cohn Bendit et NKM de profiter de cette affaire pour tenter de briser la paix des ménages français, après avoir imposé cette aberration du " mariage " entre personnes de même sexe et la privation pour les petits de grandir au sein d ' une famille normale.
Car si cette cinglée est graciee, combien d' époux vont arguer de la jurisprudence Sauvage pour justifier l ' assassinat de leurs conjoints embarrassants.
Mais bien plus grave, combien d ' époux heureux vont être amenés à se méfier les uns des autres.
Cette affaire n ' est pas anodine. Elle s ' inscrit dans la mise en oeuvre de la stratégie du chaos.
Quand j'ai lu les noms de ceux et celles qui soutenaient cette criminelle, j'ai compris qu'on voulait nous faire passer des vessies pour des lanternes... Une enième manipulation de l'opinion publique: honteux!