Forte baisse des naissances de deux parents nés en France, augmentation de celles de parents nés à l’étranger : tels sont les enseignements des données détaillées de l’Insee sur les naissances en France. Une tendance qui témoigne du caractère pluriethnique de la France de demain.
Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.
Atlantico : Depuis 2011, alors que les naissances d’enfants issus de deux parents nés en France diminuent (de 580 756 en 2011 à 535 302 en 2015, soit une baisse de 7,8%), celles d’enfants dont l’un ou les deux parents sont nés à l’étranger sont en hausse de 6,07%. Quels enseignements peut-on tirer de ces tendances quant au visage de la France de demain ?
Laurent Chalard : Ces évolutions récentes de la natalité, consécutives de la poursuite d’une immigration à un niveau élevé ces dernières années alors que la population née en France vieillit sensiblement, confirment que le renforcement du caractère multiculturel de la France est inscrit dans sa démographie. En effet, qu’on s’en réjouisse ou non, la France des années 2030 sera une France à la population bigarrée, ressemblant de plus en plus aux Etats-Unis, à la différence que les principales communautés ethniques ne seront pas tout à fait les mêmes.
D’une certaine manière, les Maghrébins en France joueront le rôle des Mexicains aux Etats-Unis, constituant une minorité ethnique importante sur laquelle il faudra compter, alors que les personnes originaires d’Afrique subsaharienne pourraient conduire à l’émergence d’un communautarisme « noir » comme en Amérique.
Xavier Saincol : Cette tendance est en effet très spectaculaire. Elle souligne le mouvement de fond d’une société dans laquelle les flux migratoires exercent une influence croissante sur la démographie. Elle montre l’attractivité du modèle français pour les populations étrangères. Il est clair que le visage de la France de demain sera de plus en plus diversifié. Comment conserver à la société française sa cohésion ? C’est la grande question du jour que les élites médiatiques et intellectuelles refusent de se poser en niant cette réalité. Il faudra réinventer un modèle qui combine la tolérance vis-à-vis des cultures venues de l’extérieur et la puissance du creuset français par l’école notamment. L’idée d’assimilation totale n’a pas beaucoup de sens. Sauf à entrer dans une logique totalitaire, comment forcer une famille à renoncer à son histoire et à tous les aspects de sa culture ? Donc il faut accepter une dose de différence et de diversité dans la société de l’avenir. Mais en même temps, il est essentiel de renforcer l’autorité des grands principes sur lesquels on ne doit pas transiger : la laïcité, l’égalité homme/femme, la scolarité obligatoire. C’est au prix de ce double impératif, de tolérance et d’exigence que la cohésion de la société française pourra être préservée à long terme.
Par ailleurs, alors qu’entre 2011 et 2015 les naissances d’enfants de père étranger et de mère française sont restées relativement stables (avec une légère hausse de 1,3%) celles d’enfants de père français et de mère étrangère ont connu une forte augmentation de 9%. Comment expliquer ce phénomène ?
Laurent Chalard : Ce phénomène correspond tout simplement à un phénomène de rééquilibrage, puisque, jusqu’ici, il y avait (et il y a toujours en 2015) plus d’enfants issus d’un père étranger et d’une mère française que d’un père français et d’une mère étrangère. Ce rééquilibrage s’explique par la féminisation de l’immigration. En effet, nous sommes passés en France d’une immigration à forte dominante masculine pendant les Trente Glorieuses, en particulier chez les personnes originaires du Maghreb, à une immigration beaucoup plus équilibrée entre les sexes depuis les années 1990, avec désormais autant, voire plus, de femmes que d’hommes.
Néanmoins, si l’on fait remonter la comparaison temporelle plus loin, on remarque que le pourcentage d’enfants nés de deux parents nés en France était de 69% en 1985, soit un niveau comparable à celui de l’année 2015 (70,40%). Quelles sont les différences entre les deux périodes ?
Laurent Chalard : En fait, la stabilisation des naissances d’enfants nés de deux parents nés en France entre 1985 et 2015 apparaît en trompe-l’œil car l’évolution a été très irrégulière entre les deux dates. Entre 1985 et 1993, les naissances d’enfants nés de deux parents nés en France ont connu une légère baisse, liée à la réduction de la fécondité, puis, entre 1993 et 2000, elles ont connu une hausse de leur nombre, du fait d’une augmentation de la fécondité. Ensuite, elles se sont stabilisées à un niveau légèrement moindre jusqu’en 2011. Depuis cette dernière date, se constate une brusque forte baisse, liée à une diminution de la fécondité, mais aussi à une structure par âge plus défavorable du fait du vieillissement de la population autochtone. Nous sommes donc sur une tendance baissière (les chiffres du premier semestre 2016 s’inscrivent dans la même tendance).
Cependant, la principale différence entre les deux périodes concerne l’origine de la population. En 1985, la quasi-totalité des enfants nés de deux parents nés en France étaient d’origine européenne, alors qu’en 2015, c’est moins vrai, puisqu’une partie des enfants d’origine extra-européenne ont désormais deux de leurs parents nés en France. Le chiffre de 2015 ne peut donc être totalement comparé avec celui de 1985 si l’on prend en considération le critère de l’origine ethnique de la population et non seulement celui du lieu de naissance. Le nombre d’enfants nés de deux parents nés en France d’origine européenne est probablement un peu moindre en 2015 qu’en 1985.
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Merci à Victoire