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Grammaire: "Le prédicat est une erreur fondamentale"

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Par Marie-Estelle Pech
Mis à jour le 18/01/2017 à 19h52 | Publié le 18/01/2017 à 18h52

INTERVIEW - Pour le linguiste français Alain Bentolila, derrière cette notion grammaticale « se cache une idéologie épouvantable ».

Alain Bentolila est un linguiste français, professeur à l'université Paris Descartes. Il a participé à l'écriture des programmes scolaires en 2008.

LE FIGARO. - Que pensez-vous de cette querelle autour de la notion de «prédicat»?

Alain BENTOLILA. - L'introduction du prédicat dans les petites classes n'a aucun sens. Le prédicat est une notion de théorie classique aristotélicienne. J'enseigne cette notion à mes étudiants de master 2. L'homme est le seul animal vivant à «dire des choses à propos de». Voilà ce qu'est le prédicat. Votre pensée prend le pouvoir sur votre perception comme lorsque vous dites «le chou a mangé la chèvre» ou «la terre est bleue comme une orange». Avec le prédicat, vous entrez dans la poésie, l'image. C'est une notion philosophique formidable pour mes étudiants mais, pour des enfants, ça n'a aucun intérêt. C'est une erreur fondamentale. La grammaire met en scène ce que vous voulez dire pour l'autre. On doit commencer par décrypter la mise en scène. Le prédicat est une «notion plus globale», nous affirme Michel Lussault, le président du Conseil supérieur des programmes. Il est géographe et ne comprend visiblement pas pourquoi c'est une aberration de repousser l'apprentissage du complément d'objet direct et du complément circonstanciel, lesquels permettent à l'enfant de comprendre ce qu'il lit. Pourtant dans la phrase: «Je construis une maison avec des briques et du ciment», ce qui importe à l'enfant c'est de savoir que la maison est un objet sur lequel on agit, que les briques et le ciment sont des compléments de moyen ou d'accompagnement. Vous allez situer votre action dans le temps et lui donner du sens. C'est très concret, la grammaire.

«J‘avais dit à Michel Lussault, le président du Conseil supérieur des programmes, de ne pas céder à cette mode imbécile qui donne la priorité à la nomenclature sur le sens»

Alain Bentolila

En 2008, vous vous étiez élevé, dans un rapport rendu au ministre de l'Éducation Xavier Darcos, contre un abus de jargon en grammaire.

Derrière un terme comme le prédicat se cache une idéologie épouvantable dont les enfants défavorisés sont les premières victimes. Pourtant j'avais prévenu Michel Lussault. Najat Vallaud-Belkacem m'avait demandé de le rencontrer. Je lui avais dit de ne pas céder à cette mode imbécile qui donne la priorité à la nomenclature sur le sens. Tout cela vient de la grammaire générative américaine du linguiste Noam Chomsky, très influent à partir des années 1970. Ce dernier pensait que le cerveau était programmé pour le langage et que l'enfant retrouverait tout seul la logique des phrases (sujet, prédicat) qu'il a naturellement dans sa tête. Ce n'est pas faux. Une part de l'apprentissage se fait par imprégnation. Mais au nom de cet universalisme, on a balayé une partie de la grammaire traditionnelle. L'université française a voulu rompre avec le structuralisme pour avoir une grammaire qui avait un aspect très rigoureux. Mais on était à mille lieues de ce qu'est l'apprentissage d'une langue.

«Le drame, c'est qu'à force de changements, on a déboussolé les enseignants qui ont fini par ne plus faire de grammaire»

Alain Bentolila

Vous fustigez particulièrement la «grammaire de texte» introduite dans les programmes des années 1990…

Les élèves se sont mis à étudier la grammaire au fil des textes, sans logique, par imprégnation, sans progression. Si vous avez un texte avec une proposition relative avant d'étudier les phrases simples, tant pis! Cette linguistique sous influence américaine a fait dévier la grammaire de ses rails. Cette grammaire de texte a quasi disparu avec les programmes de 2008. Les programmes de 2015 sont un peu retombés dans l'ornière. Ils n'assoient pas assez la compréhension des élèves. On a tendance à mettre l'élève au centre des apprentissages alors que la vérité est entre les deux. Il faut qu'il découvre par lui-même, certes, mais il faut aussi le guider.

Quelles sont les solutions?

Le drame, c'est qu'à force de changements, on a déboussolé les enseignants qui ont fini par ne plus faire de grammaire. La formation des maîtres est une catastrophe absolue. Je commencerai par retirer ces formations des universités lesquelles ne connaissent que très peu de choses en matière des besoins d'apprentissage des enfants.

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 19/01/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici

Commentaires

  • C’est bien évident : depuis plus de 40 ans, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de vouloir éradiquer les racines profondes de la France et des Français pour laisser s’installer des coutumes complètement étrangères et en opposition aux nôtres : c’est un des volets du GR. Pour cela il attaque tous les aspects de notre culture et la langue en est le pilier principal. Il lui faut donc détruire notre langue et depuis la réforme Haby il s’y emploie de toutes ses forces malgré la résistance des Français. Cette réforme est une nouvelle étape de cette agression contre notre langue.

  • Merci d avoir mis cet article en ligne, son point de vue m intéressait, je ne sais pas si il a raison parce que moi c est avec lui en master que j ai compris des éléments de grammaire que je n avais jamais compris avant .

  • — Alain Bentolila: «Derrière un terme comme le prédicat se cache une idéologie épouvantable dont les enfants défavorisés sont les premières victimes.»

    Quelle idéologie ? Celle du pionniérisme socialiste, de la néolâtrie, du tout détruire pour construire du neuf, le neuf étant forcément de qualité bien supérieure à l'ancien, toujours ringard, honteux, fasciste, raciste, populiste, sexiste (et j'en oublie) ?
    Oui, je crois que, cette fâcheuse idéologie derrière, c'est ce que j'appelle le pionniérisme socialiste.

    — Un grand merci, Gaelle, pour cet article quoi que tout n'y soit pas très clair :
    « Avec le prédicat, vous entrez dans la poésie, l'image » (?).
    « La grammaire met en scène ce que vous voulez dire pour l'autre » (?).
    « On doit commencer par décrypter la mise en scène » (?).

    Cordialement.

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