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banderoles dans les stades

  • Ces banderoles qui défoulent...

    La banderole injurieuse déployée lors de la finale de la Coupe de la Ligue entre le Paris-Saint-Germain et le Racing Club de Lens a suscité une vague d'indignation jusqu'au sommet de l'Etat.

    Nicolas Sarközy a reçu à l'Elysée le maire de Lens, le président et l'entraîneur du club pour leur dire combien l'offense - "Pédophiles, chômeurs, consanguins : bienvenue chez les Ch'tis" - étalée samedi 29 mars dans les tribunes du Stade de France était "un comportement inadmissible" qui devait avoir "les suites qu'il mérite". Le premier ministre, François Fillon, a exprimé son "dégoût" et sa "colère" avant d'exiger que "ces comportements soient très durement sanctionnés". La ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, qui a mis la police scientifique sur les traces ADN des fautifs, a promis de dissoudre les groupes de supporteurs responsables. Le secrétaire d'Etat aux sports, Bernard Laporte, a estimé qu'il "fallait éradiquer ces gens-là des stades". Quant au maire de Paris, Bertrand Delanoë, il a exhorté à "s'acharner à éliminer ensemble toute trace de rejet des autres, surtout quand il se manifeste de façon aussi brutale, barbare et bête".

     

    Il faut saluer cette volonté enfin affichée de vider les stades des individus qui prônent le "rejet des autres" sur un mode raciste, antisémite ou homophobe.

    Mais au-delà de la stupidité récurrente de certains supporteurs de foot, que révèle cette affaire de banderole ? Tout d'abord, que le monde politique fait mine de découvrir ce qui se passe dans les stades depuis des années. Car la banderole arborée le 29 mars n'est pas la première du genre. Les supporteurs stéphanois qui s'étaient déplacés à Lyon, fin août 2007, pour le derby contre le champion de France, avaient eu droit à un "Stéphanois, ordures consanguines", sans que cela provoque la moindre réaction indignée. "Les gones inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans les mines", pouvait-on déjà lire dans les travées de Gerland, il y a huit ans, à l'occasion d'un autre match entre Lyon et Saint-Etienne. Quant aux supporteurs lensois, ils ont souvent été accueillis par leurs homologues lillois par des "Bienvenue aux analphabètes", des "Silicose, légionellose, à quand la peste ?" ou encore des "Lens, le tiers-monde à 30 km de l'Europe".

     

    La différence, c'est qu'aujourd'hui les dirigeants de clubs font donner leurs agents de sécurité pour retirer rapidement ces banderoles des tribunes avant qu'elles ne soient saisies par les caméras de télévision comme ce fut le cas, le 29 mars, au Stade de France. Car, pour reprendre l'expression du président de Lens, Gervais Martel, il s'agit surtout de ne pas laisser "gâcher le spectacle".

    De quoi rêvent, en effet, tous les patrons de grands clubs ? De Manchester et de son "Théâtre des rêves": son stade ultramoderne où 75 000 fidèles, sagement assis, applaudissent et chantent en coeur. D'Arsenal et de son flambant neuf Emirates Stadium, qui a accueilli Nicolas Sarkozy lors de sa visite d'Etat en Angleterre, et dispose de 150 loges et quelque 6 500 sièges "business". Grâce aux revenus dégagés par sa nouvelle enceinte, le club londonien est l'un des plus riches du monde, avec un chiffre d'affaires de près de 300 millions d'euros. Des résultats qui font rêver l'Olympique lyonnais, dont le futur stade de 60 000 places, attendu pour 2010, devrait coûter environ 300 millions d'euros. A l'image de ce qui se pratique outre-Manche, il sera accolé à un centre commercial, un centre de loisirs, deux restaurants, une piscine, un fitness, etc. Car il ne s'agit plus seulement de demander au supporteur d'encourager son équipe, il faut aussi qu'il consomme à la boutique du club.

    Au Royaume-Uni, pays souvent cité en exemple pour avoir réussi à se débarrasser de ses hooligans, l'envolée du prix des places a interdit de stade les publics les moins favorisés. Marqués par les drames du Heysel (Belgique) en 1985 et de Hillsborough en 1989, où des dizaines de supporteurs sont morts étouffés suite à des mouvements de foule, les clubs anglais ont été les premiers à proposer uniquement des places assises. Une mesure de sécurité qui est aussi utilisée pour canaliser l'énergie des supporteurs, que des "stadiers" ou "stewards" sont chargés de surveiller comme le lait sur le feu.

     

    Dans une société où l'interdit devient la règle et où toute forme de violence - y compris symbolique - est jugée inacceptable, le match de football a longtemps eu une fonction cathartique. "Le stade est un des rares espaces de débridement des émotions collectives où il est toléré de proclamer des valeurs dont l'expression est proscrite dans le quotidien (affirmer crûment son aversion pour l'autre, etc.)", écrivait l'ethnologue Christian Bromberger dans la revue Manière de voir, quelques semaines avant le début du Mondial 1998. Dix ans plus tard, le football-spectacle est en passe de perdre ce rôle d'exutoire.

    Dans un monde globalisé, le stade reste l'un des derniers terrains d'expression d'une identité collective locale ("Fiers d'être Marseillais !", proclament les supporteurs de l'OM) ou nationale. Pour Christian Bromberger, "chaque confrontation fournit aux spectateurs un support à la symbolisation d'une des facettes (locale, professionnelle, régionale) de leur identité. Le sentiment d'appartenance se construit ici, comme en d'autres circonstances, dans un rapport d'opposition plus ou moins virulent avec l'autre".

    Ces antagonismes qui peuvent déraper vers le nationalisme sont parfois exacerbés. Les tabloïds anglais ne manquent jamais une occasion de réactiver la fibre antigermanique avant une confrontation avec l'équipe d'Allemagne. Car dans l'art de la provocation et de l'insulte, les supporteurs n'ont pas le monopole de la bêtise. Tout le monde a encore en mémoire le coup de tête de Zidane répondant aux insultes de l'Italien Materazzi lors de la finale du Mondial en 2006.

    On se souvient aussi que le sélectionneur de l'équipe de France, Raymond Domenech, avait chauffé à blanc les supporteurs de la Squadra Azzurra avant un match décisif des éliminatoires de l'Euro 2008, à Milan, en septembre 2007. Le patron des Bleus avait rendu hommage à Materazzi, "l'homme de la Coupe du monde", expliquant que "sur un terrain, tous les moyens consistant à déstabiliser l'adversaire et à utiliser sa faiblesse sont positifs pour l'équipe", avant de lancer qu'il s'était "rarement fait autant arnaquer" que lors d'un match perdu contre l'Italie en 1999 avec l'équipe Espoirs. Résultat, lors des hymnes, La Marseillaise avait été sifflée par les supporteurs italiens. Dans les tribunes, Materazzi arborait crânement un "I love Paris" sur son tee-shirt. Aucun stadier n'est allé lui demander de le retirer.


    Courriel : mandard@lemonde.fr.

    Ce qu'il faut surtout éradiquer, c'est le "dérapage" vers le nationalisme, la "bête immonde"...