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grève des pêcheurs

  • La grande colère des pêcheurs français

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    Les Sables-d'Olonne (Vendée)
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    Le mouvement de colère des marins pêcheurs contre la flambée du gazole touche désormais un nombre croissant de ports français. Dans le même temps, le prix du gazole a encore atteint des records.

    Filet tendu à l'entrée de la passe de Port-de-Bouc pour bloquer le port pétrolier de Lavera (Bouches-du-Rhône), blocus autour du dépôt de carburant à La Rochelle, opération escargot à Marseille, grèves en cascade sur les trois façades maritimes françaises... Les marins pêcheurs font monter la pression avant leur rencontre mercredi avec le ministre de l'Agriculture, Michel Barnier. Dès hier soir, ce dernier, depuis Bruxelles, se disait prêt à envisager une mise en place « plus rapide » et des « compléments » au plan d'aide.

    La réunion de crise risque tout de même d'être houleuse, les professionnels de la mer rejetant le plan d'aide de 310 millions d'euros prévu sur trois ans par le ministre du Budget, Eric Woerth. Et les marins de scander sur les quais : « Sarközy, tiens tes promesses ».

    Le mécontentement gagne aussi les entreprises de transport. Face au nouveau record de la hausse du gazole, 1,41 € le litre enregistré hier à la pompe, les transporteurs - qui bénéficient pourtant d'un tarif aménagé - ont réclamé à leur tour un plan d'urgence.


    Le mouvement de grogne des pêcheurs est parti des Sables-d'Olonne, il y a onze jours. Depuis, sept chalutiers solidement ancrés au milieu du chenal barrent l'accès au port. Le port est mort, à l'image de ce qu'il pourrait devenir dans quelques années si les pires craintes des marins pêcheurs se réalisent.

    « On a les boules », lance un armateur à sa sortie de la sous-préfecture. La réunion de crise a dégagé des solutions, des moratoires sur les dettes fiscales et bancaires. On a également parlé de RMI pour certains. « C'est grave de parler comme ça, grave de parler de dépôt de bilan, explique l'armateur sablais, dégoûté. On ne demande pas la charité. Ce qu'on veut, c'est faire notre métier. »

    « Moi, avant, j'étais agriculteur... »

    Avec une consommation de 1 200, 1 500, 2 000 l de carburant à l'heure et un gazole à 70 centimes le litre, les chalutiers semblent aujourd'hui condamnés. « On demande un soutien à moyen terme, sur deux ou trois ans, sur le prix du gazole de manière à trouver des solutions pour construire des bateaux moins consommateurs d'énergie, qui ne soient peut-être plus des chalutiers, mais qu'on invente un autre métier, réclame Michel Daviau, directeur l'Acav, le plus gros armement du port. Il faut permettre aux armateurs et aux marins qui le souhaitent de continuer le métier. »

    Pouvoir continuer la pêche, c'est la préoccupation des marins. « Moi, avant, j'étais agriculteur, témoigne Michel. Je me suis reconverti pour devenir pêcheur parce qu'il n'y avait plus d'avenir pour moi dans l'agriculture. Je voulais gagner ma vie avec mon travail, pas avec les aides et les subventions. A 48 ans, je ne vais pas à nouveau changer de vie. » Le port devrait rester bloqué jusqu'à mercredi, jour de la réunion avec le ministre de la Pêche. Si rien n'en sort, « il y a de grandes chances que ça pète vraiment » ; parole de Sablais.

    Méditerranée : les chalutiers restent à quai
    Depuis hier matin, les camions-citernes ne sortent plus du dépôt de carburant de Frontignan (Hérault). Les pêcheurs sétois ont pris position, avec détermination. Ils disent ne pas vouloir lâcher le blocus avant mercredi et le rendez-vous chez le ministre.


    Tous les chalutiers de la façade méditerranéenne, de Port-Vendres à Menton, sont restés au port. « On ne gagne plus rien. Les marins eux-mêmes reçoivent péniblement 60 € par journée de travail de quinze heures. Départ à 3 heures du matin, retour vers 16 heures. Entre jeudi dernier et aujourd'hui, le carburant a encore augmenté de 7 centimes », fulmine Ange Morello, le patron du « Kelly Rocco », l'un des vingt-six chalutiers de Sète.

    « On attend toujours les aides promises par Nicolas Sarközy en novembre. Elles devaient être payées en janvier. Nous sommes bientôt en juin. Et nous autres pêcheurs de Méditerranée sommes encore plus touchés par l'augmentation du carburant avec l'obligation de rentrer au port chaque jour. Ça pèse encore plus sur l'équilibre comptable de nos entreprises », poursuit Bernard Di Maïo, le patron de l'« Odyssée », 38 ans, qui se dit en crise de rentabilité depuis 2004.

    « Bientôt, on ne trouvera plus de marin pour embarquer »

    « Le gazole représente un minimum de 7 300 € par semaine. Avec les frais fixes, il faut compter 10 000 € sans rémunérer les marins et amortir le bateau. La situation est devenue intenable. Bientôt, on ne trouvera plus de marin pour embarquer, faire des journées aussi longues et gagner une misère », ajoute Ange Morello.

    Avec le blocage d'un site de stockage de carburants, les pêcheurs veulent envoyer un signe fort et lancent un appel à tous les usagers lourdement pénalisés par la hausse des carburants.

    La Rochelle s'enflamme
    Le pneus brûlent autour des dépôts pétroliers de La Rochelle. Après avoir entamé leur mouvement par les blocages du port de pêche mercredi, les marins pêcheurs rochelais l'ont étendu au port de commerce et au vieux port jeudi, puis celui des Minimes ce week-end. S'ils ont libéré les ports de plaisance, ils bloquent maintenant le terminal pétrolier, avec le soutien de pêcheurs venus d'Arcachon et de Saint-Jean-de-Luz.

    « Nous n'avons rien à perdre. De toute façon, nous n'avons plus les moyens de payer le gazole et les équipages pour aller en mer », tonne Pascal Guenezan, 46 ans, patron du « Jegwenic ».

    « Il faut un prix plancher à la criée, réévalué chaque semaine »

    « Il y a encore un an, le carburant représentait 23 % du chiffre d'affaires. A 0,70 le litre, il représente 60 à 65 %. Moi j'en ai encore pour dix ans à payer mon bateau, avec entre 3 500 et 4 000 de crédit par mois. Vous ajoutez près de 2 000 mensuels d'assurance, et vous comprenez le problème ! A la dernière marée, on a vendu 7 000 de poisson sur la semaine, et on a consommé 6 300 de gazole. » Autour des pneus enflammés, tous tiennent le même discours. « Il m'est arrivé de revenir avec un salaire négatif de 30 après une semaine en mer », confie Vincent, jeune matelot de Saint-Jean-de-Luz. « Ce qu'il nous faut, c'est un gazole à 0,35 », poursuit Pascal Guenezan. La confirmation par Eric Woerth hier matin du plan de 310 millions d'euros n'a pas convaincu sur les barrages.

    « Même 310 millions, sur l'ensemble des ports, ça ne fait pas grand-chose par personne, estime l'Arcachonnais François Delsart. Il faut une aide immédiate pour permettre à tout le monde de survivre. Au-delà, il faut un prix plancher à la criée pour tous les poissons, réévalué chaque semaine en fonction du prix du gazole. S'il augmente de 3 centimes, le plancher doit aussi augmenter de 3 centimes. »

    « Mais il ne faut pas qu'il soit répercuté sur les consommateurs, sinon ils n'achèteront plus », ajoute Thierry Dieu, lui aussi d'Arcachon. En attendant mercredi et la rencontre avec le ministre de la Pêche, Michel Barnier, les pêcheurs n'ont pas l'intention de lever les barrages. « Nous craignons de ne pas avoir grand-chose à part des promesses. Dans ce cas, la situation risque de se durcir encore », prévient Pascal Guenezan. Malgré la gêne, les gestes de soutien des automobilistes sont fréquents. « Tenez bon les gars », lancent-ils au passage. Certains suggèrent aux transporteurs d'entrer dans le mouvement à leur tour.

    (Le Parisien 20 mai 2008)