Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

kévin gil

  • "NOUS ETIONS SEULS AU MONDE"

    Para témoignage.jpg
    Kévin Gil chez lui hier à Laroque-d'Olmes (Ariège)

    Blessé dans l’embuscade afghane, l’ariégeois Kévin Gil raconte l’accrochage qui a coûté la vie à dix soldats français.

    À l’heure où le soldat Nicolas Grégoire, tombé dans l’embuscade afghane, était porté en terre couserannaise, une famille du pays d’Olmes attendait le retour de son fils. Blessé dans la même embuscade, Kévin Gil, 20 ans, appartenant lui aussi au 8e RPIma de Castres, a retrouvé les siens il y a tout juste huit jours, après quelques jours passés à l’hôpital du Val de Grâce, à Paris. Il raconte.
     
    Quand étiez-vous arrivé en Afghanistan ?
    Nous avons débarqué à l’aéroport de Kaboul le 23 juillet, pour une mission qui devait durer jusqu’en décembre. En janvier dernier en intégrant la 4e compagnie, nous avons appris que l’Afghanistan serait certainement notre destination, plutôt que le Gabon. Pendant tout le printemps nous avons suivi des camps de simulation de guerre : entraînement au combat en véhicules avant blindés (VAB) et combat à pied.
    Nous savions en arrivant à Kaboul qu’il ne s’agirait pas de simplement monter la garde. Après une semaine et demi dans une base d’acclimatation (patrouilles dans les villages), ma section a été la dernière à rejoindre la base de Massoue, dans un village à une heure et demi de Kaboul.
     
    Quel était le cadre de vos missions ?
    Jamais de repos. On enchaînait deux jours de patrouille en montagne à quadriller le terrain pour le renseignement ; puis deux jours de garde et deux jours d’alerte. On a vite trouvé nos marques. Dans ces montagnes sans végétation, le plus dur a été la chaleur : 40 à 50°. Dans des villages perdus nous avons eu de bons contacts avec des chefs de village qui semblaient favorables à notre venue. Mais beaucoup de villages ont été repris par les insurgés talibans ; notamment depuis qu’un régiment italien, attaqué, s’est replié.
     
    Comment avez-vous vécu l’accrochage du 18 août ?
    C’était beaucoup plus qu’un accrochage : une embuscade.
    Le matin, ma section Carmen 2 est partie suivie d’une section du Régiment de Marche du Tchad (RMT), de deux véhicules américains et de deux jeeps où se trouvaient une dizaine de soldats de l’armée afghane.
    Ce jour-là j’étais dans le premier véhicule du convoi à escorter vers la vallée d’Ousbin. Ma mission était de protéger ceux qui seraient en opération de quadrillage et de reconnaissance.
    Nous avons roulé trois heures pour faire les 40 km qui nous amenaient sur la zone. Plus on avançait et plus c’était difficile ; des rochers, et des rochers à franchir. Nous sommes arrivés à midi sur des hauteurs d’où l’on apercevait deux villages. Nous avons avancé vers le plus proche,  en vue de reconnaître un col. Tous les soldats ont débarqué;  trois  véhicules sont restés à l’entrée du village ; et, la section s’est engagée vers le col.
    Le premier coup de feu a claqué en haut. Une roquette. Une minute après, la seconde nous visait dans le village. Elle a explosé à 20 m derrière moi. Nous nous sommes mis en place pour tirer sur les lignes de crêtes et appuyer nos compagnons pour qu’ils puissent redescendre.

    Combien de temps a duré le combat?
    Tout l’après-midi. Nous avons été tout le temps sous le feu. Un feu qui nous prenait à 360°. Nous avions 22 hommes dans le col et nous étions huit en bas. Les insurgés étaient 150. On était seuls au monde. Il y a bien eu des vagues aériennes rapides mais qui ne ciblaient pas au bon endroit. Pourtant nous faisions des corrections par radio à autorités pour indiquer les appuis.
     
    Comment s’est comportée la population du village ?
    Dès que ça c’est mis à tirer nous n’avons plus vu personne. Pour moi, la population était au courant. À la descente des premiers blessés, je suis parti vers eux en courant : j’ai pris une rafale dans les jambes. ça ricochait de partout. J’ai cherché à me protéger dans une maison. En vain. La porte était bloquée, comme toutes les autres.
    Nous avons pensé que nous allions tous rester là. Et nous avons gardé une cartouche pour nous plutôt que d’être fait prisonnier. À ce moment-là j’ai pensé à mon père qui au même âge que moi s’est trouvé, lui, dans les décombres des attentats du Liban en 1983.
     
    Vous avez rapatrié des blessés, comment s’est passé le retour vers la base ?

    Les quatre premiers blessés sont arrivés choqués. Je les ai récupérés dans mon VAB qui avait ses quatre pneus crevés,  son blindage transpercé et plus du tout de radio. Tous ses voyants étaient allumés.
    Il m’a fallu plus de trois heures de route pour rentrer à la base arrière où un hôpital militaire de campagne avait été dressé. Je croisais des renforts qui montaient et ne comprenaient pas notre manœuvre. On a repris la grêle du feu. Les blessés criaient...  Puis des hélicoptères ont pu aller se poser sur zone pour récupérer nos hommes.
     
    Avez-vous eu peur ?
    Non personne n’a eu peur, sinon personne ne s’en serait tiré. Nous n’avons pas fait n’importe quoi : jamais de tir fraticide ; toujours un combat coordonné.
     
    LA DEPÊCHE DU MIDI -Propos recueillis  par Bernadette Faget