La Haute Assemblée dénonce un texte transposant des directives européennes.
Au nom de la lutte contre les discriminations, le modèle républicain de l'égalité va-t-il disparaître ? C'est l'inquiétude du Sénat, qui s'oppose au gouvernement sur un projet de loi visant à transposer en droit français cinq directives européennes «antidiscrimination».
Le 9 avril, dans l'hémicycle de la Haute Assemblée, le rapporteur du texte, Muguette Dini (Union centriste-UDF, Rhône) a appelé ses collègues à «ne pas fermer les yeux sur le contenu du texte» qui risque de «nous entraîner sur le chemin du communautarisme».
Très applaudie par la majorité sénatoriale, Muguette Dini s'est inquiétée de la définition des discriminations défendue par Bruxelles et entérinée par le projet de loi. Selon les directives communautaires et le gouvernement, constitue une discrimination tout cas où une personne «est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable» en raison de son sexe, de ses origines ethniques, de sa vie privé, de sa religion ou encore de ses convictions politiques.
Or, pour le sénateur centriste, cette définition, «inspirée des pays anglo-saxons», «incite à la mise en exergue des identités particulières» et abolit un principe essentiel du droit français : «Toute différence de traitement ne constitue pas nécessairement une discrimination et certaines d'entre elles sont légales.» Le président de la commission des affaires sociales du Sénat, Nicolas About (Union centriste-UDF, Yvelines), a jugé lui aussi «très regrettable» que les gouvernements français successifs n'aient pas défendu «la conception républicaine de l'égalité» lors de la négociation des directives.
Sensibles à ces arguments, les sénateurs de la droite et du centre parfois rejoints par certains socialistes ont adopté des amendements modifiant le texte en dépit de l'opposition affichée du gouvernement. Le Sénat a retranché de la définition des discriminations les phrases rédigées au conditionnel, qui, selon Muguette Dini, «ouvrent la porte à des procès d'intention» et «aboutiraient à des condamnations fondées sur de simples suppositions et des hypothèses invérifiables».
Demande de la Commission
Suivant là encore l'avis du rapporteur, la Haute Assemblée a précisé la définition du harcèlement sexuel, pour éviter de «transférer au juge le pouvoir considérable de dire la loi».
Hostile aux amendements du Sénat, le gouvernement espère obtenir leur suppression lors de la commission mixte paritaire composée de sept députés et sept sénateurs qui se réunira le 13 mai.
«La Commission européenne nous a demandé très explicitement de reprendre sa définition des discriminations, a argumenté Nadine Morano, secrétaire d'État à la famille, qui représentait le gouvernement lors des débats. Si le Parlement retient une autre définition, la Commission n'hésitera pas à saisir la Cour de justice européenne, qui lui donne raison dans 95 % des cas.»
Le Figaro 03 mai 2008