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Pédophilie: Pascal Clément, ancien Garde des sceaux, parle

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LCI.fr : Que pensez-vous du débat actuel sur la lutte contre la pédophilie, après l'affaire de Roubaix ?  N'a-t-on pas pu agir plus tôt ?
 
Pascal Clément,
ancien garde des Sceaux : J'ai présidé en 2004 une mission d'information sur la récidive et rédigé avec mon collègue aujourd'hui décédé Gérard Léonard un rapport qui contenait les propositions telles que l'hôpital psychiatrique, les traitements hormonaux ou encore le bracelet électronique... Dans ma loi sur la récidive votée en 2005, le port de ce bracelet électronique a été instauré pour les délinquants sexuels.

Mais j'ai buté sur le point juridique suivant : je souhaitais qu'il soit porté par l'ancien détenu après sa période de détention, et non pas seulement pendant la période des remises de peine. J'ai alors dit que cela risquait d'être inconstitutionnel (risque d'une double peine, ndlr), tout comme l'application rétroactive du bracelet pour les personnes condamnées avant la promulgation de la loi. Mais je pensais qu'il fallait prendre ce risque sinon cette loi ne s'appliquerait pas au stock de détenus.
 
Or que s'est-il passé ? Immédiatement, le président du Conseil constitutionnel de l'époque Pierre Mazeaud, la gauche et toute la presse me sont tombés dessus sur le thème : c'est un scandale que le garde des Sceaux ose déposer une loi qui pourrait être inconstitutionnelle. Je n'ai été soutenu par personne, pas même par le ministre de l'Intérieur de l'époque (Nicolas Sarkozy, ndlr). J'ai donc été obligé d'encadrer très fortement la loi sur le plan constitutionnel. Si j'avais été aidé à l'époque, on serait allé plus loin mais on m'a empêché de prendre le risque. 
 

"On aurait
pu aller
plus vite à l'époque"

Pascal Clément

LCI.fr : Quel est votre sentiment après les annonces de Nicolas Sarkozy, notamment l'examen obligatoire par un collège de médecins des pédophiles avant leur sortie de prison ?
 
Que le président de la République cherche à trouver des solutions, je ne peux que m'en réjouir très sincèrement. Mais on ne peut pas régler à coups de serpe les problèmes en durcissant les choses. C'est beaucoup, beaucoup plus compliqué. Je renvoie à ma loi de 2005 qui a prouvé les difficultés de l'exercice sur le plan constitutionnel. 
 
Or, avec les mesures annoncées lundi, on a la même situation en pire. Que ce soit le suivi socio-judiciaire  et sa rétroactivité, la distinction entre deux sortes de détenus avec les délinquants sexuels qui ne bénéficieraient plus de remise de peines, ou encore le collège de médecins qui devrait  estimer la probabilité de récidive de tel ou tel individu. Et l'enfermement en hôpital psychiatrique sera-t-il considéré par le juge comme une deuxième peine ? 

Ce n'est pas pour contester l'effort du président de la République mais étant celui qui en France a sûrement le plus travaillé sur ce sujet depuis trois ans, je peux constater que la vraie difficulté est constitutionnelle.  Les annonces de Nicolas Sarkozy sont schématiques, au sens où l'on ne peut pas les reprendre telles quelles. Il faut les travailler pour les rendre juridiquement les plus constitutionnelles possibles. Cela va demander un effort des juristes de la Chancellerie et du Parlement. Il y aura probablement saisine du Conseil constitutionnel et nous verrons bien ce qu'il dira. Je suis plutôt sceptique. Mais lorsque j'ai tenu ces propos il y a deux ans, cela avait provoqué un scandale. On aurait pu aller plus vite à l'époque
 
LCI.fr : La prison n'est-elle pas tout simplement inadaptée aux délinquants sexuels ?
 
Le viol est un crime et comme tout crime, il doit être puni par de la prison. En revanche, cette sanction permet-elle la rémission ?  Evidemment non. On sait qu'il n'y a pas assez de suivi psychiatrique et sanitaire en prison, notamment pour les délinquants sexuels. Pourquoi ?  Le nombre de psychiatres en France est faible. Pourquoi n'y a-t-il pas plus d'internes en psychiatrie chaque année ? Je n'ai pas eu la réponse à cette question. Il faut le demander au ministère de la Santé. Dans ma loi sur la récidive, j'ai donc permis à des psychologues de se substituer aux psychiatres pour assurer le suivi mais les services sociaux en prison manquent totalement de collaborateurs. Donc pour être efficace, le suivi socio-judiciaire à l'intérieur des prisons demande plus de moyens.
 
LCI.fr :  La création d'hôpitaux psychiatriques est-elle une bonne décision ?
 
C'est une excellente chose. C'était dans mon rapport de mission d'information sur la récidive. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin avait retenu cette idée et avait décidé de la mise en œuvre. Mais faute de budget, il n'y a pas eu de suite.

Qu'il faille faire ce genre d'hôpitaux psychiatriques est une évidence : environ 30% de la détention relève en France de la psychiatrie. Or, il est très difficile pour les surveillants de gérer à la fois les détenus "normaux" et ceux qui relèvent de la psychiatrie. Il serait bon de faire quitter les cas les plus lourds des prisons pour des centres spécialisés. Mais réserver ces hôpitaux psychiatriques au seul enfermement pour délinquants sexuels est problématique. Ce sera de la prison à vie et je me demande comment cela sera possible. Il faudra des traitements et des calmants considérables et honnêtement, je ne suis pas sûr que l'on se rende bien compte de la difficulté de l'exercice d'un point de vue humanitaire. 
 

"Je ne vois pas
l'intérêt d'une
commission
d'enquête"

¨Pascal Clément

LCI.fr : Que pensez-vous de l'examen des pédophiles en fin de peine par une commission de médecins ?
 
Mettez-vous à la place d'un médecin de cette commission, sur quoi vont-ils se fonder pour décider ? Généralement, les délinquants sexuels sont des individus très intelligents et des détenus "exemplaires". Autrement dit, après 15 ou 20 ans de prison, rien ne laisse à penser que tel ou tel peut plus récidiver qu'un autre. La commission n'aura pas d'éléments scientifiques pour la décision. En affinant les choses, c'est très compliqué.
 
LCI.fr : La castration chimique est-elle efficace ?
 
Oui, quelques détenus réclament eux-mêmes la castration chimique à leur sortie de prison. Elle n'est pas permanente puisque ce sont des vaccins qui font effet trois mois et qui sont renouvelables. Mais là encore, aujourd'hui, ni le juge, ni le médecin ne peuvent imposer ce traitement. Si le criminel refuse, vous ne pouvez rien faire. C'est une autre difficulté constitutionnelle.
 

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