Comment jugez-vous les propos de Bernard Kouchner dimanche évoquant la possibilité d'une « guerre » ?
Ali Ahani. Entendre ces propos martiaux dans la bouche de M. Kouchner nous a paru bizarre. C'est très éloigné de la position habituelle de la France. Il a donné l'impression d'aller dans le sens de l'administration Bush. Or l'opinion française a toujours été fière de l'indépendance de son pays, de ne pas être considéré comme suiviste par rapport aux Etats-Unis. Là, Paris semble avoir changé de cap. Les propos de Bernard Kouchner ont d'ailleurs été critiqués tant en France que chez ses alliés européens.
Nicolas Sarkozy aussi avait évoqué un bombardement de l'Iran... Je fais une distinction entre les propos du président Sarkozy et ceux de M. Kouchner. Le premier a insisté sur la nécessité d'empêcher la guerre, alors que le second a, au contraire, mis l'accent sur la préparation au pire, c'est-à-dire l'entrée dans une phase de guerre. Déclaration d'autant plus inattendue que nous sommes en train de négocier avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui se dit satisfaite de l'avancement des choses.
La diplomatie française est-elle devenue pro-américaine ?
Le gouvernement actuel semble plus proche de la pensée américaine. Mais les Français n'aimeraient pas avoir l'air de s'aligner sur Washington, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici. Cela étant, tout le monde, y compris M. Sarkozy, insiste sur le dialogue et la négociation pour régler ce dossier délicat du nucléaire iranien. Nous espérons que les explications précises de M. Kouchner vont dissiper le malentendu.
Il a déclaré, hier à Moscou, qu'il fallait tout faire pour éviter la guerre...
C'est en effet une tonalité différente. Cela pourra aider à calmer l'opinion iranienne, qui a été choquée par ses déclarations de dimanche.
Le président Ahmadinejad est pourtant coutumier des déclarations fracassantes, notamment de menaces contre Israël.
On ne l'a en tout cas jamais entendu dire que l'Iran veut la bombe atomique. L'Iran ne cherche pas à se doter de la bombe. En revanche, notre pays veut disposer de cette technologie à des fins pacifiques. Quant à ses déclarations sur Israël, ce sont des critiques contre les crimes inacceptables commis dans les territoires palestiniens. Mais le président Ahmadinejad n'est pas du tout antisémite !
La France peut-elle encore jouer un rôle dans la région ?
Elle a sa capacité, son importance au sein de l'Union européenne. Elle peut être active dans la résolution de certains dossiers internationaux. Mais, pour cela, il ne faut surtout pas négliger l'Iran. La France a de grandes chances de réaliser certains projets de centrales nucléaires en Iran sous le contrôle de l'AIEA, mais, pour entrer dans cette phase, il faut préparer le climat politique. Attention, car il y a beaucoup de rivalités dans le monde économique, et l'Iran est un grand marché. Il serait dommage de porter atteinte aux intérêts des entreprises françaises.
Sur le dossier nucléaire, qu'attendez-vous alors de Paris pour résoudre la crise ?
Il faut tout d'abord être réaliste, renouer le dialogue et reconnaître notre droit à l'enrichissement civil de l'uranium, puis entrer dans une phase de coopération plus étroite et concrète pour garantir nos besoins énergétiques nucléaires. Nous avons besoin de construire une vingtaine de centrales nucléaires.
Vous n'avez pas de programmes nucléaires militaires clandestins ?
Pas du tout !
Si les négociations échouent, pensez-vous que les Américains ont déjà des plans d'attaque contre l'Iran ?
L'administration Bush a été piégée en Irak. Le président américain est sous une grande pression interne pour ses erreurs en Irak. Comment envisager qu'il commette une nouvelle folie en se lançant dans une autre crise ? Ces scénarios ne me semblent pas sérieux.
Quelles seraient les conséquences d'une attaque américaine ?
J'espère que cela n'arrivera pas, mais nous avons préparé tous les scénarios et les conséquences seront vastes, terribles et imprévues. Des pays comme la France peuvent conseiller aux Américains de renoncer à cette voie qui serait catastrophique pour tout le monde.
(Source Le Parisien)