De fait, le syndicat des journalistes israéliens ne trouve rien à redire à cet embargo médiatique. "Dans la période actuelle, les journalistes doivent obéir aux forces de sécurité, assure Yossi Barmucha, un responsable du syndicat. Si je lance une campagne de protestation au nom de la liberté de la presse et que, dans les jours qui suivent, un confrère est kidnappé à Gaza, vous imaginez ma situation ?" Shlomi Eldar, le reporter casse-cou de la chaîne de télévision 10, se refuse, lui aussi, à critiquer l'armée. "Je désapprouve cette décision, mais je peux la comprendre, dit-il. Depuis mon premier reportage à Gaza, en 1991, je m'y suis toujours senti en sécurité. Les seuls problèmes que j'ai rencontrés sont d'ailleurs venus de l'armée, qui, en 2003, a blessé par balle mon cameraman. Mais, aujourd'hui, la situation est beaucoup plus compliquée. C'est le balagan (chaos), comme on dit chez nous. Entre le Fatah, le Hamas, le Djihad islamique et les clans armés jusqu'aux dents, il n'est pas déraisonnable d'imaginer qu'un Israélien puisse se faire enlever..."
Gideon Levy, franc-tireur patenté de la presse israélienne, est d'un avis rigoureusement contraire. Il estime que la prise du pouvoir par le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), en juin, a obligé les gangs qui semaient le chaos à rentrer dans le rang et que, de ce fait, les risques y sont bien moindres qu'au printemps. Comme Shlomi Eldar, il doit à l'armée israélienne le seul moment véritablement dangereux de sa carrière : quand une balle a traversé le pare-brise de sa voiture à Tulkarem, en Cisjordanie, en 2003. "Personne ne m'a empêché d'aller couvrir la guerre à Sarajevo parce que c'était risqué, ajoute-t-il. Il y a des dangers à Gaza, c'est évident, mais cela fait partie de notre travail. Et d'ailleurs, avant de rentrer là-bas, nous signions toujours une décharge qui exemptait l'armée de toute responsabilité."
Selon Gideon Levy, le veto de l'armée israélienne, inchangé depuis un an, relève de la censure déguisée. "Cette décision fait l'affaire des généraux, du gouvernement, des patrons de journaux et même des lecteurs, qui n'ont aucune envie d'entendre parler de la misère qui règne à Gaza", affirme-t-il.
Suleiman Al-Shafi, arabe isrélien, journaliste pour la chaîne 2, partage ce point de vue. "Je connais chaque pierre de Gaza, où je me sens parfaitement en sécurité. L'armée cherche à contrôler les médias pour mieux faire passer "sa" vérité", juge-t-il.
De son côté, Amira Hass, l'autre experte israélienne ès affaires palestiniennes du quotidien Haaretz, impute le blocage à l'attitude de la presse en général. Dès le début de l'Intifada, en 2000, elle a eu besoin des coups de téléphone de sa hiérarchie à l'état-major pour obtenir le droit de traverser le point de contrôle d'Erez. Un soutien qui, aujourd'hui, lui fait défaut. "Le problème tient moins aux ordres de l'armée qu'au manque de volonté des médias de s'y opposer et de couvrir la réalité de Gaza, affirme-t-elle. Ils se comportent comme si ce territoire n'existait pas, comme si, depuis le désengagement (israélien de 2005), l'occupation en avait disparu."
Les reporters israéliens couvrent donc Gaza à distance : par téléphone, à l'aide des dépêches d'agences et grâce aux images envoyées par leurs collaborateurs palestiniens. ('Quand celles-ci ne sont pas censurées par Tsahal?) Un traitement par défaut qui les frustre d'autant plus que, entre le coup de force du Hamas et le blocus économique imposé par Israël, la situation sur place n'a jamais été aussi critique.
Si Israël, comme le ministre de la défense Ehoud Barak l'a évoqué, met à exécution sa menace d'offensive contre Gaza, la presse israélienne risque de rater une autre histoire. Ou presque : les seuls témoins seront les correspondants militaires "embeded" (embarqués) dans les blindés de l'armée.
(Source: LE MONDE - 9.11.07)
Quelle peut donc être" la liberté de la presse" lorsque les médias dépendent entièrement de l'Armée?
Et peut-on encore parler d'un Etat démocratique ?