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"Ah! ça n'ira pas!"

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Le Pavillon de la Lanterne construit en 1787
L'endroit offre une garantie de discrétion absolue. Cinq cars de CRS, stationnés en permanence le long des murs d'enceinte, empêchent les curieux de s'approcher. Le survol en avion est strictement interdit. Le 9 juin 2007, le pilote d'un bi-moteur qui avait eu le malheur de s'en approcher afin d'éviter un autre avion, a d'ailleurs été entendu par la police de l'air et des frontières, puis condamné à payer une amende de 800 euros.

 

La propriété elle-même est quasi invisible. En 1999, la grande tempête, qui ravagea notamment le parc de Versailles, renversa un arbre sur le mur, provoqua une brèche et permit des clichés lointains sur la maison. Quelques années plus tard, un intrépide put photographier l'ensemble, d'un hélicoptère affrété par une radio périphérique pour surveiller la circulation et qui fit un rapide et discret crochet. Mais de mémoire de photographe, jamais aucun paparazzi, même le plus acharné, n'a pu saisir sans autorisation les invités prestigieux qui jouissent de la piscine et du jardin.

Depuis le 6 mai 2007, les riverains savent pourtant déceler lorsque Nicolas Sarközy vient à la Lanterne. Une demi-compagnie de CRS (soit une cinquantaine d'hommes effectivement mobilisés) vient alors renforcer l'effectif de sécurité sur place. Et il n'est pas rare de croiser le président, courant avec ses gardes du corps autour du grand canal, derrière le château de Versailles. Pour le reste, même les collaborateurs du chef de l'Etat ignorent qui est reçu, le week-end, dans cette résidence d'Etat située au bout du parc du château de Versailles.

Nicolas Sarközy a fait de la Lanterne son lieu de pouvoir le plus secret. Quand il paraît chaque jour s'exposer volontiers aux caméras, il préserve en fait vie privée et rencontres politiques, à trente minutes en voiture de l'Elysée, dans ce charmant pavillon de chasse qui fut édifié à l'aube de la Révolution, à deux pas du Palais voulu par Louis XIV. Les connaisseurs ne s'y trompent pas. Etre reçu à la Lanterne, c'est un peu pénétrer dans le premier cercle du pouvoir présidentiel et peut-être dans ce qui lui reste d'intimité.

Nicolas Sarközy avait été séduit par l'endroit, lorsqu'il y fut invité par le premier ministre de 1993, Edouard Balladur, qui y venait pourtant rarement. La Lanterne était alors mise à la disposition des chefs de gouvernement, depuis une décision du général de Gaulle en 1959, et Nicolas Sarközy avait gardé le souvenir de cigares fumés sur la terrasse, en compagnie de Charles Pasqua. Le lendemain même de son élection, il a réclamé à Dominique de Villepin, encore à Matignon, de pouvoir en disposer : il avait décidé d'en faire une résidence pour le président et non plus pour son premier ministre. Entre deux hommes qui se haïssent, la Lanterne devint le symbole humiliant de la victoire de l'un sur l'autre et Villepin dut renoncer au dernier attribut de son pouvoir déchu.

C'est donc là, alors que la passation de pouvoirs n'avait pas encore eu lieu, que Nicolas Sarközy composa avec François Fillon son premier gouvernement. Ce fut un véritable défilé. Les amis de fraîche date préféraient la discrétion de la Lanterne, tandis que les alliés de toujours recherchaient alors la visibilité rassurante de l'Elysée. Claude Allègre vint y décliner l'offre d'un ministère, Bernard Kouchner en repartit après l'avoir acceptée.

C'est aussi là, au milieu des roses trémières et des liquidambars, que Cécilia Sarkozy, soucieuse de fuir l'Elysée, pensa un temps s'installer. Le jeune Louis fut inscrit à Saint-Jean-d'Hulst, l'un des meilleurs établissements privés de Versailles. Les plus proches conseillers du président, convoqués pour des réunions de travail à la Lanterne, comprirent pourtant qu'elle n'y resterait pas. Très vite, on ne l'y vit plus. Pas plus que l'enfant qui, jusque-là, sillonnait les jardins sur son mono-tracteur.

Moins de deux mois après son divorce, le chef de l'Etat y reçut aussi Carla Bruni pour un premier week-end, le 8 décembre. Et c'est encore dans les salons avec leurs canapés de chintz que l'on fêta l'anniversaire de l'ancien mannequin, le 23 décembre, avec une vingtaine d'amis du cinéma, de la musique, de la production, presque tous s'affirmant de gauche. Et aucun n'acceptant aujourd'hui d'en souffler mot.

On y trouve fréquemment, le week-end, les "copains" et les conseillers. Le conseiller d'entreprise Alain Minc (président du conseil de surveillance du Monde jusqu'à la fin mars) vient indifféremment à l'Elysée ou à Versailles brosser sa vision de l'économie, des médias, des milieux du pouvoir. Les industriels et propriétaires de médias, Martin Bouygues et Vincent Bolloré, y ont déjeuné. La ministre de la justice, Rachida Dati, fait partie des habitués. La réforme des régimes spéciaux, celle de la Constitution, celle des universités y ont été discutées. L'été, on s'installe dehors, entre les buis taillés, piscine et tennis pour les amateurs. L'hiver, on s'y réchauffe dans les salons décorés à la façon d'un cottage anglais.

Les politologues des plus grands instituts de sondages s'y sont succédé. Même les syndicalistes, François Chérèque (CFDT), Jean-Claude Mailly (FO) puis Bernard Thibault (CGT), ont eu droit à un verre, sur la terrasse derrière la maison, en septembre, un peu avant la rentrée sociale. Les barons de l'UMP comptent sur les doigts d'une main ceux d'entre eux qui y ont été conviés et notent amèrement le peu d'égard du président pour ceux qui lui sont attachés. Car ce sont les paradoxes de la cour : mieux vaut figurer parmi les rares invités du pavillon de chasse quand la foule se presse au Palais.

La Lanterne est un lieu protégé des curieux, mais pas toujours des réalités. En octobre, alors que quelques travaux de restauration du mur d'enceinte étaient en cours, deux Maliens, sans papiers, ont été arrêtés sur le chantier et reconduits à la frontière sous arrêté préfectoral. Enfin, l'endroit est devenu si symbolique du nouveau pouvoir que, le jeudi 18 octobre, la fédération mines-énergie de la CGT a fait savoir que l'électricité avait été coupée pour la journée à la Lanterne en signe de protestation contre la réforme des régimes spéciaux. Le président n'y était pas. Mais à Versailles, ce genre d'action vous prend toujours une petite allure révolutionnaire...

(LE MONDE 15.01.08.)

Commentaires

  • C’est « l’égalité » revue et corrigée par ces grands démocrates. C’est ça la politique de civilisation.

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