Le régime communiste d'après-guerre aurait incité à l'exil les rescapés de la Shoah.
C'est une nouvelle onde de choc que l'historien américain Jan Gross vient de déclencher en Pologne. En 2001, Gross, qui enseigne à l'université de Princeton, avait transgressé un tabou en racontant, dans son livre Les Voisins, le massacre de Jedwabne, une bourgade de l'est de la Pologne où, le 10 juillet 1941, la quasi-totalité de la population juive fut brûlée vive par des Polonais. Ces révélations impulsèrent un travail de mémoire sur les relations judéo-polonaises, demeurées longtemps une «page blanche» dans l'historiographie polonaise. Un vaste débat public qui conduisit l'ex-président Aleksander Kwasniewski à demander pardon au cours d'une cérémonie sans précédent à Jewabne.
L'historien américain vient de récidiver en accusant cette fois la Pologne d'«épuration ethnique». Dans un nouveau livre, intitulé Fear (La Peur) et paru cette semaine en polonais, il évoque le sort réservé juste après la Seconde Guerre mondiale aux survivants de l'Holocauste et la vague d'antisémitisme dont ils furent à nouveau les victimes : leurs maisons occupées, les pogroms… Celui de Kielce notamment, où, le 4 juillet 1946, l'accusation de crime rituel d'un enfant polonais provoqua l'assaut d'un bâtiment occupé par des rescapés juifs et l'assassinat de 42 d'entre eux.
Après ce massacre, 92 000 juifs quittèrent la Pologne. La communauté juive, estimée à 250 000 personnes en 1946, ne s'élevait plus qu'à 69 000, soit 2% de la population juive d'avant-guerre (3,5millions de personnes). C'est ainsi, écrit Gross, qu'à l'instar de la société «Judenrein» rêvée par les nazis «les communistes au pouvoir ont exaucé les vœux des nationalistes polonais en donnant naissance à un État ethniquement pur».
Un «réquisitoire»?
Dès les premiers exemplaires mis en vente, le parquet de Cracovie a lancé une enquête préliminaire destinée à vérifier si l'auteur ne s'était pas rendu coupable de « diffamation publique ». À l'initiative des frères Kaczynski, un nouveau paragraphe introduit en 2006 dans le Code pénal prévoit jusqu'à trois ans de prison pour «quiconque impute à la nation polonaise la complicité, l'organisation ou la responsabilité de crimes communistes ou nazis».
En 2001, les révélations de Gross sur Jebwabne avaient provoqué une véritable catharsis. Cette fois, à l'instar d'Adam Boniecki, rédacteur en chef de l'hebdomadaire catholique Tygodnik Powszechny, beaucoup redoutent que ce nouveau livre perçu comme un réquisitoire «ne nuise aux relations polono-juives», voire renforce un courant antisémite canalisé par l'extrême droite et le courant intégriste de l'Église catholique incarné par Radio Maryja...
(Le Figaro - 19.01.08)