Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le soutien de Paris au Tchad et la neutralité de l'EUFOR

DAKAR (Reuters) - La décision de la France de soutenir ouvertement Idriss Déby sème le doute sur la neutralité de l'Eufor, censée se déployer très prochainement dans l'est du Tchad, et n'offre aucune solution politique durable pour l'ancienne colonie française, estiment plusieurs analystes.

Aux yeux d'Alex de Waal, spécialiste du Tchad et du Soudan auprès du Social Science Research Council basé aux États-Unis, l'appui de Paris, qui a fourni logistique, munitions et renseignements conformément aux accords de coopération de 1976, a été décisif dans la défaite des rebelles, lancés à l'assaut de N'Djamena le week-end dernier.

Ces derniers se sont certes repliés dans le centre du pays, mais promettent de reprendre rapidement l'offensive contre Déby et les forces françaises "néocolonialistes".

Comme beaucoup d'observateurs, de Waal prend cette promesse au sérieux, malgré les menaces du président Nicolas Sarközy, qui a assuré que la "France ferait son devoir", au lendemain de la déclaration du Conseil de sécurité de l'Onu appuyant le pouvoir en place.

Reste que "Déby est intrinsèquement indéfendable", tranche l'expert. À Paris, on juge toutefois qu'aucune alternative n'émerge de cette rébellion à la cohésion douteuse.

Le soutien sans équivoque de la France pose quoi qu'il en soit le problème de la neutralité de l'Eufor, dont les 3.700 hommes s'apprêtent à prendre position dans l'est du Tchad.

L'armée française fournira la moitié de ses effectifs, dont la mission, strictement neutre, consistera à assurer la sécurité des centaines de milliers de réfugiés menacés par les violences qui débordent du Darfour voisin.

"L'Eufor et la mission des Nations unies (au Darfour) se déploient au milieu d'une guerre civile", souligne David Morzersky, chargé de la Corne de l'Afrique et du Tchad au sein de l'International Crisis Group.

"Si la mission de l'UE se déploie dans ces circonstances, avec la France ayant la statut de belligérant, elle ne peut être sérieusement considérée comme neutre", poursuit de Waal.

Rares sont ceux qui doutent que l'offensive rebelle, vraisemblablement soutenue par Khartoum, qui s'en défend, ait été lancée pour empêcher le déploiement l'Eufor.

"Le Soudan se sent clairement menacé par la mission de maintien de la paix européenne à sa porte", estime Philippe de Pontet, membre de l'Eurasia Group.

Retardé par les combats du week-end , le déploiement de l'Eufor est désormais prévu la semaine prochaine. Le parti pris de la France en faveur de Déby, dont la légitimité est contestée, a toutefois semé le doute au sein de l'UE, dit-on dans les milieux diplomatiques.

Les détracteurs du président tchadien, qui a pris le pouvoir en 1990 avec déjà un soutien français, ne voient en lui qu'un dictateur corrompu prompt à dilapider des ressources pétrolières récemment mises au jour et à favoriser ses proches et le clan Zaghawa dont il est issu.

Élu en 1996, il a été reconduit en 2001 puis en 2006, mais ce dernier scrutin, marqué par une très faible participation, a été boycotté par une opposition qui le jugeait biaisé d'avance.

Mozersky et de Waal se disent surpris des propos de Sarközy et de ses ministres quant à la "légitimité démocratique" de Déby.

"Il n'y a encore personne pour parler des questions de gouvernance au Tchad (...) C'est stupéfiant qu'on n'évoque pas les questions de fond", s'étonne Mozersky, tandis qu'Amnesty international s'inquiète du sort des opposants politiques interpellés pendant les combats du week-end.

De Waal regrette quant à lui que Paris ne joue pas de son poids diplomatique et militaire pour amener le pouvoir et les rebelles à négocier. Ces derniers se sont dits ouverts au dialogue, mais N'Djamena refuse de prendre langue avec des "mercenaires".

"La Françafrique semblait bien malade, mais après une injection de testostérone, elle est vivante et bien vivante", conclut l'expert.

(Le Monde 08.02.08)

Les commentaires sont fermés.