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HIROSHIMA: les photos jamais vues

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Ce sont des photos prises au sol, de l'intérieur du désastre. Rien à voir avec la vision abstraite et désincarnée du champignon nucléaire. Ces images montrent l'état de la ville japonaise d'Hiroshima dans les premiers jours qui ont suivi le largage, par l'aviation américaine, de la première bombe atomique, le 6 août 1945, à 8 h 17.

Sidérantes photos de corps flottant dans les eaux. Epouvantables images de visages tordus de souffrance. Clichés de cadavres entassés en pyramide, de corps tétanisés, adultes, vieillards et enfants, soufflés dans l'instant. Il n'y a plus ni homme ni femme. Uniquement des corps calcinés, enchevêtrés sous les gravats, ou allongés en rangs à perte de vue par les premiers sauveteurs et militaires nippons arrivés sur place, déambulant, masqués, entre les travées. On reconnaît simplement les enfants à leur petite taille.

La Hoover Institution, à l'université Stanford, en Californie, a rendu publiques dix photographies exceptionnelles, lundi 5 mai. Elles lui ont été remises, en 1998, par Robert L. Capp, un soldat qui avait participé aux forces américaines d'occupation du Japon à l'issue de la seconde guerre mondiale. "En fouillant une cave près d'Hiroshima, explique Sean Malloy, historien et chercheur à l'Université de Californie, à Merced, Capp est tombé sur des pellicules non développées : parmi elles, il y avait ces photos." Leur auteur, japonais, est inconnu.

En travaillant sur un livre publié cette année, Atomic Tragedy : Henry L. Stimson and the Decision to Use the Bomb Against Japan (La tragédie nucléaire : Henry Stimson et la décision de lancer la bombe sur le Japon, Cornell University Press), M. Malloy, ancien de l'université Stanford, a été autorisé à voir ces photos. Il a ensuite pu rencontrer la famille Capp, qui lui a permis de divulguer trois photos inédites dans son ouvrage. Robert Capp, décédé entre-temps, avait fait don de la collection, en 1998, au fonds d'archives Hoover, exigeant que ces photos ne soient pas montrées avant 2008.

En raison de la censure draconienne imposée par l'occupant américain sur tout ce qui touchait au bombardement d'Hiroshima (puis de Nagasaki, trois jours plus tard), on ignora pendant des mois l'ampleur de la tragédie dont furent victimes des populations essentiellement civiles. Les images prises par les premiers photographes nippons à s'être rendus sur place furent interdites. Les photos trouvées par M. Capp, sans doute d'un amateur, sont un témoignage de l'horreur des premiers jours qui suivirent le bombardement.

Ce 6 août 1945, Hiroshima (350 000 habitants) s'apprête à vivre une journée de chaleur moite, écrasante, vrillée par le cri des cigales, du torride été nippon. La bombe larguée par la forteresse volante Enola Gay, qui s'est envolée à l'aube de la ville de Tinan, dans le Pacifique, explose à 580 mètres d'altitude. La ville est rasée à 90 % et 150 000 personnes périssent sur le coup ou après une longue agonie. Aux effets foudroyants fera suite la mort lente provoquée par les radiations. "Rendez-nous notre humanité", lancera le poète atomisé Sankichi Toge.

A part le reportage du journaliste australien William Burchett, "No more Hiroshima", publié en septembre, on ne sait pratiquement rien, six mois plus tard, de ce qui s'est passé à Hiroshima et à Nagasaki. Avec les conséquences humaines tragiques : comment soigner ces terribles blessures, traitées comme de simples brûlures ? Comment stopper les hémorragies de corps écorchés vifs ? Le seul organisme mis en place par l'occupant fut un centre de recherches sur les effets de la bombe : il ne prodigue aucun soin, mais demande que les morts lui soient confiés pour autopsie...

L'horreur des photos pose une nouvelle fois la question : la bombe A était-elle le seul moyen de mettre fin à la guerre du Pacifique ? En 1945, le Japon était à bout de force. A Potsdam, le 26 juillet, les Etats-Unis avaient exigé sa capitulation sans condition, que Tokyo refusa. Mais la décision de larguer ses bombes sur l'Archipel avait déjà été prise, la veille, à Washington. Dans ses Mémoires, le général puis président des Etats-Unis, Dwight Eisenhower, écrit qu'en août 1945 "le Japon était déjà battu, le recours à la bombe était inutile". A fortiori, la seconde, sur Nagasaki, qui fit 70 000 morts sur le coup. Plus que la capitulation nipponne, il s'agissait de montrer la suprématie américaine à l'URSS, qui avait entre-temps déclaré la guerre au Japon.

Depuis la divulgation de ces photos, blogueurs et internautes américains se déchirent sur le sujet. Une phrase revient souvent dans les commentaires : "Les Japs n'ont eu que ce qu'ils méritaient." Sur le site MetaFilter, l'internaute signant "postroad" estime que le Japon "n'ayant aucune intention de capituler, comme le montre le film de Clint Eastwood (Lettres d'Iwo Jima), aussi horribles soient (ces photos), ces bombardements ont sauvé de nombreuses vies américaines - et aussi nippones". Pour d'autres, à l'inverse, "l'Amérique masque ses crimes honteux".

Beaucoup d'internautes se demandent aussi pourquoi ces clichés sortent aujourd'hui. Peu font confiance à la version officielle. Peut-on vraiment croire que M. Capp ait attendu cinquante-trois ans avant de montrer ces images à quiconque ? Pourquoi aurait-t-il exigé dix ans de secret supplémentaire ? M. Malloy n'a pas d'explication : "C'est une supposition, mais Capp se savait proche de la fin de sa vie. Il ne voulait pas être entraîné dans les polémiques que ces photos pouvaient générer. "

Pourquoi, également, M. Capp aurait apporté ces documents à la Hoover Institution? Celle-ci est perçue comme un centre de recherches néoconservateur extrême. Certains voient une volonté de "pousser" à une intervention américaine contre l'Iran avant que ce pays, disposant de la bombe A, puisse attaquer Israël. A l'inverse, d'autres suggèrent à Hillary Clinton de "bien regarder ces images avant de s'exprimer". La candidate à l'investiture démocrate à l'élection présidentielle a récemment menacé d'"effacer l'Iran" de la carte s'il attaquait l'Etat juif. L'internaute appelé "oneirodynia" insiste sur "l'effort massif de censure tant de la part des Etats-Unis que de Tokyo après que la bombe eut été larguée. A l'été 1946, la censure américaine au Japon avait grandi au point d'occuper 6 000 personnes".

Evoquant la "culture du secret" qu'ils croient déceler aux Etats-Unis, nombre de commentaires établissent un rapport entre Hiroshima, les bombardements massifs au napalm des populations locales durant la guerre américaine au Vietnam et... les prisons américaines de Guantanamo et d'Abou Ghraib aujourd'hui. D'Hiroshima à l'Irak, un internaute anonyme écrit, sur le site Yahoo!, que "le peuple américain ne s'intéresse jamais qu'à ses propres morts".

Alors que le débat se développe sur Internet, la presse américaine n'a pas encore évoqué la divulgation de ces nouvelles photographies de la tragédie d'Hiroshima. Ni la presse japonaise, du reste.

(Le Monde - 9 mai 2008)

Commentaires

  • Il n'est pas exagéré de parler de "génocide-éclair" méticuleusement préparé par les plus hauts responsables américains avec le concours plus qu'actif, déclencheur pourrait-on dire, de savants juifs biens connus dont il est inutile de rappeler les noms. De l'expérimentation grandeur nature en quelque sorte !

  • @ Ns: oui, c'est cela, un génocide-éclair... Il faut lire "les Fleurs d'Hiroshima", on ne peut pas ne pas pleurer... Mais ces photos... Je n'ai pu trouver que celle-ci dans le Monde. Pour ces criminels de guerre, il n'y a jamais de procès... Ils tiennent, dirait-on, les deux bouts de la chaîne...

  • Oui, une expérimentation pour le règlement de la question humaine, de la part des maîtres du monde. Attali, lui, parle d'euthanasie, dans ses propositions, comme le summum de la liberté, dans nos pays démocratiques. Les gens vivent de plus en plus vieux. Ils touchent plus longtemps la retraite qu'ils n'ont cotisé. Le gouvernement mondial lui est si cher...

  • Qu'importe qui, qu'importe comment, une seule chose compte, une fois de plus ce ne sont pas les guerriers entraînés à la guerre qui meurrent en masse, ce sont les civils, enfants, vieillards, femmes ...
    Pourra-t-on un jour arrêter de se cacher derrière l'ombre de son petit doigt et enfin "déclarer la guerre à la guerre".
    Je ne souffre plus l'infantilisation des arguments qui prévalent pour justifier, organiser, absoudre, donner tord ou raison, mais qui tous permettent de ne pas parler de la MORT des CIVILS.
    Qu'ils soient conscients ou non, engagés ou non, qu'ont-ils ou avaient-ils à leur disposition pour mettre fin à une gabegie d'êtres humains ?
    Oui la guerre, c'est la MORT, rien d'autre. La guerre s'est fait pour tuer, pour torturer, pour arriver à ces fins par la force.
    Les formes que cela peut prendre sont multiples, autant que la pensée humaine pervertie peut être féconde.
    Hiroshima, Nagasaki, Dresde, Oradour etc etc aujourd'hui, le Darfour, la bande de gaza, et tous les massacres sont tous synonymes que de MORT.
    Va-t-on enfin un jour penser PAIX ? Simplement vivre dans la paix, pour vivre et aimer, pour vivre et enfanter, pour vivre et simplement parler, connaître, boire, rire, écouter, chanter, avec son voisin.
    Va-t-on enfin vivre pour exister d'une manière civilisée, dans une société humaine où la couleur, l'accent, l'apparence, ne seront que le reflet d'une altérité à connaître, à découvrir.
    Va-t-on vivre enfin pour être HUMAIN ?

  • Cher Christian, je partage entièrement ce que tu écris là. Avant, il y avait "Guerre et paix", maintenant il n'y a plus que "GUERRE"! Le monde devient inhumain, ce sont des criminels monstrueux qui gouvernent le monde, et ce sont les civils, les plus vulnérables, qui trinquent, beaucoup plus que les militaires, infiniment plus! Quant aux généraux, ils meurent dans leur lit... A l'époque des guerres napoléonniennes, des généraux comme Murat s'élançaient en avant, sabre au clair, face à l'ennemi! Les chefs avaient de la bravoure et de l'honneur! En 14-18 aussi!
    Mais maintenant, un pilote largue une bombe, sans aucun risque, et fait des centaines de morts au sol! Et cela n'arrête pas la guerre! Contrairement à ce qu'il est prétendu pour justifier ces crimes! L'exemple de l'Irak nous le prouve amplement!
    Le pilote qui a lâché la bombe atomique sur le Japon a été décoré, félicité, il est mort très âgé, sans aucun remords...

    Amitiés

  • @ l'abbé tymon: il ne faut pas en effet oublier Hambourg... qui a vu les photos de Dresde ne se fait plus aucune illusion sur les "maîtres du monde"... Pour eux, nous sommes encore moins que des détails...
    Il est prodigieux de voir comment l'Allemagne s'est reconstruite rapidement alors qu'elle n'était qu'un champ de ruines après les bombardements alliées. Voir des photos pour s'en convaincre.
    Il y a eu aussi les villes françaises totalement détruites par les bombardements de nos Alliés: Le Havre, Caen, Royan, Amiens... et d'autres encore. De cela on ne parle jamais... Il règne une grande pudeur à ce sujet... Mais il y a des archives photographiques. Nous n'avons rien à dire, qu'à remercier: ils liquidaient les "poches allemandes" pour notre liberté.

  • Elles s'ajoutent aux photos de Yosuke Yamahata qui avait été envoyé sur le terrain le 10 mai 1945

    http://grain-de-sel.cultureforum.net/peintures-photographies-f16/yosuke-yamahata-photo-t2893.htm#83495

  • Je suis d'accord avec vous sur le fond, Christian, mais la paix, ça peut aussi être l'esclavage.
    Ceux qui ont gagné la guerre, ou sont sur le point de la gagner en laissant pourrir les situations, bêlent toujours à la "paix".
    Nous avons tous remarqué ce que font réellement les forces "de paix" qui s'insinuent partout de force dans les affaires du monde.

    Le seul moyen de se dresser contre l'oppression est malheureusement souvent la violence et la guerre.
    C'est désolant, mais dans l'ordre des choses.
    De même que la loi de la gravitattio nn'est ni bonne ni mauvaise en soi.
    Si l'on pousse quelqu'un dans le vide, ou qu'on utilise la force de l'eau dans un barrage hydro-électrique qui fait vivre une ville, c'est toujours la gravitation.

    La guerre est toujours quelque chose de terrible,
    mais la "paix" a elle aussi un double visage.

  • C’est exact, voyageur. Ce que beaucoup de gens oublient, c’est que pour faire la paix, il faut que les deux (ou plus) adversaires veuillent faire la paix, alors que pour faire la guerre, il suffit qu’un seul la veule ! C’est toute la différence entre la guerre et la paix.

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