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Al-Qaïda made in France

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Après lecture de la lettre de revendication reçue par l’Agence France Presse en début de matinée, enquêteurs et chercheurs s’accordent à dire qu’elle ne ressemble en rien aux revendications classiques des terroristes islamistes, même si elle évoque la question afghane.
Aucune référence à l’islam et à ses interdits n’est reportée dans les deux paragraphes qui la composent.

« Cette lettre a été rédigée par des Français, elle n’a pas été traduite », analyse Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, le CFRR. La méthode même de l’alerte étonne : « Al-Qaïda ne prend pas la peine de prévenir », poursuit-il en effet. Pour le chercheur, le mode opératoire utilisé au Printemps Haussmann tient de « l’amateurisme », même si d’autres spécialistes du terrorisme se montrent plus nuancés.

1- Un groupe inconnu. Le Front révolutionnaire afghan est un illustre inconnu. Chercheurs et politiques n’en ont jamais entendu parler, l’ambassade afghane à Paris pas davantage. Selon Eric Denécé, aucun mouvement islamiste n’utilise le terme « révolutionnaire » : « C’est une terminologie occidentale, marxiste. » Pour Farhad Khosrokhavar, spécialiste de l’islam radical*, cela ne signifie pas pourtant qu’il n’existe pas : le FRA pourrait ainsi être un « groupe d’extrême gauche française, qui se dissimule sous ce nom pour mettre fin à la présence française en Afghanistan. » « S’il s’était agi d’un groupe jihadiste, explique Anne Giudicelli, présidente de Terrorisc, agence spécialisée dans les questions de terrorisme international, la lettre aurait commencé par un texte du Coran ou par les paroles d’un leader religieux. »

2- Un curieux jeu de piste. Trois lignes du texte, sur la dizaine qui le composent, sont consacrées à localiser les engins explosifs, avec force détails, conduisant jusqu’aux toilettes du troisième étage du Printemps. « Cela confine au ridicule », s’amuse Eric Denécé.
Pour Louis Caprioli, ancien responsable de la lutte antiterroriste à la DST, « démonter la chasse d’eau, cela ne fait pas trop professionnel ». « En général, un attentat est fait pour réussir. Là, l’auteur donne tous les éléments pour qu’il échoue », souligne Anne Giudicelli.

3- Une échéance sans fondement. L’auteur de la lettre de revendication demande aux destinataires d’exiger du président de la République le retrait des troupes françaises en Afghanistan, « avant fin février 2009 ». « Cette date ne représente rien dans le calendrier politique français », analyse Eric Denécé.
« Tout au plus, note Anne Giudicelli, février 2009 correspond à la fin de la mission des forces canadiennes de l’Otan en Afghanistan. A tout le moins, on peut dire que l’auteur a un minimum potassé le dossier », ajoute la consultante.

4- Une terminologie inhabituelle. « Nous repasserons à l’action dans vos grands magasins de capitaliste », prévient l’auteur. « Là encore, on peut croire à l’oeuvre d’un groupe ou d’un individu de la mouvance d’extrême gauche », explique Eric Denécé.
Pour sa part, Farhad Khosrokhavar tente une autre piste : « Il pourrait s’agir d’un groupe minoritaire, laïque, résidu des groupes communistes afghans en exil en France. Ce groupe voudrait voir le départ des troupes françaises en Afghanistan », suggère-t-il.

5- Une surprenante mise en garde. « Je vous assure, ce n’est pas un canular » : l’auteur, qui entame sa lettre par un « nous » utilise cette fois le singulier. « S’il est seul, et qu’il l’avoue, cela affaiblit sa stratégie », commente Anne Giudicelli. « S’il s’agissait de professionnels, poursuit Denécé, le terme même de canular n’aurait pas été employé. »

6- Un slogan décalé. « Vive l’Afghanistan libre », conclut l’auteur de la lettre. « Encore une fois, on retrouve la terminologie marxiste, conclut Eric Denécé, qui est vraiment à mille lieues des jihadistes. On croirait plutôt à des zozos ! »
Pour autant, Jean-Pierre Pochon, ancien directeur du renseignement à la DGSE, préfère n’exclure aucune hypothèse : « C’est assez compliqué de déterminer si c’est l’histoire d’un farfelu, d’un fou, ou si, derrière, il y a un groupe réel avec des projets réels. »

* Professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, auteur de « Inside Jihadism » (Paradigm Publishers).

 

Le Parisien - 17.12.08

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