Un dîner de Hanouka à Odessa (Ukraine), des baigneurs sur la Baltique, un tailleur posant devant son magasin en Serbie, les clichés noir et blanc exposés dans la capitale européenne de la culture 2009, pourraient être banals. Sauf qu'ils illustrent une vie juive ordinaire quasiment anéantie.
A côté de chaque image, quelques lignes, souvent à la première personne, précisent le destin des personnages dans ces pays peuplés de millions de Juifs avant-guerre.
"Nous passions l'été en culotte de peau, nous nous sentions de vrais Autrichiens", confie à l'AFP l'Autrichien Heinz Bischitz, l'un des quelque 1.300 Juifs interrogés depuis l'an 2000 pour ce projet dans une quinzaine de pays, de la Baltique aux Balkans. Il a quitté son pays à l'âge de six ans, en 1938, au moment de l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie.
"Mes grand-parents auraient pu nous suivre en Hongrie, mais ils n'ont pas vu le danger. Ils sont restés et ont même acheté de nouveaux meubles", ajoute-t-il. Les discussions avec son interlocutrice de Centropa l'ont aidé à garder vivants ces souvenirs : "plus je vieillis, plus c'est difficile de les évoquer. Mais c'est nécessaire pour les générations suivantes".
"En utilisant des histoires personnelles, nous espérions intéresser les adolescents à l'histoire juive d'une manière nouvelle", continue M. Serotta, "avec ces témoignages, nous avons une vue d'ensemble du XXe siècle".
Sur la centaine de panneaux, installés dans l'entrée de la médiathèque Wissensturm de Linz, dont Adolf Hitler fréquenta un lycée, alternent les sourires des jours de fête et les mines graves des photos de classe, ou des camps de prisonniers.
"Tous les enfants au premier rang ont survécu et je suis toujours en contact avec certains", écrit d'ailleurs Albert Eskenazi sur le cliché de groupe d'un camp d'internement à Hvar (Croatie) en 1943. Quelques photos plus loin, une vieille dame se souvient d'une rencontre amoureuse en colonies de vacances en Pologne à l'été 1937.
Avec cette exposition, "nous fermons le cercle", confie Oliver Fuchs, intendant-adjoint de la capitale européenne de la Culture, dont le travail de mémoire sur le nazisme fut un des fils rouges de la programmation.
La quête des documents ne fut pas toujours aisée. "Des personnes ont refusé de nous laisser les photos, même pour une heure, afin de les numériser. "Ce sont les derniers souvenirs que j'ai de lui ou d'elle" nous expliquaient-ils", raconte M. Serotta, dont l'organisation a mis ces contributions en ligne pour sauvegarder cette mémoire. Centropa a sélectionné environ 20.000 photos numérisées dont quelques 300 ont été retenues pour l'exposition.
Après Linz, où elle fermera ses portes le 11 décembre, la "Bibliothèque des souvenirs sauvés" continuera son périple dans les régions autrichiennes. "Les jeunes d'aujourd'hui savent si peu de choses sur cette période", précise Tanja Eckstein, qui a réalisé plus de 70 entretiens à Vienne pour le projet. "Et les témoins disparaissent : la plupart des personnes que j'ai rencontrées sont soit mortes, soit ne seraient plus en état de livrer maintenant leurs souvenirs".
AFP. 11.11.09