Paris minimise les critiques en évoquant des impératifs stratégiques, économiques et financiers.
Un peu plus d'un an après la brève guerre en Géorgie, le pays négociateur du cessez-le-feu d'août 2008, régulièrement violé par Moscou, s'apprête à vendre des bateaux de guerre à la Russie. Certains, assurément, y verront un symbole politique embarrassant.
Exposé depuis lundi à Saint-Pétersbourg, le porte-hélicoptères Mistral est l'un des fleurons de la marine nationale, le plus gros navire de guerre français après le Charles-de-Gaulle (200 mètres de long, 32 de large). Surnommé «le couteau suisse» pour ses qualités de polyvalence, il peut transporter une quinzaine d'hélicoptères, treize chars Leclerc ou un petit millier d'hommes. Il est aussi doté d'une capacité de commandement et d'un hôpital de 70 lits.
«Le Mistral, c'est le nec plus ultra en matière de BPC (bâtiment de projection et de commandement)», résume un marin. Un bijou que de nombreux pays nous envient. C'est bien pour cela que les Russes, qui cherchent à se doter d'une force d'attaque amphibie et rapide, le veulent. Les négociations sont aujourd'hui entrées dans leur phase finale. Après avoir fait une offre, les Français attendent une réponse de Moscou «dans les prochaines semaines». À terme, le contrat devrait concerner cinq Mistral.
Si Moscou et Paris se félicitent, la vente du Mistral fait grincer des dents dans les anciennes républiques soviétiques, surtout le long de la mer Noire, où les tensions avec Moscou sont récurrentes. Les voisins craignent que la Russie utilise les navires de guerre français dans la Baltique et dans la mer Noire pour contrecarrer l'extension de l'Otan à l'est et faire reculer l'influence occidentale dans son ancienne arrière-cour.
Les Géorgiens, qui se sentent toujours menacés par le nouvel impérialisme russe, réclament l'annulation du projet. «La Russie veut restaurer son statut de grande puissance en rétablissant son influence sur les anciennes républiques d'URSS. Le Mistral est un bateau d'assaut formidable pour attaquer la Géorgie ou les pays Baltes. C'est comme si on donnait une arme de pointe à un bandit. Voilà pourquoi nous avons peur », explique Alex Rondeli, le président de la Fondation géorgienne pour les études internationales et stratégiques.
«Nu, sans système d'armes»
Commentant la décision de son pays, le commandant de la marine russe, l'amiral Vyssotski, l'a d'ailleurs carrément reconnu, se référant à l'invasion de la Géorgie en août 2008 : un tel navire aurait permis à la flotte de la mer Noire «d'accomplir sa mission en 40 minutes au lieu de 26 heures» ! Les pays Baltes, eux aussi, s'inquiètent. Le chef de la diplomatie estonienne, Urmas Paet, exige de savoir si le bateau sera fourni «avec ou sans équipement de haute technologie».
À Paris, on minimise ces critiques en rappelant que le navire sera fourni aux Russes «nu, sans système d'armes». «On ne peut pas dire qu'on veut créer un continent de stabilité avec la Russie, bâtir un partenariat avec elle, tenter de rallier Moscou sur les grands dossiers du moment, comme le nucléaire iranien, et refuser de leur vendre des armes. Ce serait en contradiction avec notre discours », défend une source proche du dossier.
La nécessité de fournir du travail aux chantiers navals de Saint-Nazaire aurait pesé lourd dans la décision et fini par vaincre les réticences initiales de l'Élysée. Face à cette perspective économique et financière, le code de bonne conduite européen sur les exportations d'armes, qui stipule la nécessité «de prévenir l'exportation d'équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne ou d'agression internationale ou contribuer à l'instabilité régionale» n'a pas fait le poids…
Le Figaro - 26 novembre 2009