Mais pourquoi diable Nicolas Sarkozy a-t-il eu la malencontreuse idée d'enrôler l'Inspection générale des finances (IGF) pour tenter d'obtenir d'elle une sorte de caution morale, attestant qu'Eric Woerth, du temps où il était ministre du budget, n'est intervenu en aucune façon, directement ou indirectement, pour freiner ou empêcher une enquête fiscale sur Liliane Bettencourt ?
L'initiative est doublement détestable. Parce que la ficelle est un peu grosse et que le dénouement est par avance connu: il n'y aura rien dans ce rapport ; et de ce rien, le chef de l'Etat cherchera à tort à tirer argument. Et puis aussi parce que le chef de l'Etat va ainsi ternir l'image d'un grand corps de l'Etat, qui a mieux à faire, dans ses missions de contrôle et d'inspection, que de servir de supplétif au pouvoir dans une affaire d'Etat.
La ficelle est un peu grosse. Nul ne s'en cache. Dans la majorité, c'est un secret de Polichinelle : le rapport de l'Inspection, rendu public lundi 12 juillet, ne révélera rien de nature à embarrasser si peu que ce soit Eric Woerth et naturellement l'Elysée. Avec la finesse qu'on lui connaît, c'est le porte-parole de l'UMP, Frédéric Lefebvre, qui a le premier vendu la mèche. «Une fois remis le rapport de l'inspection générale des finances, tout le monde devra se taire et certains devront s'excuser publiquement auprès de M. Woerth», a-t-il claironné le 1er juillet sur France Inter, en commentant l'annonce faite le jour précédent par le ministre du budget François Baroin, de la commande d'un rapport à l'IGF pour établir la preuve de l'absence d'intervention de son prédécesseur dans le dossier fiscal de Liliane Bettencourt.
Mais, en la matière, Frédéric Lefebvre n'était comme souvent que la voix de son maître. Le 7 juillet, Nicolas Sarkozy est entré lui aussi dans la danse pour suggérer qu'il ne sortirait rien de ce fameux rapport de l'IGF. Rien en tout cas qui puisse l'embarrasser. Comme l'a rapporté une dépêche AFP, reprise sur de nombreux sites Internet (ici, celui du Point.fr), le chef de l'Etat s'est dit ce jour-là «assez confiant», sur le fait que l'Inspection générale des finances (IGF) «ne trouvera pas de faute» imputable à Éric Woerth dans la gestion du dossier fiscal de Liliane Bettencourt, tout en n'excluant pas de «sanctionner» le ministre dans l'hypothèse inverse. « J'ai souhaité que l'Inspection générale des finances examine les 6.500 dossiers qui sont passés par le cabinet d'Éric Woerth pendant qu'il était ministre du Budget » (mai 2007-mars 2010), a déclaré le chef de l'État, selon des participants à la réception des députés Nouveau Centre à l'Élysée. « Je ne sais pas du tout ce que le rapport va dire. S'il y a faute, je sanctionnerai (Éric Woerth), et s'il n'y a pas faute, je ne vois pas pourquoi je le sanctionnerais. Mais je suis assez confiant sur le fait que (l'IGF) ne trouvera pas de faute », a-t-il ajouté, selon ces témoins.
MEDIAPART - 10 juillet 2010