Un mois et demi après les premières révélations de Mediapart, Eric Woerth a été entendu, jeudi 29 juillet, par la brigade financière dans les multiples volets de l'affaire Bettencourt qui le concernent, qu'il s'agisse des soupçons de financement politique occulte ou des conditions dans lesquelles sa femme, Florence, a été embauchée au service de Liliane Bettencourt.
Eric Woerth a été entendu sous le statut du témoin dans le cadre de plusieurs enquêtes préliminaires dirigées par le procureur de Nanterre, Philippe Courroye. L'audition, qui a commencé vers 9 heures du matin, a pris fin peu avant 17 heures.
S'il est encore trop tôt pour connaître la teneur exacte des déclarations de M. Woerth aux enquêteurs (ni, d'ailleurs, la tournure des questions qui lui ont été posées par les policiers), il est déjà un constat qui suscite bien des interrogations chez de nombreux magistrats et policiers.
Contrairement à d'autres protagonistes clés du dossier, l'actuel ministre du Travail a été entendu non pas dans les locaux de la brigade financière, rue du Château-des-Rentiers, à Paris, mais... à son ministère, rue de Grenelle. Et ce à la demande de M. Woerth lui-même. Un traitement de faveur dont la force symbolique ne trompe pas. En acceptant de se déplacer, les policiers se sont mis, même inconsciemment, en position d'“infériorité”, ce qui n'aurait évidemment pas été le cas s'ils avaient pu questionner le ministre dans leurs locaux. Son épouse, Florence Woerth, avait du reste été contrainte de se déplacer au siège de la PJ parisienne.
«Cela m'a toujours choqué même si c'est une pratique de police qui n'est pas rare, que ce soit pour des ministres ou pour des chefs d'entreprise», réagit Clarisse Taron, la présidente du Syndicat de la magistrature. Selon la magistrate, procureure adjointe à Metz, ce type de diligences relève des «aménagements policiers et judiciaires pour ceux que l'on considère du même monde. Ce sont des petites fleurs pour des gens importants, des gens de bonne compagnie», se désole la présidente du SM, qui n'hésite pas à parler de «justice de classe».
Le sentiment est partagé au sein du principal syndicat des gradés et gardiens de la paix de la police nationale, Unité SGP Police FO. «Cela donne vraiment l'impression qu'il y a les manants et les puissants», considère Yannick Danio, délégué national du syndicat. «Le principe d'égalité, toutes considérations confondues, n'est absolument pas respecté dans cette affaire. Ne serait-ce que vis-à-vis de la femme du ministre, qui s'est déplacée à la brigade financière quand elle a été entendue», poursuit le policier.
«Autant pour Madame Bettencourt, qui est dans un âge avancé, on peut comprendre que les policiers se déplacent chez elle pour l'interroger, mais M. Woerth est un ministre bien portant...», explique M. Danio.
MEDIAPART - 29/07/10