L'enseignante de 58 ans s'impliquerait trop dans l'organisation de voyages scolaires en Europe de l'Est autour de la Shoah. Un rapport de l'inspection générale estime qu'elle manque à ses devoirs «de réserve, de neutralité et de laïcité».
Enseignante d'histoire au lycée Henri-Loritz, un établissement public de Nancy, Catherine Pederzoli-Ventura a appris à deux jours de la rentrée qu'elle ne pourrait reprendre les cours, du moins pas avant quatre mois. Le rectorat de l'Académie de Metz-Nancy a en effet décidé de suspendre l'enseignante après la remise d'un rapport de l'Inspection générale soulignant des «manquements aux obligations de réserve, de neutralité et de laïcité», et une «instrumentalisation des élèves» par des «lavages de cerveaux». Des accusations contestées par l'enseignante, qui estime que ses rapports personnels avec sa proviseure, voire ses convictions religieuses, ont motivé sa mise à l'écart.
«Depuis l'arrivée d'une nouvelle direction de l'établissement en 2007, on s'acharne contre elle, on veut s'en débarrasser», affirme l'avocate de Catherine Pederzoli, Me Christine Tadic, qui a saisi mardi en référé le tribunal administratif pour suspendre la décision du recteur. Et de s'interroger : «La faute que l'enseignante a commise n'est-elle pas d'être juive ?» Le représentant de la communauté juive de Nancy, Etienne Heymann, a pour sa part estimé que cette affaire était «un véritable scandale d'Etat qui salit l'honneur de la France» et réclamé «une réaction soit du ministre, soit du président de la République».
Trop de temps consacré aux voyages
Catherine Pederzoli-Ventura organise depuis une quinzaine d'années des voyages en Pologne et en République tchèque pour permettre à ses élèves de seconde, première et terminale de visiter d'anciens camps de concentration. En 2009, elle monte ainsi un projet visant à emmener 144 élèves. Selon l'Est républicain, la proviseure de l'établissement, jugeant ce nombre excessif, s'y oppose, invoquant le coût et la sécurité. Le conseil d'administration autorise finalement le départ de 80 élèves, mais cette réduction des effectifs suscite la colère de certains lycéens qui manifestent leur mécontentement en déroulant une banderole lors d'une visite du ministre de l'Education Luc Chatel.
Cette initiative, que l'enseignante est soupçonnée d'avoir soutenue, si ce n'est organisée, a motivé une enquête de l'Inspection générale. Le rapport, rédigé en juillet, estime que Catherine Pederzoli consacre trop de temps à l'organisation de voyages sur l'histoire des juifs en Europe centrale, comprenant des visites à des camps comme celui d'Auschwitz-Birkenau, dans l'actuelle Pologne. «Un temps non négligeable de préparation étant consacré au projet, des parties du programme risquent de lui être plus ou moins sacrifiés», écrivent les inspecteurs. Ils notent en outre que, lors de leur entretien avec la professeure, cette dernière a prononcé 14 fois le mot «Shoah», «tandis que le terme à la fois plus neutre et juridiquement fondé de ‘génocide' n'(a été) mentionné que deux fois, comme en passant».
«Aucun rapport avec la transmission de la mémoire de la Shoah»
De son côté, le rectorat explique dans un communiqué diffusé mardi soir avoir demandé l'enquête à la suite d'un «certain nombre de dysfonctionnements» dans le lycée. Contactés par lefigaro.fr, ni le recteur ni la proviseure n'étaient immédiatement disponibles pour détailler ces problèmes. Le rectorat insiste toutefois dans son communiqué «sur le fait qu'il s'agit d'un dossier relevant de la problématique générale de l'organisation des voyages scolaires, sans rapport avec le sujet de la transmission de l'histoire et de la mémoire de la Shoah, à laquelle l'Education nationale est très attachée». Il précise que la suspension, décidée sur la base du rapport, «ne se confond pas avec une sanction» et que l'enseignante continuera à percevoir son salaire.
Sur la page Facebook de Catherine Pederzoli-Ventura, plusieurs élèves s'indignent de la sanction. «C'est injuste. Vous êtes sans hésitation la meilleure professeur d'histoire que j'ai pu avoir durant toute ma scolarité. Si l'Education nationale écarte de ses rangs les rares éléments qui pensent PAR EUX-MEMES (sic), où va-t'on ?», écrit l'un d'eux. «Si cette enseignante avait été chrétienne, on n'aurait pas pu dire qu'elle faisait du lavage de cerveaux», affirme pour sa part Me Tadic. Le tribunal doit se prononcer d'ici à 15 jours sur la demande d'annulation de la suspension.
Le Figaro - 01/09/10