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François Coppée, académicien et poète des humbles (1842-1908)

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L’épave
(1880)

Devant la mer, assis au seuil de leur maison,
La veuve du marin et son jeune garçon
Sont en grand deuil. Hélas ! l’équinoxe d’automne
A fait d’affreux malheurs sur la côte bretonne ;
Et c’est pourquoi, rêveurs devant le ciel du soir,
Cette femme et son fils sont habillés de noir.
Ah ! dans ce lac paisible où, sous la brise fraîche,
Viennent de s’éloigner les fins bateaux de pêche
Dont les voiles, là-bas, blanchissent dans le ciel,
Nul ne reconnaîtrait cet Océan cruel
Qui, l’an dernier, pendant la grande marée haute,
En un jour, a broyé vingt barques sur la côte,
Et, parmi tant de deuils dont le pays est plein,
A navré cette femme et fait cet orphelin.
 
Le ciel peut être pur, la mer peut être belle,
La veuve du marin est sombre et se rappelle
L’effroyable tempête où son homme a péri
 
– C’est aussi de sa faute, à mon pauvre mari,
Dit-elle en soupirant à son fils qui l’écoute,
Il faut porter secours aux malheureux, sans doute,
Et nul ne l’a plus fait que mon pauvre Mathieu.
Mais affronter ainsi la mort, c’est tenter Dieu !…
On n’avait jamais vu de pareille marée.
Ton père était chez nous ; sa barque était rentrée ;
Il disait, en mangeant sa soupe : Il faut qu’on soit
Maudit pour être en mer par ce vent de noroit !
Après dîner, Mathieu prend sa pipe et l’allume
Et va fumer dehors, comme il avait coutume.
Là, malgré le gros temps, ils étaient quelques-uns
Qui regardaient sauter et mousser les embruns,
Quand tout à coup, voilà que mon homme remarque,
Du côté des rochers Saint-Hierre, un trois-mâts barque…
Doux Jésus ! Ce ne fut pas long. En un clin d’oeil
Le malheureux navire échoua sur l’écueil.
– Un canot ! dit Mathieu… J’étais épouvantée ;
Les autres lui montraient cette mer démontée
Et la lame en fureur qui crachaient des galets.
– Un canot ! répétait ton père. Sauvons-les !
Un canot à la mer, ou nous sommes des lâches !
Le mien, si vous voulez ; car aux plus rudes tâches
Il est bon ; il ne craint ni le flot ni le vent,
Et je l’ai baptisé d’un beau nom : En avant !…
Ah! les hommes sont fous, mon Tiennot !… Ils partirent…
Et tous ont péri, tous… A l’heure où se retirent
Les vagues, tu m’as vue aller, tout cet hiver,
Chaque jour, aussi loin que va la basse mer.
Mais l’Océan qui meurt à mes pieds et les lave
N’a jamais rejeté la plus petite épave,
Pas plus du grand trois-mâts que du pauvre canot…

(extrait)

Commentaires

  • Magnifique texte qu'un Copelovici n'aurait pu écrire même en abusant de tous les remèdes d'une pharmacopée ;o)

  • je ne pense pas que notre époque donnera des poétes de cette trempe!! je crains aussi que dans ce domaine , la messe soit dite!! salutations.

  • @ Philippe Maréchal: François Coppée était français, parisien de souche. Il est intéressant de lire sa biographie, qui me semble bien faite, sur Wikipédia. On y apprend entre autres qu'il était anti-dreyfusard.
    Il est tombé dans l'oubli, mais ce sera le sort de tous nos grands poètes, je le crains.

    Il nous restera Gainsbourg!

    Bravo pour pharmacopé ;°)

  • Merci, chère Gaëlle, pour ce poème si émouvant, à la gloire des Français… de souche. Certes Coppée est un peu oublié, mais son souvenir est perpétué à Paris, par … une très sympathique brasserie du XVème, où l’on y mange très bien pour un prix raisonnable.

  • Excusez ma bévue : la brasserie « le François Coppée » est située dans le VIème arrondissement (à la limite du VIIème) et non dans le XVème.

  • Cher abad, on retient l'adresse!
    Merci!
    "Je suis le pâle enfant du vieux Paris", écrivait-il...

    Il vaut mieux ne pas lire les poèmes qu'il écrivait sur les banlieues: c'est à pleurer de rage et de tristesse!

    Amitiés

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