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La souffrance et la gloire

Philippe Croizon, amputé des quatre membres, a réussi l’exploit de traverser la Manche à la nage. Durant deux ans, a-t-il affirmé, il en a « chié », il en a « bavé ». Chapeau bas ! Pour réussir un tel exploit, il faut non seulement une force de caractère hors du commun, mais aussi une bonne dose d’amour vital.

Les médias n’ont pas manqué de saluer, comme il se doit, ce tour de force. Que notre homme soit un « accidenté de la vie » n’y est sans doute pas pour rien, nos journalistes étant friands de sensationnel, d’histoires édifiantes, d’apitoiements bien humides et de sourires faussement et pieusement attendris. La papelardise inonde les antennes.

Seulement, nos Tartuffes ne manquent pas de rappeler que le mercredi 22 septembre aura lieu la journée contre la souffrance à l’école. Cette dernière est, voyez-vous, devenue un enfer. En effet, on est censé y travailler ! Résoudre des équations, rédiger des phrases correctes, comprendre un document historique, simplement se tenir comme il faut, tout cela, qui était apparemment admis comme allant de soi depuis des siècles, voire des millénaires, est devenu la grosse pierre que portent nos malheureux Sisyphes à la tête plus ou moins blonde. Chaque jour, pour une grande partie d’entre eux, est devenu la répétition du bagne. Un Cayenne scolaire, scandale pour les uns, réjouissance pour les responsables (il faut des responsables à l’enfer !), les profs, sans aucun doute, poussés par leur sadisme atavique (lisez saint Augustin !).

Bref, nos enfants en « chient », ils en « bavent » ! Les pauvres… Voyez-vous, quand ils sortiront du système, ils trouveront enfin la paix du corps, de l’âme, la béatitude dans le travail. Ils occuperont facilement un emploi, sans chercher, un job peinard, avec un patron tout gentil, bien doux, et avec des objectifs bien humains. Et puis, dans les familles, ça baigne toujours, sans compter les camaros, qui sont à tous coups sympas ; et les gens, dans la rue, dans les quartiers, les cités, sont d’ailleurs prêts à se sacrifier pour tous. La fraternité, vous dis-je. Il n’y a donc que l’école, cet antre obscur, ce cul de basse fosse, ce cloaque humiliant, l’un des cercles dantesques où patauge une partie de son existence la pauvre humanité déchue, qui détonne en ce bas monde.

Heureusement pour elle intervient le preux pédagogue, le génial gentil animateur, qui va vous transformer tout ça en parc d’attraction, en scolasland, en force de la joie ! Les maths, le français, les langues deviendront des prétextes à orgasmes, des pièges à extases, des pourvoyeurs de trips, à y revenir sans cesse, sous peine de manque. On interdira même les élèves de faire du rab. On mettra des gardiens pour leur en condamner l’entrée, tellement ils voudront retrouver leurs sucreries.

A force de vider l’enseignement de sa substance, d’alléger les tâches, d’amoindrir les exigences, de rapetisser les intelligences, on y arrivera bien. L’effort étant banni en ces lieux, le plaisir y régnera. Ou l’ennui, à coup sûr. Mais nul n’y traversera aucun fleuve, aucun bras de mer, et la vue de l’Océan rendra mal à l’aise, au lieu de susciter l’envie du grand large.
Claude Bourrinet
 
 
VOXNR - 21/09/10

Commentaires

  • Les reportages propagandistes actuels au sujet des maux de ventre des élèves révèlent une réelle ignorance des conditions concrètes de l'enseignement.
    La société dans son ensemble, et depuis la nuit des temps (au moins depuis l'exclusion de l'Eden !), vit d'angoisse, de labeur et de défis. Je ne vois pas pourquoi l'Ecole y échapperait, et à la suite de quel raisonnement elle se transformerait en parc d'attraction. Le monde post-scolaire est bien plus traumatisant et déstructurant, avec ses licenciements, son chômage, son harcèlement au travail, son surendettement et ses mensonges politiques et médiatiques. Le cadre scolaire apparaît dès lors comme un relatif havre de paix, qui permet l'accès à la vraie liberté, laquelle demande un effort et un certain surpassement de ses propres faiblesses.
    L'enfer étant pavé de bons sentiments, il est clair maintenant, sauf pour les idéologues des syndicats d'instituteurs ou d'éducateurs, les hystériques des associations de parents d'élèves, animées d'ailleurs par des enseignants, ou bien les cyniques qui voient dans l'inculture généralisée l'équation enfin trouvée d'une société libérale avancée (vers quoi ?), que l'« improbable » accointance entre libertaires et libéraux trouve une légitimité dans la préparation d'un type humain, celui de l'avenir, dont nous voyons déjà les prémisses parmi les consommateurs apathiques, poreux au prêchi-prêcha, pulsionnels, ignorants, incultes, peu désireux d'en savoir plus, d'outrepasser les limites autres que celles des vitesses autorisées, des lignes de cocaïne et des portails des parcs d'attraction.
    Nous savons, il faut le dire pour ceux qui luttent encore avec la passion des amateurs de beauté, de culture humaniste et de vérité, que le combat est désespéré.

  • A Claude Bourrinet : Merci pour votre remarquable texte sur la souffrance à l’école. Vous avez parfaitement résumé la situation. Mais on connaît la raison pour laquelle on y a abouti. C’est que la population écolière a bien changé en moins de 30 ans. Une grande proportion de ces élèves est issue de populations immigrées pour lesquelles l’école est strictement sans intérêt, totalement étrangère à leur culture. Ces populations n’avaient pas d’école avant la colonisation. Et depuis leur indépendance, elles reviennent aux méthodes ancestrales d’éducation qui écartent les principes de l’enseignement européen. En France, elles n’ont que mépris pour les enseignants, rejettent tout enseignement. A cela s’ajoute l’esprit des bobos-gauchos-cocos-écolos que vous décrivez bien et qui conduit à nier l’évidence et la réalité. D’où ce désastre qu’est devenue l’école.

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