«Allez, on va attaquer les choses sérieuses! » Il est 19 h 15 ce lundi 25 octobre dans un coin du parvis de la gare Montparnasse à Paris lorsque la chef de file de l’association d’extrême droite SDF — acronyme qui signifie Solidarité des Français — s’apprête à ouvrir le cubi de vin rouge.
- Devant elle, instantanément, se forme une file indienne de sans-abri mais aussi de retraités à la très maigre pension, de sympathisants et de bénévoles. Ils sont au total une quarantaine, sous un immense parasol bleu, à prendre part à cette soupe populaire « identitaire ». Le dernier lundi de chaque mois, ce groupuscule dont la devise est « Pour les nôtres, pas aux autres! » sert en toute illégalité aux démunis de l’alcool et un plat principal à base de porc, sans être inquiété par les pouvoirs publics.
Pourtant, depuis une ordonnance du Conseil d’Etat de janvier 2007, cette distribution alimentaire, jugée discriminatoire par les autorités et comportant des risques de troubles à l’ordre public, est interdite. En principe. Car elle continue d’avoir lieu comme nous avons pu le constater en nous rendant incognito à la dernière en date, le 25 octobre.
Juste avant l’arrivée de la grande marmite chaude sur la table, un habitué répète : « Du cochon, du cochon! » Il ne sera pas déçu. Au menu ce soir-là, dans l’assiette en plastique, des lentilles, un morceau de porc et une tranche de jambon. « Pas de panique, y en aura pour tout le monde », rassure un serveur.
La plupart des sans-abri, qui dévorent leur repas à une vitesse éclair, discutent avec les organisateurs. Quelques-uns mangent seuls. Les femmes sont minoritaires, les jeunes quasiment absents. Un homme ivre ne tient debout que grâce à sa béquille. « Il est où mon chariot ? » s’alarme une vieille dame à la rue avant de le retrouver, chargé de sacs en plastique et de tout son barda.
On ne croise pas de bénéficiaires d’origine maghrébine ou africaine. Des sympathisants causent, entre eux, de « ces racailles » qui ont « tout cassé » durant les manifestations contre les retraites. Aux aguets, un costaud avec un bonnet noir sur la tête semble faire office de service d’ordre. Après le fromage, du camembert, les sans-domicile-fixe ont droit à une part de tarte et à un pot de crème à la vanille nappée de caramel. Ils se voient aussi proposer un digestif, « Le flambant après le Flanby », se marre un fidèle participant. La bouteille de calvados est vidée en quelques minutes.
Le dîner terminé, c’est l’heure de la distribution de vêtements récupérés par l’association. Une bénévole monte alors dans une camionnette stationnée à deux mètres de là et propose des chaussettes, des pull-overs ou même un manteau en fourrure aux défavorisés. « Ne vous battez pas! » ordonne-t-elle.
A l’écart de la foule, nous retrouvons Eric, 49 ans, pour lui demander ce qu’il vient chercher ici. D’emblée, cet ancien commis de salle dans un restaurant, à la rue depuis dix ans, précise qu’il ne fait pas le déplacement parce qu’il partage les idées de Solidarité des Français. « Leur soupe au cochon, c’est de la provocation. Moi, je n’ai jamais voté de ma vie. La politique, je m’en fous. J’y vais parce qu’il y a de la chaleur et des potes et parce que la nourriture est bonne. Ce n’est pas le cas ailleurs », lâche l’exclu aux lunettes abîmées, qui dort dans des laveries, des halls d’immeuble et « parfois » à l’hôtel.
Le Parisien - 15/11/10
Commentaires
Félicitations à l’association SDF ! Et bravo pour leur courage.